CHRONIQUE

La langue, 40 ans plus tard

Jean-François Lisée a amorcé une rupture dans les traditions du parti qu’il dirige en prônant une approche plus pragmatique à la promotion et à la défense du français et en mettant de côté des interventions qui risquent de diviser inutilement.

Bravo. J’avais été choqué par le projet de loi 14 du gouvernement Marois avec ses mesures vexatoires, comme la perte du statut bilingue pour les municipalités qui n’avaient plus le pourcentage requis d’anglophones.

Mais le Québec aurait besoin d’aller beaucoup plus loin dans sa réflexion sur la langue, tant dans le camp péquiste, toujours tenté par la méthode forte, que dans celui des libéraux, paralysés par la question. Pas pour réfléchir aux façons de rafistoler la loi 101 dans un sens ou dans l’autre, mais pour prendre acte du fait que les choses ont bien changé depuis 1977. Quarante ans, c’est long, assez pour qu’il soit temps de poser l’enjeu linguistique d’une autre façon.

D’abord en faisant un bilan. On a tendance à oublier que le débat linguistique, du bill 63 et de la loi 22 à la loi 101, n’était pas uniquement linguistique. La langue était le symbole d’un combat plus global pour renverser les rapports de forces qui infériorisaient les Québécois francophones dans l’usage de leur langue, dans leurs rapports sociaux, dans leur bien-être économique. Ce combat, largement à travers l’imposition du français, a mené à une telle victoire que les allusions au mépris et aux injustices du passé sont incompréhensibles pour les plus jeunes.

Sur le plan strictement linguistique, les succès ont été remarquables, mais pas complets. Le français s’est imposé comme langue publique et comme langue du travail, son pouvoir d’attraction auprès des immigrants s’est considérablement accru. L’existence de ces progrès fait consensus, tout comme le fait que ceux-ci auraient été impossibles sans l’encadrement de la loi 101.

Ces progrès sont-ils suffisants, sont-ils permanents ? C’est là que le consensus s’effrite. Il existe un courant, surtout dans les milieux souverainistes, qui estime que le français est toujours menacé.

Là où ils voient des menaces, je vois plutôt des pressions. Mais ces dernières sont d’une tout autre nature que celles des années 70, la domination économique et sociale de la minorité anglophone, et l’attrait pour les immigrants de ce qui était alors la langue du succès.

Les pressions actuelles sont liées à la mondialisation : d’abord, la croissance des flux migratoires et l’éloignement culturel des nouveaux venus, ensuite la révolution technologique qui a imposé l’anglais comme langue du commerce, du tourisme, de la culture, de la recherche, des médias sociaux.

La logique voudrait que le Québec, aux prises avec de nouveaux problèmes, adopte de nouvelles approches et de nouveaux outils.

D’abord, en changeant de batailles. La menace, c’est l’anglais, pas les anglophones qui vivent parmi nous. Les mesures qui consistent à restreindre leur espace créent peut-être l’impression de poursuivre le combat, mais elles sont parfaitement inefficaces pour assurer un quelconque progrès de la langue. On cherche en quoi priver une petite municipalité de son statut bilingue fera d’avancer d’un poil la cause du français.

Ensuite, en changeant de méthodes. L’arsenal traditionnel est de peu d’utilité pour faire face au poids croissant de l’anglais comme lingua franca, par exemple combattre le désir de la jeunesse scolarisée de maîtriser l’anglais en lui interdisant l’accès aux cégeps anglais. Des mesures coercitives et institutionnelles contre une langue qui est partout et qui fait fi des frontières. Il faudra trouver autre chose, s’approprier et encadrer le désir de devenir bilingue au lieu d’y résister, créer des contrepoids, notamment en renforçant la maîtrise du français.

Des solutions toutes faites, il y en a peu, parce que le problème est global, qu’il est complexe. C’est là qu’il faudrait mettre les énergies, qu’il faudrait innover, parce que cette menace me paraît bien plus préoccupante que l’immigration qui, pourtant, inquiète davantage les gens.

Face à l’immigration, on a des outils qui ont assez bien fonctionné, la langue d’enseignement, le choix de l’origine des nouveaux venus. Le taux de passage des immigrants au français a vraiment augmenté : c’est rendu un débat du verre aux trois quarts plein et du verre au quart vide.

On sait cependant qu’il faudrait investir massivement pour que les immigrants apprennent et maîtrisent le français. Et on ne le fait pas assez dans une passivité incompréhensible. On sait aussi qu’il faudra travailler à l’intégration au marché du travail dans les PME, sans connaître le coût de la méthode forte, l’application de la loi 101, ou l’efficacité des mesures d’accompagnement et d’incitation. Un enjeu qui devrait être matière à analyse et réflexion plutôt qu’à une chicane qui retomberait dans les mêmes vieilles ornières.

Le débat sur la langue n’est pas dépassé. Mais on ne s’attaque pas aux défis linguistiques de 2017 avec l’arsenal des années 70 et encore moins avec les émotions des années 60.

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