Jacqueline Desmarais 1928-2018

« Une des plus grandes donatrices de l’histoire du Met »

New York — Peter Gelb quitte les coulisses du Metropolitan Opera (Met) de New York et nous entraîne dans son bureau, où il peut continuer de suivre sur un écran plat la répétition en cours de l’opéra de Richard Strauss Elektra, sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, à l’affiche depuis le 1er mars et jusqu’au 23.

« Si Jackie avait été en santé, elle serait à New York pour encourager Yannick », affirme le directeur général du Met en parlant de feue Jacqueline Desmarais. « En fait, nous dédions nos performances d’Elektra à sa mémoire ainsi que la transmission HD de l’opéra que les gens du Canada et de partout dans le monde pourront voir samedi [aujourd’hui]. »

Affable et loquace au cours d’un entretien inséré à la dernière minute dans un horaire chargé, Peter Gelb insiste sur le fait que Jacqueline Desmarais n’était pas une mécène comme les autres à New York, une ville qui n’en manque pas.

« Ce qui était inhabituel à son sujet, c’est qu’elle ne soutenait pas seulement les institutions, elle soutenait également les artistes. La plupart des philanthropes qui soutiennent le Met soutiennent le Met, alors qu’elle soutenait le Met et aussi ses artistes favoris, même si elle n’a jamais essayé de nous les imposer. »

— Peter Gelb, directeur général du Met

« Cela dit, elle avait un don étonnant pour repérer de grands artistes. Elle avait aussi une énergie que je n’ai jamais vue chez un autre philanthrope des arts. »

Et Peter Gelb d’ajouter : « Elle était une grande supportrice de Yannick Nézet-Séguin. Elle était donc enchantée quand j’ai commencé à l’inviter à se produire ici. Je ne l’ai pas invité à cause d’elle. Je l’ai invité parce qu’il était un des chefs d’orchestre les plus talentueux, mais elle était toujours fière quand un artiste du Québec, comme Robert Lepage et d’autres, qui étaient parmi ses favoris, venait travailler ici. »

Amener le MET au Canada

Donatrice pendant de nombreuses années, Jacqueline Desmarais était devenue membre du conseil d’administration du Met en 2007, soit un an après l’embauche de Peter Gelb au poste de directeur général. Selon ce dernier, elle a commandité trois opéras au Met, Carmen en 2009, Othello en 2015 et Tosca en 2018. À combien s’élèvent ses contributions au fil des ans ? Quand on lui pose la question, Peter Gelb répond de façon indirecte.

« Je vous dirais que rien n’est bon marché au Met. Généralement, une nouvelle production coûte de 2 à 4 millions de dollars, selon les circonstances. Au bout du compte, Jackie aura été l’une des plus grandes donatrices de l’histoire du Met. »

« Mais son don le plus important est son soutien pour les transmissions en direct et en haute définition de productions du Met dans des salles de cinéma au Canada. »

— Peter Gelb

Au cours de l’entretien, Peter Gelb reviendra à plus d’une reprise sur son indépendance artistique vis-à-vis des donateurs. Il cherchera notamment à combattre l’idée que Yannick Nézet-Séguin doit ses débuts au Met à la commandite de Carmen assurée par Jacqueline Desmarais.

« Je pense qu’il est très important que nos donateurs ne dictent pas nos politiques artistiques. Et Jackie était très respectueuse de ça. […] Mais je savais que le fait que Carmen allait être dirigé par Yannick représenterait un motif additionnel pour convaincre Jackie de commanditer cette production. Et elle a apporté son soutien avec enthousiasme. »

Cette indépendance artistique ne met cependant pas le directeur général du Met à l’abri des critiques des donateurs. Peter Gelb n’a pas oublié la colère de Jacqueline Desmarais après la première d’une nouvelle production controversée de l’opéra de Puccini Tosca, mis en scène par le Suisse Luc Bondy en 2009.

« Elle a vraiment détesté cette production. Elle était très en colère contre moi et le Met parce qu’elle jugeait que la production n’était pas adéquate sur le plan esthétique. J’ai aussi réalisé que ce n’était pas un succès, car le public était très divisé. Mais Jacqueline m’a pardonné. »

En fait, Jacqueline Desmarais a commandité la nouvelle Tosca signée par le metteur en scène écossais David MacVicar et présentée en première au Met le 1er janvier dernier.

« Je pense qu’une de ses grandes déceptions a été de ne pas avoir pu assister à la première, dit Peter Gelb. Elle espérait être assez en forme pour voyager, mais, à la fin, son médecin ne voulait pas la laisser partir. Je sais qu’elle a écouté l’opéra à la radio, à Sagard, et vu des images de la production. Je lui ai parlé au téléphone quelques jours plus tard et elle était très heureuse. »

Et pour cause. Cette Tosca, contrairement à l’autre, avait été ovationnée par les fidèles du Met.

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