Théâtre

La grande bouffe

Critique
Prouesses et épouvantables digestions du redouté Pantagruel
Texte : Gabriel Plante, d’après François Rabelais
Mise en scène : 
Philippe Cyr
Au Théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 20 octobre
3 étoiles et demie

Rentrée audacieuse et relevée au Théâtre Denise-Pelletier. Du Rabelais spectaculaire, écrit et monté par des jeunes et joué par des interprètes au sommet de leur truculence !

Avec Prouesses et épouvantables digestions du redouté Pantagruel, Gabriel Plante et Philippe Cyr ont réussi à digérer et rendre accessible une matière abondante, écrite il y a près de 500 ans, mais possédant des vertus curatives pour le monde d’aujourd’hui.

Le dramaturge Gabriel Plante s’est servi des deux premiers romans de François Rabelais, Pantagruel (1532) et Gargantua (1534), pour écrire ce spectacle drôle et coloré, dans tous les sens du mot. Philippe Cyr en a fait une matière organique et débordante, comme il se doit.

Homme de la Renaissance et humaniste, Rabelais a choisi le rire, ô hérésie à l’époque, pour sortir de l’obscurantisme du Moyen Âge. 

Homme de culture et de science, il s’est emparé de la langue vernaculaire française pour contester une élite désincarnée qui ne pensait qu’en latin.

Nous sommes donc ici dans le ventre de Pantagruel, fils de Gargantua, où échouent un pèlerin (succulent Paul Ahmarani), Frère Jean (ingénieuse Nathalie Claude), Ponocrate (Renaud Lacelle-Bourdon toujours suave) et Panurge (Cynthia Wu-Maheux hystériquement drôle).

En bande-son, la voix de l’auteur se fait entendre : nul autre que l’immortel Dany Laferrière. Il tente tant bien que mal de manipuler, comme des marionnettes, ces utopistes qui ne vivent que pour rire, boire et manger, roter et péter. Ils en parlent et le font. Ils meurent et ressuscitent aussi parfois. Bref, ils vont de transgression en excès.

Au-delà de sa truculence réjouissante, Rabelais annonçait le siècle des Lumières. Il en appelait à la connaissance afin de sortir de la facilité et du dogme. Il a littéralement créé la langue française – on évalue son vocabulaire à 80 000 mots contre 8000 pour Racine – pour sortir des sentiers battus de l’ignorance et de la violence. 

Sous des montagnes de mousse de bain, de bouffe en carton-pâte, on retrouve tout cela dans le texte de Plante, dans la mise en scène spectaculaire de Cyr et dans le jeu débridé et enthousiaste des quatre interprètes. La scénographie et les maquillages sont au diapason.

Le spectacle multiplie les clins d’œil, les clivages entre le vieux français et la langue d’ici, le cabotinage presque. On rit beaucoup, presque trop, en fait.

Tout de même, soulignons le travail exceptionnel d’Elen Ewing aux costumes. Cette jeune femme ne cesse de nous éblouir dans des cadres très différents – L’idiot, La déesse des mouches à feu, Manifeste de la Jeune-Fille – où elle appose sa signature singulière, mais de façon très éloquente.

Les classiques sont à l’honneur dans cette rentrée théâtrale, Rabelais, Voltaire (Candide), Euripide (Le reste vous le connaissez par le cinéma). Évoquant la nécessité d’ouvrir le sens et de refaire une fois de plus le monde, Pantagruel y réussit mieux que Candide, tant par sa pertinence que par sa présentation.

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