Chronique

Il faut répliquer à Jeremy Jacobs

Comme « job de bras », celle-ci est impeccable ! Voici donc Jeremy Jacobs, l’influent propriétaire des Bruins de Boston, qui hache menu l’idée de réintégrer Québec dans la LNH.

Lors du bilan de fin de saison de son équipe cette semaine, Jacobs a dit tout le mal qu’il pensait du retour des Nordiques. Son désir d’enfoncer le clou encore plus profond qu’à l’automne 2015, lors de sa première déclaration publique à ce sujet, était manifeste.

« Québec a de gros défis et je suis gentil, a-t-il dit, indiquant ainsi qu’il se retenait pour ne pas être plus cinglant. Regardez le niveau de revenus, regardez la population. Il n’y a probablement pas de marché plus petit. Ils devront se distinguer d’une autre façon. […] Économiquement, ils ont des défis. Ils n’ont tout simplement pas les chiffres. »

Sans surprise, les flèches de Jacobs ont fait le tour de l’Amérique sportive, une très mauvaise nouvelle pour Québec.

Cela conforte les préjugés à propos de la capitale nationale et fait abstraction de son fulgurant développement depuis 1995, année où les Nordiques ont quitté la ville pour le Colorado.

Jacobs donne l’impression d’être encore accroché à cette époque où Québec, alors clairement pas sur sa lancée, a envoyé plusieurs signaux négatifs à la LNH : les copropriétaires des Nordiques ne voulaient pas investir davantage, le maire refusait de porter le projet de construction d’un nouvel amphithéâtre et le débat autour de l’avenir de l’équipe divisait les gens plutôt que de les rassembler.

Vingt-trois ans plus tard, le changement est spectaculaire. Diversifiée comme jamais, l’économie de la capitale roule à plein régime. Un nouvel et magnifique amphithéâtre attend son équipe. Le maire de la ville est résolument derrière le projet.

Ce n’est pas tout : un géant canadien des télécommunications, Québecor, veut acquérir une concession. À tel point que son président Pierre Karl Péladeau, en réponse à une question sur le « dossier Nordiques » le mois dernier, a affirmé que la « capacité financière » de l’entreprise n’avait jamais été meilleure.

Bien sûr, Québec ne sera jamais New York, Toronto ou Montréal. Mais l’exemple de Winnipeg démontre qu’il y a de la place dans la LNH pour un marché plus modeste, passionné de hockey, et doté d’investisseurs aux poches profondes.

Dans plusieurs villes américaines, le hockey demeure un sport de niche. Miami et Phoenix sont de gros marchés, mais les Panthers de la Floride et les Coyotes de l’Arizona évoluent dans une relative indifférence. Et il n’existe aucun doute que les cotes d’écoute des matchs télévisés des Nordiques 2.0 seraient nettement plus élevées que celles de nombreux clubs au sud de la frontière.

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En mars dernier, Stephen Bronfman a dévoilé un des obstacles auxquels il fait face dans son ambition de faire renaître les Expos. Plusieurs propriétaires d’équipes du baseball majeur ont gardé un mauvais souvenir de Montréal, a-t-il expliqué à RDS. Cela l’oblige à faire de la « politique » pour les convaincre que le projet est viable.

Les commentaires de Jacobs nous indiquent que Québec est dans la même situation. Les dernières saisons des Nordiques n’ont pas laissé une impression agréable aux dirigeants de la LNH. Les plus anciens, comme le propriétaire des Bruins, le rappellent avec force à leurs nouveaux collègues.

À l’heure actuelle, afin de ne pas indisposer la LNH, Québec ne réplique pas. Le cabinet du maire m’a indiqué hier la nécessité de demeurer « disciplinés ». Cette approche est compréhensible.

En revanche, Québec n’a pas avantage à encaisser des coups de marteau sur la tête sans répliquer.

Régis Labeaume est un extraordinaire porte-parole pour sa ville. Ne devrait-il pas songer à une campagne pour mettre en lumière, dans les sections économiques de médias américains, les réalisations et projets de la capitale ? Ce serait une façon de remettre les pendules à l’heure.

De son côté, Pierre Karl Péladeau a reconnu qu’il y avait du travail à faire. « On doit expliquer un petit peu », a-t-il dit, selon Le Soleil, affirmant ensuite que la « définition conventionnelle » d’un marché devait être revue. Il a rappelé qu’une entreprise comme Québecor avait la possibilité de « multiplier les marchés » et que le territoire des Nordiques serait plus vaste que la seule région de Québec.

Cela ouvre une nouvelle fenêtre. Mais il faudra étoffer ce message, le rendre plus concret, et ensuite le porter avec force. Sinon, la lecture de Jacobs s’imposera jusqu’à devenir très difficile à renverser.

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Dans ce dossier, le Canadien a aussi un rôle à jouer. Jeudi, dans la foulée de la sortie de Jacobs, Geoff Molson a déclaré : « Si la LNH vient avec une présentation qui recommande que Québec ait une équipe, je l’appuierai. Je n’arrête pas de le dire et je vais continuer de le dire. »

Même si le retour des Nordiques ferait perdre au Canadien son monopole au Québec, la sincérité du copropriétaire du CH ne fait aucun doute. En plus d’être un homme franc, il a le sens de l’histoire. Il sait très bien que le CH et la Brasserie Molson ont souffert en s’opposant à l’entrée des Nordiques dans la LNH en mars 1979, avant que la pression populaire ne les fasse changer d’idée.

Mais pourquoi Geoff Molson n’irait-il pas plus loin ? C’est très bien de réitérer son appui à une éventuelle candidature de Québec, mais il pourrait aussi expliquer à son collègue Jeremy Jacobs, ainsi qu’aux autres gouverneurs de la LNH, que la capitale a beaucoup changé.

Et que le Québec tout entier possède les ressources pour appuyer deux équipes du circuit. Sa parole, en tant que membre du club sélect des propriétaires, aurait du poids.

Le sport professionnel carbure aux rivalités. Et celle entre le CH et les Nordiques redeviendrait vite incontournable, une excellente nouvelle pour la LNH. Cela favoriserait aussi l’essor du hockey au Québec : joueurs, recruteurs, entraîneurs et gestionnaires, tous profiteraient du retour des Nordiques.

Ce beau rêve est réalisable. Voilà pourquoi il ne faut pas laisser Jacobs marteler le contraire sans réagir.

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