Santé mentale

Pourquoi en prescrire aux enfants ?

Bien que le phénomène soit moins répandu chez nous qu’aux États-Unis, plusieurs dizaines d’enfants de 5 ans et moins, au Québec, se sont fait prescrire des antipsychotiques ou des antidépresseurs en 2014, révèlent des chiffres fournis par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

En 2014, la RAMQ a remboursé des antipsychotiques pour 108 enfants de 5 ans et moins et des antidépresseurs pour 63 enfants de 5 ans et moins. Le régime public couvrant 44 % des Québécois, on peut présumer que le nombre d’enfants touchés est en réalité supérieur.

La Presse avait demandé ces statistiques à la RAMQ à la suite d’un article paru dans le New York Times en décembre. On y apprenait qu’aux États-Unis, 20 000 ordonnances d’antipsychotiques (dont Risperdal et Seroquel) et 83 000 ordonnances de fluoxétine (antidépresseur commercialisé sous le nom de Prozac) avaient été écrites en 2014 pour des enfants de… 2 ans et moins.

Qu’en est-il au Québec chez les enfants de cette tranche d’âge ? La RAMQ a remboursé des antidépresseurs, des antipsychotiques ou des psychostimulants (Ritalin ou autres) pour un total de 16 enfants de 2 ans et moins en 2014. La RAMQ n’a pas voulu faire le décompte pour chaque catégorie, arguant que les chiffres sont si petits que cela pourrait permettre d’identifier des enfants.

Président du comité de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Association des médecins psychiatres du Québec, le docteur Frédéric Charland trouve « étonnant » que des enfants de 2 ans et moins, au Québec, se soient fait prescrire l’un ou l’autre de ces médicaments.

« J’ai de la misère à me conceptualiser dans quel contexte on pourrait l’utiliser, mais ce n’est pas impossible, dans des cas vraiment extrêmes. »

— Le Dr Frédéric Charland

Le Dr Charland rappelle qu’on peut parler, avec un total de 16 enfants seulement, de situations « très exceptionnelles ».

AUTISME ET ANXIÉTÉ

Dans quelle circonstance un enfant de 5 ans ou moins peut-il se faire prescrire un antipsychotique ?

Selon le Dr Charland, il existe une catégorie importante : les enfants qui souffrent d’un trouble du spectre de l’autisme et qui présentent des troubles du comportement sévères (comme l’automutilation). À cet égard, d’ailleurs, la Food and Drug Administration, aux États-Unis, approuve l’utilisation de deux antipsychotiques – Risperdal et Abilify – pour les enfants de 5 à 17 ans.

Frédéric Charland pense à deux autres situations – plus rares – où de jeunes enfants pourraient se faire prescrire des antipsychotiques : ceux qui ont de graves problèmes de comportement qui mettent en péril leur sécurité et celle des autres, et ceux – très peu nombreux – qui souffrent de schizophrénie infantile.

Quant aux 63 enfants qui se sont fait prescrire des antidépresseurs, le Dr Charland indique que la dépression, chez les tout-petits, est rare, mais que les troubles anxieux – notamment le trouble obsessionnel-compulsif – le sont moins. « Ces 63 jeunes-là, j’ai l’impression qu’ils souffraient probablement de quelque chose de cet ordre-là », dit-il.

« HORS INDICATION »

Quand on consulte la monographie de médicaments comme Prozac ou Risperdal, sur le site de Santé Canada, on lit que leur innocuité et leur efficacité chez les personnes de moins de 18 ans ne sont pas établies.

« En psychopédiatrie et en pédiatrie, on travaille souvent avec ces médicaments-là hors indication », explique le Dr Charland, qui souligne que les psychostimulants (Dexedrine, Ritalin) sont à peu près les seuls médicaments ayant une « indication » pour les enfants en psychiatrie. Pour prescrire les autres, les médecins se basent sur l’expérience clinique et les études qui sont publiées.

« Quand on dit qu’il n’y a pas d’indication, c’est que la compagnie pharmaceutique n’est pas allée chercher l’indication ; ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de groupes de recherche indépendants, dans les milieux universitaires, qui ont fait des études », précise le Dr Charland. Il souligne que des études ont montré, tant pour les antipsychotiques que pour les antidépresseurs, une efficacité chez les adolescents, en faisant attention, toutefois, aux effets secondaires.

Mais à 3, 4 ou 5 ans, le cerveau n’est-il pas en plein développement ?

Frédéric Charland convient qu’avant d’en arriver à prescrire un médicament à un enfant, il faut regarder attentivement les avantages et les effets négatifs possibles. « Le médicament devrait être un ajout à un traitement psychosocial qui est déjà en place et qui connaît des limites », dit-il.

MANQUE DE RESSOURCES

Malheureusement, déplore Frédéric Charland, les ressources manquent souvent à l’appel.

« Il n’est pas rare de voir un enfant qui a un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme à l’âge de 4 ans attendre six mois, un an, un an et demi après des services psychosociaux, dit-il. Des fois, on va en venir à la prescription d’un antipsychotique dans le cadre où, malheureusement, les ressources ne sont pas là. Et ça, ça ne devrait pas être le cas. »

Le manque de ressources, note le Dr Charland, est probablement encore plus criant aux États-Unis. C’est d’ailleurs peut-être ce qui explique le nombre beaucoup plus élevé d’ordonnances chez nos voisins du Sud…

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