À ma manière

L’enseignante devenue entrepreneure… à Madagascar

Partie à Madagascar pour un mandat d’aide internationale, Denise Cléroux y a ensuite mis sur pied une entreprise de confection et d’exportation d’articles décoratifs et vestimentaires qui, à son apogée, a regroupé 4000 ouvrières et artisanes malgaches.

« Il fallait avoir la foi, être entêtée même, envers ce qui pouvait se faire à Madagascar. En plus d’être travaillante et créatrice avec le peu que l’on avait à notre disposition », a raconté Denise Cléroux lors d’un récent entretien avec La Presse.

C’était à quelques jours du lancement, demain, de sa biographie La Canadienne de Madagascar, rédigée par Jacqueline Cardinal, biographe et chercheuse en leadership à HEC Montréal.

Cette biographie raconte le parcours personnel et entrepreneurial hors de l’ordinaire de Mme Cléroux depuis une quarantaine d’années dans la grande île-nation au large de la côte est africaine.

Partie à Madagascar en 1970 pour un mandat d’enseignante de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), Mme Cléroux y est demeurée ensuite à titre de représentante consulaire du Canada.

Puis, en 1979, décelant un potentiel d’affaires avec l’artisanat malgache, elle fonde les Ateliers Denise Cléroux en banlieue de la capitale, Antananarivo.

Ses premières affaires se feront avec l’exportation de pièces de cuir de zébu, un bovin à bosse très répandu en Afrique et au Proche-Orient, vers des fabricants d’Italie et d’Amérique du Nord.

S’y ajouteront des articles de papeterie décorative, incluant des cartes de souhaits pour l’agence d’aide internationale UNICEF, qui s’écouleront à plus de 2,5 millions d’exemplaires au fil des ans.

Un succès commercial « made in Madagascar »

En 1989, une rencontre fortuite à Antananarivo avec la designer australienne Helen Kaminski, qui recherche alors des fournisseurs de fibres végétales de qualité pour la confection d’accessoires vestimentaires de temps chaud, amène Denise Cléroux à lui proposer de fines tresses de fibres de raphia – un palmier – confectionnées par les artisanes malgaches qu’elle connaît à son entreprise.

Rapidement, les affaires des Ateliers Denise Cléroux avec Helen Kaminski évoluent de la fourniture de tresses de raphia pour des chapeliers en Australie vers la confection complète de chapeaux à large rebord vendus sous l’étiquette Kaminski dans des boutiques huppées aux États-Unis, en Europe et en Asie.

Au fil des ans, ces chapeaux à large rebord de fibres tressées et les sacs à main assortis acquièrent une grande popularité en tant qu’accessoires vestimentaires chics en mode estivale.

Le succès commercial de ces chapeaux et sacs « made in Madagascar » se traduit par un rayonnement d’affaires jamais vu auparavant pour une entreprise originaire de ce pays considéré comme très sous-développé.

À leur apogée, à la fin de 2008, les Ateliers Denise Cléroux regroupent près de 4000 travailleuses-artisanes réparties entre deux « zones franches » pour les entreprises exportatrices établies près de la capitale malgache.

En raison de cette ampleur, aussi, Mme Cléroux se retrouve souvent interpellée à titre d’entrepreneure à rôle social auprès d’ouvrières artisanes mal prises dans leur vie familiale et conjugale.

« J’ai souvent dû servir de confidente et de conseillère pour plusieurs de ces femmes très démunies, pour lesquelles le travail d’artisane était le principal gagne-pain de leur famille. Cette situation engendrait parfois des tensions et des abus, même, dans certains milieux plus traditionalistes de la société malgache, à propos de la place des femmes dans la société. »

— Denise Cléroux

Des troubles sociaux qui mènent à la retraite

À cette époque aussi, un nouvel épisode de crise politique se tramait dans les cercles du pouvoir dans la capitale malgache. L’année 2009 s’est amorcée avec des manifestations violentes dans les rues d’Antananarivo. Aussi, des activistes syndicaux et politiques ont décidé de s’en prendre aux entreprises les plus en vue dans la capitale malgache. Et, selon Denise Cléroux, avec une ferveur singulière contre les entreprises dirigées par des étrangers et leurs employés.

Dans ses ateliers, Mme Cléroux soutient que ce harcèlement a provoqué une détérioration du climat de travail et du contrôle de qualité, pourtant essentielle avec des clients exigeants comme la designer Helen Kaminski.

« À un moment donné, ma patience était à bout. Face aux perturbations et à l’intimidation croissante des activistes, j’ai décidé d’entamer la fermeture de mes ateliers. C’était aussi une décision de retraite après 30 ans comme entrepreneure », relate Mme Cléroux.

Cette fermeture s’est étalée sur quatre ans. Ce qui a laissé du temps aux nombreuses ouvrières artisanes pour se trouver un autre travail, alors que l’économie malgache tentait de s’extirper de la crise nationale de 2009.

Cette année-là, le PIB de Madagascar a basculé de 4,7 % après quelques années de croissance avantageuse de 5 à 7 %. Selon le FMI, l’économie malgache vient de retrouver en 2016 une croissance d’au moins de 4 % par an, qui pourrait s’élever à 4,5 % en 2017.

Retraite active

Dans ce contexte, Denise Cléroux entretient de bons et de moins bons souvenirs de sa fin de carrière d’entrepreneure à Madagascar.

« Je suis fière de ce qui a été accompli dans mes ateliers, d’autant que ce n’était pas alors dans la mentalité malgache de “voir grand” avec les ressources et les talents dont ils disposaient, explique-t-elle.

« J’en voudrai toujours à ces militants syndicaux et politiques qui s’en sont pris à des entreprises comme mes Ateliers, faisant reculer ainsi les progrès économiques et sociaux qui avaient été réalisés pour les femmes malgaches les plus dépourvues. »

— Denise Cléroux

Malgré tout, Denise Cléroux vit une retraite active à Madagascar.

Elle vient de faire don d’une propriété champêtre qu’elle a longtemps habitée en banlieue d’Antananarivo à un projet de village d’accueil pour les plus démunis de la capitale malgache.

Aussi, Mme Cléroux prépare sa participation au 16Sommet de la francophonie, qui aura lieu à Madagascar du 26 au 28 novembre prochain. Elle y aura un kiosque de commémoration des 30 ans d’activités des Ateliers, avec des photos et des articles de l’époque. Elle demeure aussi en contact avec plusieurs des ouvrières artisanes qui y ont travaillé.

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