Dépotoir illégal en montérégie

Un « danger grave pour l’environnement et la vie humaine »

La fonte des neiges pourrait avoir un goût amer dans un secteur rural du sud de la Montérégie. Un dépotoir illégal qui se remplit à un rythme effréné représente « un danger grave » pour la santé de résidants qui risquent à tout moment de voir leur eau potable contaminée, selon le ministère de l’Environnement.

Les effluves ont pris l’inspectrice Julie Laforme au nez alors qu’elle marchait dans l’ancienne sablière du chemin Ridge, à Godmanchester, le 3 octobre dernier. Une odeur « très désagréable, à la limite du supportable », qui rappelait à la fois le vomi, les œufs pourris, le soufre, les matières en décomposition, la cave humide et le gypse, selon son rapport.

« On se bouche le nez, puis on ne veut pas rester là », a écrit l’experte du ministère de l’Environnement, dans le document consulté par La Presse.

L’ancienne sablière, située au-dessus de la nappe phréatique où les résidants du coin puisent leur eau, est remplie de déchets de construction à l’origine incertaine. Lors de leur visite en octobre, les experts du Ministère ont utilisé un appareil et constaté la présence de gaz, du sulfure d’hydrogène, qui s’échappait des tas de matières résiduelles. Des crevasses étaient apparues dans les rebuts compactés.

Presque assez chaud pour cuire un rôti

Les inspecteurs ont plongé un thermomètre d’un mètre de long dans le sol. Alors qu’il faisait 22 degrés Celsius dehors, le sol était chaud. Jusqu’à 58 degrés par endroits, soit à peine 2 degrés de moins que la température minimale recommandée pour cuire un rôti de bœuf de manière sanitaire dans un restaurant au Québec.

« Ces températures élevées sont représentatives d’activités microbiologiques et/ou de décomposition. »

— Une inspectrice du ministère de l’Environnement

Les inspecteurs du Ministère connaissent bien le site de l’ancienne sablière du rang Ridge depuis son rachat par l’homme d’affaires Mario Landry, un acteur important dans le marché des déchets de chantiers de construction. M. Landry est notamment propriétaire du centre de tri Mélimax, à Châteauguay, d’un écocentre dans la même ville et du centre de récupération de métaux Recyclage Freeland, à Saint-Constant.

L’homme d’affaires avait défrayé la manchette entre 2006 et 2008 parce qu’il exploitait un centre de tri de matériaux secs accusé de procéder à de l’enfouissement de déchets en milieu humide sur la réserve de Kahnawake, dans la foulée d’une enquête du quotidien Le Devoir. L’entrepreneur avait l’aval du conseil de bande pour ses activités, mais après des manifestations de citoyens et une intervention de Québec, il avait accepté de déplacer ses activités.

Toujours en 2008, M. Landry a acheté l’ancienne sablière de Godmanchester et demandé à l’utiliser comme lieu d’enfouissement.

Mais le ministère de l’Environnement a jugé ce nouveau projet inacceptable parce que le site est beaucoup trop perméable : tout contaminant jeté à cet endroit risque de s’infiltrer rapidement dans le sol et d’atteindre la nappe phréatique, selon la déclaration sous serment d’une ingénieure du Ministère.

L’entreprise de Mario Landry a bien obtenu en 2011 une autorisation pour concasser et tamiser de la pierre, du béton ou du ciment dans l’ancienne sablière, « mais ce certificat d’autorisation ne permet d’aucune façon d’enfouir, de déposer ou de rejeter des matières résiduelles sur le site », précisent les documents du Ministère.

Explosion des quantités

Or, une série d’inspections ministérielles depuis ce temps ont démontré que le site est utilisé illégalement pour enfouir des montagnes de déchets de construction, dont certains proviendraient de centres de tri ou de recyclage.

Les amas de matières résiduelles ont grossi à un rythme effréné depuis 2014, selon les fonctionnaires :

2014 : 10 000 m3

2015 : 55 675 m3

Mars 2016 : 115 200 m3

Juin 2016 : 182 000 m3

Dans leurs rapports déposés en cour, les inspecteurs disent avoir vu parmi les débris des plastiques divers, du métal, de l’isolant, du bois, du polystyrène, de la brique, de la céramique, des balles de tennis, des tuyaux de PVC, des films, du gypse, des bardeaux d’asphalte, du cuir, des téléphones et des circuits imprimés, entre autres.

Les odeurs sont passées de simples « odeurs de vidanges » à des odeurs plus marquées « d’œufs pourris » pour ensuite culminer dans ce mélange « à la limite du supportable » décrit dans le rapport d’octobre dernier.

Lors d’une des visites, les inspecteurs ont vu trois camions semi-remorques venus déverser des matières résiduelles provenant du Centre de tri Mélimax, selon les documents déposés en cour par le Ministère. Des avis de non-conformité ont été donnés à plusieurs reprises, sans grand effet.

Sous le couvert de l’anonymat, plusieurs sources ont souligné à La Presse la position délicate du Ministère dans ce dossier : si le propriétaire du site devait faire faillite et fermer ses portes, le gouvernement risquerait de se retrouver avec un site « orphelin » énormément contaminé sur les bras, avec les coûts de réhabilitation à débourser.

Danger pour l’eau potable

En attendant, les rapports du Ministère font état d’un « danger grave pour l’environnement et la vie humaine », rien de moins.

Les dommages sont déjà « pratiquement irréversibles » pour l’environnement, mais les fonctionnaires s’inquiètent aussi pour la santé des résidants des environs, dont les maisons ne sont pas reliées à un réseau d’aqueduc. Les résidants tirent leur eau potable de puits connectés à la nappe phréatique qui se trouve sous les matières résiduelles, voire directement en contact avec celles-ci, par endroits.

« Les photos aériennes démontrent que les matières résiduelles sont maintenant en contact avec la résurgence de la nappe libre et qu’il y a maintenant entreposage de matières résiduelles à proximité d’autres lieux de résurgence de la nappe. »

— Le ministère de l’Environnement

« Une contamination de la nappe phréatique notamment par de l’arsenic, du Bore, Benzo(A)pyrène, cadmium, chlorure, chrome, composé phénolique, fer, formaldéhyde, mercure, nickel, plomb, sodium, sulfate, sulfure ou zinc est à craindre », poursuivent les documents judiciaires, qui évoquent aussi un risque éventuel de contamination « encore plus dommageable » qui viendrait de « matières résiduelles dangereuses telles que BPC, hydrocarbures, huiles usées, solvant chloré ».

Le Ministère a expliqué à La Presse qu’une analyse des puits d’eau potable de huit résidences des environs, en avril 2017, n’avait pas encore révélé de contamination. La prochaine vérification aura lieu pour le retour du printemps, le mois prochain.

Le propriétaire se défend

À l’été 2016, le Ministère avait demandé à la Cour supérieure de prononcer une injonction pour forcer l’entreprise de Mario Landry à cesser le dépôt et l’entreposage de déchets de construction, mais aussi pour la contraindre à tout nettoyer.

En attendant que l’affaire soit jugée sur le fond, l’entrepreneur s’était engagé à ne pas accepter de nouveaux chargements sur le site. Comme la quantité de matières résiduelles accumulées sur place a toutefois continué d’augmenter, le Ministère a demandé qu’il soit cité pour outrage au tribunal. L’audition pour outrage devait avoir lieu la semaine dernière, mais elle a été remise à une date indéterminée, car l’avocate de l’entrepreneur n’était pas disponible.

Aucune date n’a été fixée à ce jour pour l’audition sur le fond concernant la demande d’injonction.

L’entreprise de Mario Landry entend bien se défendre. Elle dit n’avoir fait que du concassage et tamisage de béton, pierre et ciment sur le site, comme le prévoit son certificat d’autorisation. Elle assure ne pas déverser de matières interdites sur le site, mais fait valoir qu’il s’agit d’un endroit reculé, où bien des gens pourraient être tentés de se débarrasser de déchets loin des regards.

« Il y a un cadenas et une barrière à l’entrée du site. Mes clients barrent chaque fois qu’ils s’en vont. Mais les cadenas ont souvent été coupés et il pourrait y avoir d’autres gens qui sont allés jeter des choses. »

— Me Sophie Cardinal, avocate de Mario Landry

« Ils ne peuvent pas avoir un gardien sur place en tout temps », a poursuivi Me Cardinal, questionnée par La Presse.

Environnementalistes inquiets

Ce genre de sites inquiète depuis longtemps Richard Marois, vice-président du Conseil régional de l’environnement de la Montérégie. « Tu mets des matériaux secs un peu partout, puis ton eau qui vient des poubelles finit par entrer dans la nappe phréatique », résume-t-il.

Le redoux à la fin de l’hiver ne fait rien pour aider ce genre de situations, ajoute l’environnementaliste. « Quand tu arrives à la fonte des neiges, c’est comme si tu avais une grosse pluie diluvienne, l’eau va rentrer dans le fond », dit-il.

Depuis des années, M. Marois croit que la solution pour éviter le dépôt de matières résiduelles dans des sites non autorisés serait un contrôle plus serré du transport des déchets de chantiers.

« Présentement, quelqu’un vient chercher tes matières résiduelles, et tu n’es plus responsable s’ils les jettent dans le champ. Il faudrait que le transport soit contrôlé du début à la fin, pour qu’on sache où ça s’en va », insiste-t-il.

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