Sans filtre  Aleksandra Wozniak

Pourquoi je m’accroche

Aleksandra Wozniak a longtemps été le visage du tennis au Québec et au Canada. Elle est devenue en 2008 la première Québécoise de l’histoire à gagner un tournoi WTA, à Stanford. Aujourd’hui, après une longue absence pour blessure, elle tente de revenir au sommet. Après deux titres ITF en 2017, elle pensait que 2018 serait une belle année. La voilà plutôt sans aide de Tennis Canada, sans commanditaires et obligée de se tourner vers le sociofinancement pour poursuivre sa carrière. Pourtant, elle s’accroche. Son récit.

C’est vraiment dur. Pour la première fois de ma carrière, je demande de l’aide. Je n’ai jamais demandé d’aide à personne. Mes parents ont immigré de la Pologne en 1983. Ils ont tous les deux eu deux emplois pour payer les dépenses associées au tennis quand j’étais toute jeune. C’est mon père qui m’a montré à jouer.

Je n’avais qu’un rêve de petite fille, je voyais Monica Seles à la télé, je voulais être comme elle un jour. Mes parents m’ont toujours encouragée, ils n’ont jamais dit non, c’est trop dispendieux. Ils ont travaillé fort. Après, j’ai eu l’aide de la fondation FIDA. Des gens d’affaires ont créé cette fondation-là pour appuyer les athlètes au Québec qui vont aussi à l’école. 

J’ai été troisième au monde chez les juniors. J’ai fait les demi-finales des Internationaux d’Australie juniors, les quarts de finale de Wimbledon junior. Je pouvais y aller grâce à cet argent-là. Puis le gérant de TennisZon Yvon Gilbert a organisé une collecte de fonds pour moi. Il a cru en mon talent et il voyait les heures que je mettais dans mon entraînement. C’est grâce à des gens comme ça, qui se démènent pour te venir en aide, que ma carrière a commencé.

Aujourd’hui, je n’ai plus de commanditaires, tous mes contrats sont terminés. Ça me fait mal au cœur aussi de ne pas avoir d’appui de la Fédération de tennis du Canada. Zéro. J’ai été l’une des premières Québécoises à mettre le tennis d’ici sur la carte. J’ai été la première Québécoise classée 21e au monde. J’ai été la première Québécoise à gagner un tournoi WTA, à Stanford en 2008. Serena Williams, Marion Bartoli, Francesca Schiavone : j’ai battu plein de joueuses du top 10 pendant cette année-là. J’ai fait la Fed Cup avec un tendon déchiré dans l’épaule.

J’ai tout le temps dit oui. J’ai été la première Québécoise à jouer en simple pour le Canada aux Jeux olympiques, à Londres, en 2012. J’ai été la première Québécoise en quarts de finale à la Coupe Rogers, à Montréal en 2012. J’ai fait plein de choses, mais maintenant, on me dit d’améliorer mon classement et on va voir ce qu’on peut faire. 

J’ai gagné deux tournois l’année dernière, à Stillwater et à Gatineau sur le circuit de l’ITF, et j’ai joué tous les tournois au Canada. Vous me dites : fais-en encore un peu plus et on va voir ce qu’on peut faire ? Oui, mais comment ? Je ne peux même pas participer aux tournois, je n’ai pas l’argent pour le faire. J’ai parlé à Tennis Canada au printemps, je leur ai dit que je ne pouvais même pas me payer un entraîneur. Ce dont j’ai besoin, c’est un entraîneur qui me suit. J’étais toute seule pour mes trois tournois cette année.

Je suis triste parce que c’était la première fois de ma vie que je demandais de l’aide à Tennis Canada. Je leur ai demandé deux ou trois fois, et c’est non. La porte est fermée. C’est eux qui choisissent à qui va l’argent parmi les athlètes. Il y a un comité à Tennis Canada et ils choisissent qui ils veulent aider, selon certains critères.

J’ai envie de leur dire que le tennis a changé. J’ai vu Patty Schnyder participer à tous les tournois à l’automne avec son mari et sa petite fille. Elle a bien fait, elle a remonté son classement. Elle a 39 ans. Schiavone a 38 ans. Tant que tu es en forme, tu peux jouer. Tu peux jouer à n’importe quel âge. Je vois plein de filles qui jouent passé 30 ans, l’âge que j’ai en ce moment. Ce n’est pas une question d’âge. L’âge, c’est une excuse. C’est à qui ils veulent donner l’argent, le vrai enjeu. 

Je voulais partir faire les tournois en Europe cette année et je n’ai pas pu. C’est pour cette raison, en avril, que j’ai approché d’anciens commanditaires et Tennis Canada. J’ai donc dû rester ici et continuer à m’entraîner, essayer d’approcher d’autre monde.

grâce à... GoFundMe

Certaines personnes qui ont entendu parler de ma situation m’ont présenté GoFundMe [une plateforme de sociofinancement]. Elles voulaient contribuer, m’aider pour mon tennis. J’ai ouvert la page GoFundMe grâce aux fans, ceux qui suivent ma carrière depuis le début. C’est comme ça que les gens ont commencé à mieux connaître ma situation, comment c’était dur.

Le groupe visuel IRIS m’a soutenue bien avant que je sois 21e au monde, ça faisait plus de dix ans qu’ils étaient avec moi. L’été dernier, ils ont été rachetés par un autre groupe et les choses ont changé. Mais ils m’ont aidée l’année dernière, c’est pour ça que j’ai pu participer à des tournois, voyager, payer les billets d’avion, payer les entraîneurs. Aller en Australie m’a coûté 20 000 $ pour cinq semaines. Un entraîneur, c’est 2000 $ en salaire par semaine, sans compter l’avion et l’hébergement.

Il y a des tournois où les organisateurs offrent de l’hébergement gratuit pour les joueuses dans des familles d’accueil. On est plusieurs à utiliser cette manière de réduire les dépenses. Surtout que tu paies déjà ton entraîneur, parfois aussi l’entraîneur physique qui te suit en tournoi. Ça coûte très cher. Tu vas rester dans la famille d’accueil et les entraîneurs vont rester à l’hôtel. Au moins, tu épargnes de l’argent pour ton propre hébergement. 

Tu t’habitues à vivre chez des gens que tu ne connais pas, même quand tu as connu les belles conditions du circuit de la WTA. Tu dois t’ajuster. Je suis sociable et ouverte, donc ça m’aide. De toute façon, je n’ai pas le choix. Je dois réduire mes dépenses parce qu’on a besoin des entraîneurs pour bien performer et être mieux classés. Tu ne peux pas voyager seule. Je l’ai fait, c’est très difficile.

Des fois, tu n’as aucune joueuse pour t’échauffer. Quand ton match est à 9 h du matin, personne ne va venir échanger des balles à 7 h du matin avec toi. Cette année, de janvier à avril, j’ai participé à trois tournois. J’étais prise avec des matchs de qualifs à 9 h où je n’avais pas pu m’échauffer.

Je n’ai plus d’appui de Tennis Canada, donc je ne peux plus amener un entraîneur en tournoi. C’est aussi simple que ça. Je n’ai aucune entrée d’argent à part ce que je gagne en tournoi. Ceci dit, j’ai été touchée qu’il y ait autant de gens qui veuillent m’aider avec la plateforme GoFundMe. Les 5000 $ amassés sont partis en deux semaines pour payer les entraîneurs. Ça va super vite.

Donc je m’entraîne dehors dans des parcs publics avec des partenaires d’entraînement que je trouve ici et là. Il y a plusieurs jeunes joueurs au Tennis 13 (un centre sportif) qui ont eu des bourses universitaires. Je m’entraîne avec eux. 

S’accrocher

Pourquoi je m’accroche ? Je suis sûre que vous vous posez la question.

Quand j’étais petite, j’ai toujours rêvé d’une longue carrière, tant que ma santé me le permettrait. C’est ma passion. Je veux jouer encore. Je sais que je peux y arriver. L’année passée, si j’avais perdu tous mes matchs, je n’aurais pas continué. Mais j’ai gagné deux tournois et ça m’a donné espoir.

Après mon opération en septembre 2014, je ne pouvais même pas lever mon bras. Je ne savais pas comment j’allais servir. J’ai mis les bouchées doubles pour revenir un an plus tard. J’ai eu tellement de physio à payer pendant un an de temps. J’ai eu trois vis dans l’os, j’ai dû réapprendre à servir. J’ai tout fait.

Plusieurs me disaient que dans ma situation, ils auraient abandonné. Pourquoi abandonner ? C’est tellement facile. Souffrir pour revenir au jeu, je suis comme ça, je suis persévérante. J’ai travaillé très fort en 2016, puis en 2017, j’ai eu de bons résultats. Mon classement continuait à monter. Je m’attendais à ce que 2018 soit une bonne année, mais ça a complètement arrêté pour des raisons financières.

C’est difficile, mais j’ai essayé de ne pas le montrer. J’en ai parlé seulement à mes proches, car ils ont vu ce que j’avais vécu. Le classement, l’âge… Regardez les résultats de l’année passée. Vous ne voulez pas aider ? Il n’y a aucune Canadienne dans le top 100. J’ai passé toute ma vie sur le circuit. J’ai joué toutes les Fed Cup pour le pays. La vérité est que les joueuses sont payées aujourd’hui pour jouer à la Fed Cup. Je continue à cogner à des portes, à rencontrer des gens.

Tennis Canada m’a fourni un entraîneur quelques semaines en revenant de ma blessure, puis plus rien. Ils m’ont aussi donné quelques laissez-passer dans des tournois canadiens. Mais j’ai besoin d’un entraîneur à temps plein. Pourquoi les filles du top 10 restent-elles dans le top 10 ? Parce qu’elles peuvent avoir les meilleurs entraîneurs, les meilleurs entraîneurs physiques, elles ont des physios et des masseurs à temps plein.

Pour les dépenses de tous les jours, l’épicerie, je me débrouille. Il arrive des jours où je me demande comment je vais faire, mais je trouve des manières d’y arriver. Tout le temps. C’est un sport individuel, le tennis, tout dépend de toi. Tu apprends à te débrouiller.

Cette année, je vais voir comment ça va aller. Un jour, je sais que je vais commencer un nouveau chapitre. Quand ça va arriver, et je sais que ça va arriver, je veux avoir un impact. Pas juste travailler pour travailler et être malheureuse. Je ne vais pas faire quelque chose seulement pour l’argent. Ma vie, ce n’est pas ça, ça n’a jamais été ça.

Après le tennis, j’aimerais travailler avec les enfants. J’adore les enfants. J’ai visité beaucoup d’écoles dans ma vie. C’est comme ça que tu peux avoir un impact et aider la prochaine génération. Peut-être, aussi, aider ceux dans ma situation, sans commanditaires, ou avec les parents qui ont beaucoup payé. Je veux faire une différence chez les jeunes. 

Sans filtre

La réaction de Tennis Canada

L’entraîneur Sylvain Bruneau a accepté de réagir aux propos d’Aleksandra Wozniak

À propos de la politique de Tennis Canada

« Comme joueuse et comme personne, j’aime Aleksandra. On l’aime tous à Tennis Canada. Elle a eu de très bons résultats dans sa carrière. Elle pense qu’elle a ce qu’il faut pour revenir à un bon niveau et je suis entièrement d’accord avec elle. Je lui ai dit qu’on pouvait l’aider, mais ce n’est pas exactement comment on l’aidait par le passé. Quand un joueur sort des rangs juniors et qu’il a eu de bons résultats, pendant cinq à sept ans, on met en place une aide et on engage souvent un entraîneur individuel. On paie toutes les dépenses, le salaire, pour l’entraîneur. On l’a fait pour Eugenie Bouchard, Milos Raonic, Aleksandra, plein d’autres. Lorsque des joueurs arrivent à un certain âge, on a des ressources limitées, on ne peut pas faire ça pour tout le monde toute sa carrière. »

À propos de la proposition qu’il a faite à Aleksandra

« Elle m’a approché pour me dire qu’elle voulait revenir dans le top 100. J’y crois, il y a de plus en plus de joueuses qui jouent bien dans la trentaine. Je lui ai dit qu’elle pouvait avoir accès au centre national en tout temps pour ses entraînements et sa préparation physique. Toutes les installations et les entraîneurs sur place et nos préparateurs physiques. J’ai souvent travaillé avec elle et on a une très bonne relation.

« Elle m’a aussi expliqué qu’elle avait trouvé difficile de faire des compétitions seules sur la route. Je comprends, ça l’est pour tout le monde. Pendant presque toute sa carrière, on l’a bien chapeautée avec un entraîneur individuel. Mais comme c’est le cas pour Rebecca Marino et d’autres, on ne peut pas lui offrir un entraîneur individuel, car nos ressources sont limitées. Mais sur les tournois canadiens, ou certains tournois aux États-Unis, je serai sur place, ou Simon Larose, ou les deux, tout le temps. J’ai dit à Aleksandra qu’on pourrait s’occuper d’elle. Est-ce que ce sera d’une façon individuelle ? Non. Mais comme plein d’autres fédérations, souvent un entraîneur travaille avec plusieurs joueuses sur le circuit. Je lui ai expliqué ça et on s’était entendus. Puis elle s’est blessée au genou et elle a retardé tous les tournois, mais je pensais qu’on avait une entente. »

« Ce n’est pas comme si on ne voulait pas lui offrir de l’aide, mais ce n’est peut-être pas l’aide qu’elle aurait souhaitée. On n’est pas capables de faire ça pour toutes les joueuses professionnelles au Canada. »

Sylvain Bruneau, entraîneur pour Tennis Canada

« Je pense qu’on lui offrait quelque chose de très intéressant. Peut-être qu’elle préfère s’entraîner avec son père ou plus près de chez elle à Laval. C’est correct aussi.

« Ce n’est pas parce qu’elle est descendue au classement. Eugenie, Milos, Vasek Pospisil, on ne paie pas leur entraîneur. Ces joueurs sont sortis du laps du temps où on les aidait. Même si elle remonte au classement, on continuerait à l’aider comme je lui ai proposé. Je pense que c’est très bien. C’est vrai qu’elle est partie seule en tournoi, mais il faut coordonner avec nous, qu’on fasse le plan ensemble pour savoir où seront les entraîneurs. »

— Propos recueillis par Jean-François Tremblay, La Presse

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