Du président Rambo au candidat Kane
La Presse
C’est une légende urbaine qui a traversé les décennies. Fraîchement élu président, Ronald Reagan, un ancien acteur de série B, aurait demandé à être conduit dans le « war room »… une pièce du Pentagone qui n’existe, hélas, que dans la comédie noire de Stanley Kubrick
(1964).Aux États-Unis, cinéma et politique font si bon ménage qu’il devient parfois difficile de distinguer la réalité de la fiction. Les grands genres du cinéma américain ont fourni les grands mythes de la société américaine, croit Pierre Barrette, professeur à l’École des médias de l’UQAM.
« Les Américains se perçoivent comme étant nés à l’époque du western, ils perçoivent le couple à travers la comédie musicale, le policier à travers la figure du
dans les films noirs, etc. Il y a toujours un rapport de médiation entre la production d’une réalité seconde, qui est la réalité cinématographique, et la réalité sociologique, économique », indique-t-il.Plus que tout autre président américain, Ronald Reagan a incarné le point de passage entre l’univers cinématographique et l’univers politique, souligne M. Barrette.
Ainsi, en 1982, deux ans après son élection, Reagan lance l’Initiative de défense stratégique, qui vise à détecter de potentielles attaques soviétiques au moyen d’un réseau de satellites. Les médias baptisent le projet « Star Wars ».
Ronald Reagan salue l’analogie et va même jusqu’à se servir de la philosophie manichéenne du célèbre film de science-fiction pour qualifier l’URSS d’« empire du Mal ». Une appropriation qui irrite tant le réalisateur de
George Lucas, qu’il tente de poursuivre, sans succès, la Maison-Blanche.À l’été 1985, avant un discours à la nation dans le Bureau ovale, l’homme le plus puissant du monde discute avec des reporters et son personnel ; il a vu
la veille et sait dorénavant « qui appeler » si une nouvelle crise d’otages se présente, rapporte le à l’époque. Dans le populaire film d’action, Sylvester Stallone mène à lui seul une opération de sauvetage au Viêtnam, où sont emprisonnés des prisonniers de guerre abandonnés par leur gouvernement.Un des films les plus idéologiques des années Clinton est aussi l’un des plus aimés du grand public :
(1994). William F. Buckley, un des penseurs du conservatisme américain, le qualifie de « meilleur film inculpant la contre-culture des années 60 ». Les républicains en font leur mascotte lors des élections de mi-mandat en 1994, qu’ils remportent haut la main.« Forrest, des années 50 aux années 90, par son innocence et sa candeur, arrive à résoudre l’essentiel de toutes les contradictions américaines, soutient le professeur Pierre Barrette. Entre les Noirs et les Blancs, entre la richesse et la pauvreté, entre le Nord et le Sud, entre la culture et la contre-culture, entre l’armée et les pacifistes. Est-ce que ça veut dire pour autant que la société américaine a surnagé ces contradictions-là ? Bien sûr que non. Sauf qu’on a l’impression, à travers l’identification au personnage, que tout ça a été résolu.
« Mieux encore : c’est non seulement résolu, mais c’est résolu d’une façon telle que dans l’image même – grâce aux images de synthèse – Forrest a réécrit l’histoire. Il se retrouve dans les images d’archives avec le président, avec Elvis Presley, et ainsi de suite. Il y a une force idéologique assez considérable là-dedans, à savoir qu’un personnage de fiction, à travers les effets spéciaux, réussit à réécrire l’histoire pour le public de 1994 », conclut M. Barrette.
Dans une chronique publiée dans le
en juillet 2008, l’auteur Andrew Klavan s’empare du succès populaire de , de Christopher Nolan, afin de justifier les mesures les plus controversées du Patriot Act.« Comme W, Batman est vilipendé et méprisé quand il affronte les terroristes avec leurs propres armes. Comme W, Batman doit parfois repousser les limites des droits civils pour faire face à une situation d’urgence », écrit-il.
Si George W. Bush est Batman aux yeux des sympathisants néoconservateurs, la présidence de Barack Obama est présagée par
ou , deux films sortis en 2008, et qui célèbrent l’esprit de « l’organisation communautaire », écrit le critique J. Hoberman dans .Vedette médiatique incontestée de la présente course à la Maison-Blanche, Donald Trump s’est manifesté au cinéma à quelques reprises. Il fait ainsi une apparition éclair (
) dans (1992) et (2001).Johnny Depp l’incarne même dans un moyen métrage parodique diffusé en février sur le site Funny or Die.
Au même moment, le
pondait 1500 mots sur « le film qui a prédit l’ascension de Donald Trump », (1957), l’histoire d’un charlatan démagogue qui se rapproche du pouvoir grâce à son émission de radio.Mais l’alter ego le plus flagrant de Trump est certainement Charles Foster Kane (
1941), ce mégalomane richissime qui nourrit des ambitions politiques.Il s’agit aussi du film préféré de Donald Trump, comme il l’a révélé au documentariste oscarisé Errol Morris dans le cadre d’un projet de film avorté,
Le point de départ de Morris : « Est-il possible que, dans un univers parallèle, Donald Trump ait tenu la vedette dans
? »