Percée scientifique

Une protéine du lait maternel à l’assaut des bactéries résistantes

Les bienfaits du lait maternel pour les nouveau-nés sont connus depuis longtemps. Mais des chercheurs britanniques du University College de Londres et du National Physical Laboratory ont réussi à surpasser la nature en modifiant un des éléments du lait, la lactoferrine, pour en faire un nouvel antibiotique. Dans une ère de superbactéries et de résistance aux antibiotiques, est-ce qu’une molécule présente en nous depuis des milliers d’années pourrait changer la donne ?

L’ALLAITEMENT ET LE SYSTÈME IMMUNITAIRE 

La lactoferrine est une des molécules aux effets les plus divers que l’on retrouve dans le lait maternel. Bien qu’on la retrouve aussi dans les larmes, la salive ou les sécrétions nasales, c’est l’allaitement qui l’offre dans sa plus grande concentration, entre un et sept grammes par litre. Elle est principalement antibactérienne, mais possède aussi des effets antiviraux et antifongiques, ce qui en fait un antimicrobien. 

La lactoferrine n’est qu’une des milliers de molécules bénéfiques présentes dans le lait maternel. En plus de nourrir l’enfant, l’un des rôles les plus importants de l’allaitement est la protection contre les virus et les bactéries. À la naissance, plusieurs défenses immunitaires ne sont pas encore actives. La plupart des barrières que l’on retrouve le long du système digestif et des poumons sont encore très perméables et laissent facilement passer des microbes de toutes sortes. 

En plus, chez les nouveau-nés, le système immunitaire n’a pas terminé son développement et combat très mal tout ce qui tente d’envahir leur corps (d’où l’importance de la vaccination). L’allaitement règle en partie ce problème en fournissant à l’enfant ce dont il a besoin pour combattre les agents pathogènes. 

Les découvertes de nouvelles propriétés du lait maternel sont toujours d’actualité. En 2013, des chercheurs annonçaient qu’une protéine baptisée HAMLET affaiblit les bactéries résistantes aux antibiotiques et aurait même un effet anticancéreux. 

LE FUTUR MÉDICAMENT ? 

C’est en se concentrant sur les propriétés de la lactoferrine que les chercheurs britanniques ont fait leur percée. En étudiant la structure de cette protéine, les scientifiques ont remarqué que l’essentiel de son effet se retrouve dans un petit fragment d’à peine un nanomètre. Après avoir isolé ce fragment, ils en ont changé la structure, lui donnant une apparence semblable à celle d’un virus. 

L’équipe britannique n’était initialement pas en quête d’un antibiotique, mais voulait plutôt créer un nouvel outil pour traiter des maladies génétiques chez l’humain. Mais rapidement, les chercheurs ont constaté que leur découverte avait le potentiel de devenir une arme efficace contre les infections. 

Ces nouvelles structures, capables de reconnaître précisément une bactérie, percent des trous à sa surface dès le premier contact, mais ne font rien si elles se posent sur des cellules humaines. 

Dans un communiqué publié par l’équipe britannique, l’un des chercheurs, Hasan Alkassem, a décrit ainsi le phénomène : « Ce que nous avons observé est surprenant : nos capsules se comportent comme des projectiles, criblant les bactéries avec la vitesse et l’efficacité d’une balle de fusil. » Cet effet serait presque instantané, soulevant l’espoir que des bactéries ne seraient simplement pas en mesure d’y développer une résistance. 

De nombreuses études doivent avoir lieu avant que l’on puisse se procurer un antibiotique extrait de lait maternel en pharmacie. Cette découverte arrive quand même au bon moment ; plusieurs organisations internationales craignent que l’on n’entre dans une ère où les bactéries résistantes pourraient prendre le dessus dans plusieurs régions du monde.

LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES 

La résistance aux antibiotiques est un phénomène de plus en plus courant dans les réseaux hospitaliers. Dans leur premier rapport sur la situation en 2014, les chercheurs de l’Organisation mondiale de la santé préviennent qu’« une ère post-antibiotique – dans laquelle des infections courantes et des blessures mineures peuvent tuer –, loin d’être une fantaisie apocalyptique, est plutôt une possibilité bien réelle du XXIsiècle ». 

Que ce soit les prescriptions systématiques dans les cabinets de médecins (les antibiotiques étant inutiles en cas d’infection virale) ou leur utilisation excessive dans l’élevage industriel, les antibiotiques sont partout. Et les bactéries ne sont pas toutes uniques. Exposées à une certaine dose, quelques-unes seront capables de survivre. Ces bactéries résistantes vont alors remplacer les populations plus fragiles et rendre le médicament complètement inefficace. 

Mieux contrôler l’utilisation des antibiotiques actuels permettra de préserver leur effet pendant un peu plus longtemps. Il faudrait toutefois en découvrir plusieurs nouveaux par décennie pour égaler le rythme avec lequel les bactéries développent des résistances. Le dérivé de la lactoferrine pourrait-il être à la base de nouvelles thérapies contre les superbactéries ?

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