Réflexion

écoanxiétÉ
Un enfant sur fond de fin du monde
Lettre à mon fils Léon

Mon Léon d’amour, tu auras 1 an demain. Tu es né durant la canicule l’été passé, et il y a eu un orage l’après-midi après que nous sommes revenus de la maison de naissance.

C’était un moment puissant et irréel de te tenir dans mes bras. Cette période est un peu floue dans ma mémoire, mais je me souviens clairement avoir été tellement touchée par ta grande vulnérabilité. Tu as été rêvé, désiré et attendu avec impatience, et tu es aimé profondément.

Nous avons décidé de faire un enfant sur fond de fin du monde. Ce fut une décision douloureuse, pas entièrement éclairée, et totalement biaisée par notre envie profonde d’avoir un enfant. 

Pour tout te dire, nous ne réalisions pas la gravité de la situation quand j’étais enceinte de toi.

Nous étions évidemment conscients des changements climatiques, mais ça semblait encore une réalité assez lointaine. Ce serait peut-être pour le prochain siècle. Nous aurions le temps de changer notre mode de vie, de trouver des solutions, d’élever la prochaine génération dans un rapport au monde plus sain que celui qui nous a été inculqué. J’aimerais dire que nous ne savions pas, mais en fait, nous étions aussi beaucoup dans le déni.

Au bord de la catastrophe

Ta naissance a coïncidé avec le dépôt d’un rapport alarmant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). C’est à ce moment que l’ampleur et l’imminence de la catastrophe me sont apparues pour la première fois. J’ai fait davantage de recherches, lu des rapports, des articles. J’y ai appris qu’au cours de ma vie, la moitié de la vie sauvage sur Terre a été éradiquée, et à ce jour, un million d’espèces sont au bord de l’extinction. Quatre-vingt pour cent des forêts de la planète ont été rasées. Des records de température sont continuellement battus un peu partout dans le monde et des incendies de forêt sans précédent font rage. Les glaciers fondent à vue d’œil, menaçant de faire monter le niveau des océans. Les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter en flèche.

À l’aube de ton premier anniversaire, il ne passe pas une semaine sans que de nouveaux rapports toujours plus alarmants soient publiés et nous disent en gros que nous avons encore moins de temps que nous croyons pour éviter un point de non-retour et un emballement catastrophique du climat. 

Soixante-dix ans, puis 12 ans, puis 18 mois. Le temps file pour agir. Des actions radicales sont requises immédiatement pour nous donner une chance d’éviter le pire. Mais au moment où j’écris ces lignes, les médias en parlent comme d’un fait divers, nos élus sont occupés à s’acharner sur les minorités ethniques et religieuses, et tout le monde continue à vivre comme si de rien n’était. Métro, boulot, dodo.

Parmi toutes les choses difficiles à expliquer aux enfants, cette crise climatique et l’inaction généralisée seront certainement la pire de notre époque. Comment en sommes-nous arrivés là ?

J’ai commencé il y a quelques mois à vivre une anxiété envahissante. Insomnie, crises de larmes, émotions à fleur de peau, difficulté à penser à quoi que ce soit d’autre qu’un avenir sombre. Je suis parfois incapable de profiter du moment présent ou d’apprécier pleinement le bonheur de te voir grandir sans avoir peur en même temps. J’ai toujours cette petite voix, dès que je me projette dans l’avenir, qui ajoute « si on est encore là ».

Mes symptômes d’anxiété me semblent une réponse parfaitement saine à l’imminence de la fin du monde. J’ai tout de même demandé de l’aide psychologique, ne serait-ce que pour être fonctionnelle en société et avec ma famille. La médecin qui m’a vue m’a dit que l’écoanxiété est de plus en plus répandue, surtout chez les jeunes. Elle m’a conseillé de commencer la psychothérapie et d’agir pour défendre l’environnement.

En 2019, les effets du réchauffement climatique nous touchent déjà au Québec sous forme d’inondations dans certaines régions au printemps, de canicules plus longues et plus intenses l’été et d’hivers gris et pluvieux. Mais nous avons été largement épargnés jusqu’à maintenant du genre de catastrophes qui touchent déjà d’autres populations dans le monde. Ironiquement, ce sont aussi celles qui ont souvent le moins contribué à la destruction du monde (je pense en particulier aux États insulaires, aux groupes vulnérables, aux nations autochtones et aux autres espèces).

Léon, l’avenir m’inquiète et le présent me révolte. Mais je ne regrette pas de t’avoir mis au monde. Nous avons fait le pari que ta vie vaudrait la peine d’être vécue malgré tout et que le monde se porterait mieux avec toi que sans toi.

Ton existence est le témoignage de ma foi en la résilience du vivant et la puissance des mouvements sociaux – de grands s’en viennent et sont déjà en cours.

En tant que mère, je vis beaucoup de culpabilité de ne pas pouvoir te garantir un environnement sain pour y grandir et peut-être y avoir ta propre famille un jour, si tu veux.

Ce que je peux te promettre

Je n’ai pas de contrôle sur tout, mais je peux te faire certaines promesses. Je vais poursuivre les choix quotidiens visant à réduire l’impact de notre famille, bien que je reconnaisse que les actions individuelles ne suffisent pas et n’ont jamais suffi. Je m’engage à ne jamais te cacher la réalité, et à te donner l’éducation et les outils nécessaires pour que tu uses de tes privilèges sagement, que tu sois débrouillard, critique, responsable et guidé par la compassion.

Je vais résister de mon mieux à la destruction du monde par la désobéissance civile. Et finalement, je me fais la promesse d’être pour toi le meilleur exemple possible de courage, de militantisme, de foi en l’humanité et de respect pour l’ensemble du vivant.

* Cette lettre s’adresse à mon fils et je lui donnerai dès qu’il aura l’âge de comprendre. J’ai choisi de la partager en attendant, parce qu’au point où j’en suis, j’ai besoin de m’ouvrir le cœur et de faire mon coming out d’écoanxieuse. En plus, rendre mes promesses publiques m’obligera à les tenir. C’est un manifeste personnel. J’espère aussi toucher d’autres personnes, amorcer des conversations sur l’environnement et la santé mentale, construire des réseaux de militantisme et de soutien et faire une brèche de plus dans le déni collectif, peut-être. Merci de vous être rendus jusqu’ici.

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