TÉMOIGNAGE

Nous sommes sages-femmes

Inspire, expire…

On peut entendre ces paroles, tel un mantra, lors des contractions rythmées qui nous mènent tout doucement vers la rencontre d’un nouvel être. Une vie, telle une flamme naissante, viendra bientôt illuminer le quotidien de nouveaux parents. Nous sommes témoins privilégiées de ce moment magnifique, suspendu dans le temps. Nous sommes sages-femmes.

Sage-femme, dites-vous ? Comment y avoir accès ? Est-ce sécuritaire ? Près de 20 ans après la légalisation de notre pratique, celle-ci continue à faire l’objet de bien des mythes. Le mot « sage-femme » lui-même fascine. On s’en rend compte chaque fois qu’il est prononcé et qu’il suscite, encore et encore, une pléthore de questions.

Professionnelles du réseau

En tant que sages-femmes et professionnelles de première ligne dans le système de santé québécois, nous accompagnons les femmes tout au long de leur grossesse, pour leur accouchement et au cours de la période post-natale, jusqu’à six semaines après la naissance.

Notre formation universitaire de quatre ans et demi nous permet d’acquérir les compétences cliniques nécessaires pour assurer ce suivi (prescription des examens de laboratoire et des échographies, prise de signes vitaux, mesure utérine, palpation, écoute du cœur fœtal, examens vaginaux, surveillance de l’évolution du travail, prescription et administration de certains médicaments, etc.).

Nous sommes également formées pour gérer les urgences obstétricales et prodiguer la réanimation néonatale avancée lorsqu’elle est requise. 

Un « service de sage-femme » est rattaché à un CISSS ou à un CIUSSS et conclut des ententes de collaboration avec un ou plusieurs centres hospitaliers du territoire desservi, ainsi qu’avec les services ambulanciers. 

Ainsi, nous faisons appel à un médecin ou lui transférons les soins seulement si une condition médicale le requiert. La femme qui décide d’accoucher avec une sage-femme peut le faire à domicile, en maison de naissance là où l’installation existe, ou encore à l’hôpital. Une sage-femme lui est attitrée dès le début du suivi de sa grossesse, et assure avec sa partenaire une disponibilité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour répondre aux inquiétudes et aux urgences. Quand on dit que nous pouvons désengorger les cliniques et les hôpitaux, en voici un exemple éloquent ! En outre, nous devons être membres en règle de l’Ordre des sages-femmes du Québec pour pratiquer. Voici donc un modèle de pratique tout à fait sécuritaire, en plus d’être couvert par le régime d’assurance maladie du Québec.

Veiller plutôt que surveiller

Voilà, grosso modo, pour l’aspect clinique. Mais ce à quoi nous tenons le plus, nous ainsi que les femmes qui s’en remettent à nos bons soins, c’est notre approche globale, qui tient compte de toutes les dimensions interreliées de la maternité (physique, émotive, familiale, sociale, psychologique, culturelle). 

Les services à domicile que nous prodiguons, tels que les évaluations ponctuelles en grossesse, lorsque requises, la possibilité d’accoucher chez soi et les visites postnatales rapprochées, assurent le bien-être de la mère et du nouveau-né de même que la réussite de l’allaitement. Quoi de mieux que cette continuité des soins pour créer du lien, installer la confiance, faire des choix éclairés et préparer la famille à l’un des plus beaux événements qui soient ! 

Nous croyons fondamentalement que la grossesse, l’accouchement et la naissance des bébés sont des processus physiologiques normaux.

L’histoire – et plus récemment les données probantes ! – nous rappelle que la meilleure façon d’assurer la sécurité de la mère et de son bébé est de protéger la physiologie du processus de la mise au monde. Veiller plutôt que surveiller, c’est ainsi qu’on se rappelle humblement de « s’asseoir sur nos mains », de faire confiance, d’observer et de s’émerveiller. 

Parfois, la vie n’est pas parfaite et là, nos mains habiles savent poser le bon geste, au bon moment. Ce judicieux mélange de connaissances, d’expérience, de compétences et de sagesse nous permet d’intervenir lorsque nécessaire.

Des économies pour le système de santé

Une analyse de coûts publiée en 2016 démontre une économie de 25 % pour l’accouchement avec sage-femme et de 53 % pour le suivi postnatal que nous offrons. Rappelons-nous que notre approche réduit les interventions obstétricales évitables comme le recours à l’épidurale, le déclenchement du travail et les césariennes ; la diminution des hospitalisations et des naissances prématurées et l’atteinte de taux d’allaitement élevés sont également substantielles. Des économies d’échelle non négligeables ! Le Québec a besoin de plus de sages-femmes.

Quoi qu’il en soit, pour l’heure, nous poursuivons notre mission auprès des femmes et des familles. Lors des accouchements que nous accompagnons, le temps est en suspens. On peut entendre l’écho du dernier cri puissant de la femme, cri qui fait naître un nouvel être. Se marie à cet écho le premier cri du nouveau-né. Un mélange de soulagement, d’allégresse, de magie flotte dans l’air. Nous sommes les témoins privilégiées du début de cette merveilleuse odyssée de la vie. Nous sommes sages-femmes.

* Mounia Amine, sage-femme, est présidente du Regroupement Les Sages-femmes du Québec (RSFQ) ; Geneviève Poirier est sage-femme à la maison de naissance du Haut-Richelieu-Rouville et administratrice du RSFQ

témoignage

Être malade… et pauvre

Je suis une femme extrêmement privilégiée dans la vie : j’ai l’honneur d’accompagner des enfants et leur famille et des jeunes adultes atteints de cancers dans leur combat. Depuis 20 ans cette année, je ne compte plus les enfants que j’ai côtoyés : à leur façon, ils m’ont tous rendue une meilleure personne. Malheureusement, 36 de ces êtres plus grands que nature sont décédés… 

La plus jeune avait 3 ans, le plus vieux en avait 36. Je me souviens de chaque départ parfaitement, du dernier regard, du dernier sourire, du dernier bain après le dernier souffle. Je me souviens de tout et en mémoire d’eux, je me suis fait tatouer leur prénom, car la plus grande crainte pour eux et leur famille, c’est d’être oublié !

Leur combat est parfois long : deux, cinq, dix ans remplis d’embûches, de mauvaises nouvelles, de rechutes. Une vie en montagnes russes. Malgré toutes les sommes investies en recherche, l’empathie des équipes médicales, la présence des parents et des proches, il est toujours impossible d’accepter l’inacceptable quand la vie devrait être devant nous et remplie de beauté.

Comment peut-on donner de la vie aux jours quand les jours sont comptés ? Je me suis posé la question des milliers de fois.

Au-delà d’un dernier rêve, je constate avec découragement que le besoin le plus important de ces enfants et de ces familles est encore l’argent. 

Eh oui, l’argent. Le maudit argent. Des parents troublés par la perte éventuelle de leur emploi parce qu’ils prennent trop de congés. Des parents qui aimeraient mieux être près de leur enfant malade plutôt qu’au travail. La jeune mère de famille qui se sait condamnée et qui n’a même pas un sou noir pour payer l’épicerie, le taxi. Cette enfant couchée sur son lit d’hôpital et qui voit très bien l’inquiétude dans les yeux de sa mère, cette enfant se sent coupable, tout cela à cause de l’argent.

Un choix de société

Nous devons faire le choix en tant que société de protéger nos grands malades pour leur permettre de se battre en toute dignité sans avoir à quêter, ni se battre contre la bureaucratie pour des questions aussi élémentaires que le budget, alors que ces gens n’ont aucune énergie à investir dans cette problématique qui ne fait aucun sens alors qu’il est question de vie et de mort. Notre gouvernement devrait adopter dans les plus brefs délais une loi pour soulager ces familles, et surtout arrêter de se lancer la balle ! Qui est responsable ? Quel ministère ? Provincial ou fédéral ? 

Quand ton enfant va mourir, quand toi-même tu vas mourir, tu n’en as rien à foutre d’où provient l’argent !

Tout ce que tu veux, c’est te soulager de ce poids inutile pour pouvoir aimer et soutenir ton enfant jusqu’au bout de son chemin.

Il est 23h15, je reçois un texto : « – Francine, est-ce que tu dors ? – Non, pourquoi ? – Je suis inquiet, je viens tout juste de me découvrir une bosse sur les testicules, j’ai vraiment peur… – Mon beau Alex, tu le sais bien après plus de sept ans de combat qu’il ne faut pas s’inquiéter sans savoir…  » Je lui écris cela et je me sens imposteur. Justement, il le sait, il est en rechute de sa deuxième greffe, il le sait qu’il doit être inquiet à 24 ans…

Alexis est dans ma vie depuis cinq ans et depuis cinq ans, il s’inquiète pour l’argent : il ne peut pas travailler, il voudrait étudier, il voudrait être comme tous les jeunes, mais il est malade… 

Il est malade, c’est vrai, mais selon moi, pas autant que nos priorités !

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