Mon clin d’œil Stéphane Laporte

À défaut de retourner au temps du hockey, Québec retourne au temps du tramway.

Fermeture de l’école de musique Villa maria

La musique a-t-elle encore un avenir au Québec ?

L’annonce a été brutale. Une secousse aussi violente qu’inattendue dans le petit monde des arts. Le 17 janvier 2018, la direction de l’école Villa Maria a annoncé qu’elle fermerait le 30 juin sa prestigieuse école de musique. Pour des motifs budgétaires douteux et mal argumentés, elle aura jeté à la rue 18 de ses plus brillants professeurs, et privé presque 200 élèves de leur programme, suscitant la colère de centaines de parents.

Mais tandis que le conflit s’intensifie sur le campus, cette décision inacceptable pose à la société québécoise des questions plus fondamentales. À l’heure où l’on redécouvre les vertus pédagogiques de la musique, fermer nos programmes et nos écoles est un geste absurde qui nous fragilise et nous appauvrit comme collectivité. Sans doute, mesurés à l’actualité nationale et internationale, ces faits passeront-ils aux yeux de plusieurs pour un événement minuscule, sinon dérisoire. Et pourtant… 

Le cas de Villa Maria n’est pas unique, et confirme sur la durée l’érosion lente et dramatique des formations musicales réputées au Québec.

L’événement rappelle à notre société que non seulement la vitalité mais l’existence et même la survie de la culture, de sa culture, demeurent une réalité fragile si l’on n’y prend pas garde. Il lui demande aussi où elle place ses valeurs, celles que des générations, des communautés, des milieux différents ont en partage, qu’ils soient tournés vers le baroque, le jazz ou le rap. Il l’interroge enfin sur son histoire et son identité faite d’influences diverses, et risquons ce mot : peut-être même sur son destin. Car, à force de décisions de ce genre, motivées par un esprit étroitement comptable, on est en droit de se demander si la musique a encore un avenir au Québec.

Longue tradition

Depuis sa fondation en 1854 par les Sœurs de la Congrégation Notre-Dame, l’école Villa Maria abrite dans ses murs des leçons de musique privée, aujourd’hui ouvertes aussi bien aux élèves qui suivent leur scolarité dans l’établissement qu’au grand public. Il s’agit là de l’une des plus anciennes formations musicales à Montréal, au Québec et probablement même au Canada.

C’est à ce patrimoine, riche de presque 165 ans, consacré par de nombreux prix et de longues carrières, qu’il nous est demandé à tous de renoncer, artistes et publics, amateurs et professionnels, élèves et professeurs.

Or ce patrimoine n’est pas destiné à être contemplé en silence dans un musée pour témoigner du passé. Il est vivant, il se transmet de jour en jour avec passion et rigueur. S’il faut cinq ans de dur labeur pour que naisse un(e) apprenti(e) violoniste, qu’arrivera-t-il lorsque d’autres écoles de musique, d’autres programmes disparaîtront les uns après les autres ? Que deviendront les élèves qui souhaitent poursuivre en ce domaine, s’en faire une vocation ? Une fois que le bassin sera définitivement tari, faudra-t-il fermer à leur tour les départements de musique de nos cégeps et universités ? Nos salles de concert peut-être ? Quel(le)s artistes écouterons-nous demain qui nous éveillent, qui nous enchantent, qui nous transforment ?

En France, les ministères de l’Éducation nationale et de la Culture ont décidé l’an passé d’introduire la « rentrée en musique ». En Grande-Bretagne, une école de Bradford accueillant une population très défavorisée a misé sur un cursus musical renforcé et atteint contre toute attente des taux de réussite comparables à la moyenne nationale. Et que dire des nombreux projets, activités et partenariats, mis en place à l’initiative des orchestres de Montréal et du Québec, de l’importance qu’ils accordent aux programmes musicaux et de leurs bienfaits reconnus dans l’enseignement ?

Tous les signes le montrent : la musique sera appelée à occuper une place de plus en plus importante dans l’école du futur. La place qui lui revient de droit et que nous avons mise en oubli par des choix aberrants. C’est cette école-là que nous tous, signataires de cette lettre, défendons aujourd’hui.

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