Opinion  Itinérance

La position du missionnaire

La question du confort pour les personnes en situation d’itinérance a suscité nombre d’émotions et de réactions, qui ont bien sûr noyé le véritable message qui émergeait des propos de Matthew Pearce, le directeur général de la Mission Old Brewery.

Vidons d’abord ce débat sur le « confort »… Lorsque vous êtes contraints à un séjour à l’hôpital, quelle est votre préoccupation principale ? La qualité du matelas sur lequel vous êtes couché ? La taille de la télévision qui vous est louée à prix fort ? On peut supposer que vous serez davantage préoccupés par la nature de votre diagnostic, la compétence de votre médecin et les bénéfices ou risques associés au traitement qu’on vous propose. 

La question de confort à l’hôpital ne se posait véritablement qu’à l’ère des hospitalières, lorsque les gens venaient principalement à l’hôpital pour mourir, faute de traitement efficace contre les maladies.

On peut même se poser la question à savoir si cette fixation sur le confort dans les refuges de la clientèle en situation d’itinérance ne provient justement pas d’un certain fatalisme sur les perspectives de mettre fin à l’itinérance. Les personnes en situation d’itinérance se voient alors décrites essentiellement comme des victimes impuissantes et sans ressources, incapables d’améliorer leur sort par elles-mêmes, voire des malades qu’on doit guérir.

Ce portrait misérabiliste véhicule des stéréotypes sur les personnes en situation d’itinérance et fournit le prétexte à un esprit missionnaire d’aide aux derniers des derniers dans la société (les refuges, comme les hôpitaux, sont nés d’une tradition religieuse), qui rapproche peut-être du Paradis ceux qui s’y prêtent – et leur confère certainement une regrettable conviction de supériorité morale – , mais qui, dans la réalité, ne fait rien pour véritablement mettre fin à l’itinérance. 

Soyons lucides. La position du missionnaire nécessite un flot ininterrompu de personnes en situation de misère pour continuer de se justifier, car le sentiment de « faire le bien » et la certitude morale qui s’y rattachent sont un puissant opium.

Je n’ai pas vu dans mon travail avec des femmes et hommes en situation d’itinérance des blessés, des agressées, des abandonnées, des dépossédés, des malades. J’ai vu des concitoyens dont la résilience et la dignité en toute circonstance m’ont ému, qui avec une aide somme toute modeste et ponctuelle ont su saisir l’occasion pour changer radicalement les circonstances de leur vie, et qui, dans plusieurs cas, ont pu être réunis avec leur famille qui les cherchaient depuis des années.

Je salue la dissidence de Matthew Pearce qui souhaite se départir de cette position missionnaire qui, de façon insidieuse, mine les efforts véritables pour mettre fin à l’itinérance. Les nouvelles données de recherche sur la lutte à l’itinérance, qui placent le logement et les soutiens associés au cœur d’une démarche authentique de réduction de l’itinérance, nous permettent d’entrevoir une professionnalisation de l’intervention en itinérance, qui ne vise pas le confort comme finalité, mais bien la sortie de l’itinérance pour un logement stable comme préalable à une pleine participation dans la société.

J’invite d’ailleurs les sceptiques à venir visiter les espaces d’accueil et de traitement qu’a conçu et mit en œuvre la Mission Old Brewery. Ils pourront venir constater que non seulement les moyens sont mobilisés pour aider les personnes à sortir de l’itinérance de façon permanente, mais qu’en plus, ces nouveaux lieux sont passablement plus confortables que le dortoir habituel !

Opinion  Itinérance

Le statu quo n’est pas acceptable

Le système de refuge ne constitue pas une solution viable et durable pour l’itinérance

L’article paru la semaine dernière dans La Presse et intitulé « Fermsoi soier des refuges pour vaincre l’itinérance » a assurément fait beaucoup de bruit et déclenché de vives réactions. La Mission Old Brewery se trouvait au centre de la tempête.

Depuis 125 ans, nous procurons des services essentiels d’urgence aux citoyens les plus vulnérables de notre ville. Chaque année, nous accueillons plus de 4000 hommes et femmes itinérants dans sept pavillons à Montréal. Nous offrons principalement un traitement respectueux, un lit propre et sûr ainsi que des repas nourrissants. Et cela ne changera jamais.

L’accès à des services de première nécessité – comme un lit en refuge – est un élément essentiel du filet de sécurité sociale de notre société. Les refuges, mesure d’urgence créée pour aider les personnes en situation de crise, n’ont jamais été conçus pour devenir des solutions de logement permanentes pour nos concitoyens les plus démunis. Pourtant, nombreux sont les itinérants qui passent des mois, des années voire même des dizaines d’années dans des dortoirs de refuge et s’enlisent dans un système qui, en définitive, les dessert et nuit à notre communauté.

Aujourd’hui, quelqu’un qui sonne à notre porte pour la première fois n’est pas admis en refuge. Et pourtant, nous ne refusons personne.

En 2012, la Mission Old Brewery a créé Accueil, un programme pour les personnes en situation d’itinérance pour la première fois. Grâce à ce programme, les nouveaux venus reçoivent un accueil plus convivial à la Mission, sont mis à l’aise et nouent des relations de confiance avec notre personnel. Notre objectif consiste à développer ce programme essentiel afin qu’il remplace à terme les lits en refuge.

Le programme épargne aux personnes le choc de devoir dormir dans un grand dortoir à l’atmosphère imprégnée des tensions quotidiennes subies par les personnes itinérantes.

Avec le programme Accueil, nous espérons non seulement combattre l’itinérance chronique avant qu’elle devienne un mode de vie, mais nous produisons également des résultats. Depuis le début du programme, 70 % des participants ont trouvé un logement stable. Ce résultat contraste nettement avec celui de notre refuge d’urgence du pavillon Webster, où 85 % des lits sont actuellement occupés par des personnes en situation d’itinérance chronique.

Le système de refuge ne constitue pas une solution viable et durable pour l’itinérance, et ce n’est certainement pas un milieu de vie acceptable. Non, le statu quo ne nous satisfait pas : d’excellents services sont offerts par des personnes passionnées dans un ensemble d’organismes spécialisés... et pourtant, le problème de l’itinérance persiste.

ADAPTER LES SERVICES

Si les gouvernements doivent repenser et renforcer leur soutien pour favoriser des solutions durables, les organismes tels que le nôtre doivent examiner de manière continue leurs propres services et s’adapter, au besoin, pour améliorer leur capacité à réduire l’itinérance.

Bien sûr, les personnes itinérantes ont besoin d’une grande variété de solutions de logement assisté abordable telles que des appartements indépendants, des colocations, des foyers de groupe et des établissements de services aux personnes âgées, pour n’en nommer que quelques-unes. La bonne nouvelle est que toutes ces options coûtent moins cher que le statu quo.

Les réalités complexes des personnes itinérantes et leurs histoires personnelles tragiques, dès l’enfance pour la majorité d’entre elles, nous rappellent qu’il est de notre devoir de trouver des solutions concrètes et durables au problème social de l’itinérance. La question de la solidarité avec nos concitoyens en situation d’itinérance est universelle. Imaginons une société qui cherche à mettre fin à ce fléau, considérant que la grande pauvreté et l’exclusion sociale ne peuvent être une finalité dans une société aussi riche et compétente que la nôtre.

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