Birmanie

Aung San Suu Kyi perd des plumes

Un rapport cinglant de l’ONU sur les crimes commis contre les Rohingya ranime les voix demandant que la leader birmane soit dépouillée de ses récompenses, notamment de son titre de citoyenne honoraire du Canada.

Les voix appelant Ottawa à déchoir Aung San Suu Kyi de sa citoyenneté canadienne se multiplient depuis la publication d’un rapport d’enquête de l’ONU qui blâme l’ancienne icône de la lutte pour la démocratie, aujourd’hui leader du pouvoir civil en Birmanie, d’avoir été complice des massacres infligés à la minorité rohingya, l’an dernier.

Ce rapport, publié lundi, affirme que les dirigeants de l’armée birmane devraient être poursuivis pour crimes contre l’humanité et génocide à l’endroit des Rohingya, qui ont été forcés de fuir massivement la Birmanie dès la fin d’août 2017.

Conseillère spéciale de l’État birman, Aung San Suu Kyi n’a utilisé ni son « autorité morale » ni sa position de chef de gouvernement « pour freiner ou prévenir les évènements en cours, ou chercher des moyens alternatifs pour protéger les civils », affirme le rapport.

Au contraire, les autorités civiles ont diffusé de fausses informations, nié les crimes de l’armée et tenté de bloquer les enquêtes sur les attaques contre les civils, énumère le rapport.

« Par leurs actes et leurs omissions, les autorités civiles ont contribué aux atrocités », tranchent les enquêteurs de l’ONU.

« Une honte »

Les premiers à appeler Ottawa à hausser le ton à l’endroit de ces autorités civiles, à la lumière de ces conclusions accablantes, sont les membres de la diaspora rohingya au Canada.

« Nous le hurlons depuis des années, mais maintenant que l’ONU est arrivée avec des conclusions aussi fortes, disant qu’Aung San Suu Kyi est complice d’un génocide, lui laisser sa citoyenneté canadienne est une honte », s’indigne Anwar Arkani, porte-parole de l’Association canadienne des Rohingya.

Dans la foulée des conclusions de l’ONU, il est devenu impossible « de considérer Aung San Suu Kyi comme une héroïne de l’humanité », renchérit l’ex-ministre et militant des droits de la personne Irwin Cotler.

Ce dernier faisait partie du groupe de députés qui avaient proposé de souligner le combat démocratique d’Aung San Suu Kyi en la reconnaissant comme une citoyenne honoraire du Canada – geste qui a été adopté par Ottawa en 2007.

Il croit aujourd’hui que le gouvernement canadien devrait faire le chemin inverse et envisager de révoquer ce statut.

L’ONU ayant clairement reconnu la responsabilité d’Aung San Suu Kyi dans la campagne de haine qui a déferlé sur l’État birman de Rakhine, il y a un an, « elle n’a plus sa place au Panthéon des héros ».

Des organisations comme Amnistie internationale (AI) et l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne croient également que la lauréate du prix Nobel de la paix ne mérite plus son titre de citoyenne honoraire, qui lui a été attribué alors qu’elle était confinée à sa résidence de Rangoun.

« Malheureusement, Mme Suu Kyi a démontré que ni son gouvernement ni elle-même personnellement ne semblait désirer enquêter au sujet des graves violations des droits humains infligées aux Rohingya », note Anne Sainte-Marie, porte-parole d’AI à Montréal.

« Aung San Suu Kyi a toujours refusé de condamner qui que ce soit. À force de la voir nier les atrocités, on constate un manque de volonté. »

— Marie Lamensch, de l’Institut montréalais d’études sur les génocides et les droits de la personne

Selon elle, la révocation de la citoyenneté aurait surtout un poids symbolique, « mais c’est un symbole important ».

L’appel à révoquer la citoyenneté d’Aung San Suu Kyi n’est pas nouveau. Dès l’automne dernier, le gouvernement Trudeau avait rejeté cette possibilité.

« Un Canadien est un Canadien », avait alors tranché la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.

Dans un communiqué publié mardi, Ottawa a appuyé les conclusions de l’ONU, incluant l’appel à traduire les officiers militaires de haut rang responsables des crimes commis contre les Rohingya devant la justice. Pas un mot, toutefois, sur la responsabilité morale d’Aung San Suu Kyi.

Prix Nobel

Le rapport cinglant de l’ONU a aussi ranimé les voix demandant que la leader birmane soit dépouillée du prix Nobel de la paix, soulignant sa lutte non violente en faveur de la démocratie.

Le Comité Nobel a coupé l’herbe sous le pied des partisans de cette révocation hier, en publiant un communiqué qui rejette de but en blanc cette possibilité.

« Il est important de se rappeler qu’un prix Nobel est décerné pour une action passée », fait valoir le Comité.

« Aung San Suu Kyi a gagné le prix Nobel de la paix pour sa bataille en faveur de la démocratie jusqu’en 1991, l’année où elle a reçu le prix. »

— Le Comité Nobel

Il faut dire que le Comité Nobel n’a prévu aucun mécanisme pour destituer les lauréats du prestigieux prix, pour quelque raison que ce soit.

Au cours des derniers mois, Aung San Suu Kyi a perdu quelques autres récompenses. Début août, le Musée canadien pour les droits de la personne, à Winnipeg, a retiré son nom d’une liste de héros de la démocratie, et a baissé l’éclairage autour de sa photo, ajoutant un texte explicatif sur son rôle controversé en Birmanie.

En mars dernier, le musée de l’Holocauste de Washington lui a retiré son prix Elie Wiesel. L’Université d’Oxford, en Grande-Bretagne, où Aung San Suu Kyi a étudié avant de rentrer en Birmanie, a aussi décroché son portrait.

Mais Amnistie internationale a choisi de ne pas lui retirer son titre d’« Ambassadrice de la conscience », en espérant que cela lui donnera une voie d’accès à la leader birmane.

« Nous privilégions le travail de pression sur Aung San Suu Kyi pour qu’elle respecte les qualités célébrées par ce prix », explique Anne Sainte-Marie, ajoutant qu’Amnistie internationale n’avait encore jamais retiré cette récompense à aucun de ses lauréats.

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