La révolution du soccer mineur

La révolution du soccer mineur

« Il y a une grosse révolution présentement au niveau du soccer québécois et canadien. J’espère que ça va donner de bons résultats. »

Otmane Ibrir avait eu cette remarque intrigante lors de notre entretien dans le cadre de sa nomination à titre d’entraîneur des moins de 23 ans à l’académie du CF Montréal.

La « révolution » dont il parlait, c’est le Programme de reconnaissance des clubs. Lancé en 2017 par Soccer Canada, il commence à entrer en vigueur cette année.

D’abord, le pourquoi.

« À la base, la réflexion à l’interne, c’est qu’on n’avait pas vraiment de définition d’un bon club, indique Dominic Boudreau, responsable de l’implantation du programme chez Soccer Québec. Ça allait un peu dans toutes les directions. »

Dans toutes les directions, mais dont deux tangentes revenaient souvent. Sans doute trop. La survalorisation de la victoire aux dépens du développement, même chez les très jeunes. Et la dépendance à un ou deux individus clés dans une organisation au détriment d’une saine gestion administrative en bonne et due forme.

Soccer Canada a donc souhaité faire maison nette en uniformisant les pratiques à tous points de vue, tant dans les bureaux que sur le terrain.

Et, pour ce faire, elle a instauré un système de niveaux de reconnaissance pour les clubs. De la base vers la plus élevée, ce sont les reconnaissances « soccer de qualité », « régionale », « provinciale » et « nationale ».

Ce système est la fondation du programme. On souhaite que, d’ici 2023, chaque club réussisse à obtenir l’une de ces certifications.

On y reviendra.

De 4 à 12 ans

Mais, concrètement, que changera le programme pour les jeunes, sur le terrain ?

La métamorphose majeure, elle s’opère chez les 4 à 12 ans. Une tranche d’âge qui représente de 65 à 70 % des quelque 130 000 joueurs de soccer de la province cet été.

Les nouveaux centres de développement de club (CDC) s’articuleront autour des principes suivants.

« Le grand changement, c’est qu’on n’a plus un processus de sélection de joueurs dans les catégories U12 [12 ans et moins] et plus jeunes. »

— Dominic Boudreau, de Soccer Québec

Il donne l’exemple d’un club qui, à partir du U9, avait une équipe A et une équipe locale. C’était le cas de la majorité d’entre eux.

« Et si tu n’étais pas, à 9 ans, dans les 12 meilleurs joueurs qui vont faire l’équipe et avoir accès à un ou deux entraînements par semaine, tu étais dans le programme local avec – sans dénigrer – un entraîneur bénévole qui n’est pas supervisé par un personnel technique et pas d’entraînements. Ça fait que le jeune qui aurait voulu s’améliorer, faire des entraînements et être encadré, il ne pouvait pas », raconte M. Boudreau.

Donc, cet enfant de 9 ans qui aurait été « coupé » pourra dorénavant, si tel est son désir, participer à des compétitions régionales jusqu’à ses 12 ans.

« Parce que ce sera basé sur l’intérêt et non sur la sélection », poursuit Dominic Boudreau.

Pour les 4 à 8 ans, il n’y aura plus de compétitions officielles. On opte plutôt pour des matchs informels, intégrés aux entraînements qui se tiendront sous forme d’ateliers.

Aussi, c’est la fin des équipes fermées ou fixes.

« On favorise le développement du jeune et non le développement d’une équipe », affirme Étienne Lussier, directeur général de l’Association régionale de soccer Richelieu-Yamaska (ARSRY).

Finalement, on misera sur la standardisation de l’encadrement, qui doit être similaire pour tous les jeunes, où qu’ils habitent. Cela passe par une formation uniforme pour les éducateurs d’un même niveau, notamment.

Les parents, eux, paient pour une offre de services. Elle peut contenir différents nombres de séances d’entraînement par semaine ou un calendrier de matchs chez les 9 à 12 ans, par exemple. La variété de ces offres de services est laissée à la discrétion des clubs.

De 13 à 17 ans

Si le changement central chez les U4 à U12 est la mort des sélections, celui chez les U13 à U17 est l’abolition progressive du système – bien connu dans le monde du soccer – de promotion-relégation.

Dans l’ancien régime, tous les clubs pouvaient inscrire une équipe en U14 AA et espérer finir dans les premières au classement pour rejoindre le U15 AAA.

À l’avenir, à partir du U13 – auquel les joueurs commenceront à être sélectionnés selon leurs habiletés –, c’est le niveau de reconnaissance attribué à chaque club qui lui donnera les clés de différents paliers de compétition et lui fermera la porte pour d’autres.

« Donc, on est en train d’orienter les clubs. À la place de viser la victoire en U14 pour être étiquetés comme de bons clubs, ce qu’on veut, c’est qu’ils se concentrent sur le service qu’ils donnent à leurs 12 ans et moins, qu’ils s’assurent que leurs politiques financières et administratives en fassent une bonne organisation et c’est ce travail qui va leur donner accès à des compétitions plus élites à partir de 13 ans », explique Dominic Boudreau.

Bref, Soccer Québec souhaite que les clubs cessent de n’en avoir que pour l’élite, pendant que le service pour les 12 ans et moins – « un peu délaissé dans le passé » – traîne la patte.

« On leur dit : “Concentrez-vous là-dessus, si le travail est bien fait, il sera validé par les visites qu’on fait chaque année, et vous aurez accès au niveau de compétition élite à partir de 13 ans.” »

La révolution du soccer mineur

Une question de reconnaissance

Chaque niveau de reconnaissance donne accès à des paliers de compétition plus élevés à compter de 13 ans. Mais ce n’est pas parce qu’un club postule pour un niveau qu’il l’obtiendra.

Des 57 clubs qui avaient demandé la reconnaissance nationale ou provinciale, seulement 23 ont réussi leur pari pour l’année en cours : 7 ont décroché une reconnaissance nationale et 16 ont acquis la reconnaissance provinciale. Près d’une trentaine ont quant à eux obtenu la reconnaissance régionale.

Plus de 70 demandes pour le niveau de base – Normes pour un soccer de qualité – sont en cours d’évaluation.

Le programme vise quelque 190 clubs au Québec (les clubs séniors ne sont pas concernés). Or, 85 % d’entre eux ont acquis leur reconnaissance ou sont dans le processus en ce moment. Et ces 161 clubs représentent 98 % des joueurs.

Mais comment obtenir un des niveaux de reconnaissance et comment sont-ils attribués ?

Sans entrer dans les détails pour chacun, la notion générale est évidemment que plus on monte dans les quatre niveaux, plus les exigences sont élevées. Concernant la formation des entraîneurs, entre autres.

La validation de la liste des critères techniques se fait lors de visites de Soccer Québec qui portent sur le service offert aux U12 et moins. Une décision définitive est rendue par Soccer Canada ultérieurement.

Prenons pour exemple le niveau de base – celui appelé « Normes pour un soccer de qualité » ou « Reconnaissance soccer de qualité » –, auquel Soccer Canada souhaite que l’ensemble des clubs québécois affiliés répondent, minimalement, d’ici deux ans. Ses normes se déclinent principalement sous trois axes.

1. La sécurité des participants

La vérification des antécédents des éducateurs était déjà de mise, mais on y ajoute la formation « Respect et sport », exigée depuis des années à Hockey Québec et dans beaucoup d’autres fédérations sportives, dans l’espoir d’endiguer les histoires de harcèlement et d’abus en tous genres. « On ne peut pas couper les coins ronds avec ça », affirme Dominic Boudreau. Un coach qui a suivi la formation pour le hockey n’a pas à la refaire pour le soccer. Au total, 15 % des éducateurs au soccer travaillent aussi dans le milieu du hockey.

2. La culture de développement pour tous

On y revient, les CDC amènent une approche repensée pour les 12 ans et moins. Fini l’ère où une poignée de doués jouissait du meilleur encadrement pendant que les autres étaient chapeautés par des parents bénévoles « laissés à eux-mêmes avec des ballons et des cônes ». Soccer Québec valorise la centralisation des entraînements sous forme d’ateliers pour que ces parents bénévoles, le cas échéant, bénéficient du soutien d’un répondant du personnel technique formé.

3. La saine gouvernance

Soccer Québec veut que soient édictés partout des règlements généraux, que des procès-verbaux soient rédigés, qu’il y ait des assemblées annuelles. Pour que les organisations ne soient pas prises au dépourvu et ne soient plus « dans le trouble pour cause d’absence de documentation » si un individu clé part. C’était souvent le cas.

Ce sont, en gros, les éléments minimaux qu’exige la reconnaissance soccer de qualité. Le but étant d’offrir un environnement accessible, amusant et sécuritaire qui donne à chaque enfant la chance de s’épanouir et d’atteindre son plein potentiel.

À l’autre bout du spectre, la reconnaissance nationale permet à Soccer Canada d’avoir « une certaine influence » sur les clubs qui l’ont atteinte, reconnaît Dominic Boudreau.

« Nous espérons que le Programme de reconnaissance des clubs servira de moteur pour le développement de joueurs convoqués en équipe nationale et de joueurs voués à une carrière professionnelle », lit-on sur le site de Soccer Québec.

Donc, oui, en bas âge, on souhaite mettre un frein à une certaine discrimination. Mais, parmi les objectifs ultimes, on espère également que le programme engendrera plus d’athlètes de haut niveau.

N’oublions pas que le Canada fait partie des pays hôtes de la Coupe du monde 2026…

La révolution du soccer mineur

« On fait du soccer
pour Montréal et Québec »

Tout changement majeur entraîne dans son sillage des entraves, voire des critiques. Le Programme de reconnaissance des clubs ne figure pas au chapitre des exceptions.

Pour des parents, ce « magasinage » d’offres de services peut entraîner une certaine confusion.

Puis, il y a l’abolition du calendrier de matchs chez les 8 ans et moins.

Sur son territoire, Étienne Lussier, directeur général de l’ARSRY, prend le cas d’Acton Vale, qui avait un calendrier de matchs à partir de 5 ans. « Ça, c’est l’ancienne mentalité et c’est de changer ça… », dit-il.

Désormais, on offre un calendrier d’activités et, à l’intérieur de celui-ci, l’atelier numéro 4 peut être un match amical, donne-t-il comme exemple. Il n’y a toutefois plus, on le répète, de calendrier de matchs en soi pour cette tranche d’âge.

Mais le principal tort attribué au programme concerne son application dans les plus petits milieux.

De façon générale, Sophie Poujade, directrice générale de l’Association régionale de soccer de la Mauricie (ARSM), n’en a pas contre son idéologie, au contraire.

« La philosophie derrière est intéressante et j’y adhère », souligne-t-elle.

« Mais ma perception, c’est qu’on est en train de faire du soccer pour Montréal et Québec. Et les autres, on s’en fout. »

De la théorie à la pratique

La DG s’appuie sur différents arguments. Au premier chef, le bassin de joueurs dans les villages – parfois dans les petites villes – rend la mise en application des CDC ardue.

« Le CDC en tant que tel, c’est réalisable pour les grosses structures qui ont des grands nombres », dit-elle.

Sur son territoire, c’est notamment un problème à Notre-Dame-du-Mont-Carmel.

Du côté de Soccer Québec, on encourage dans ces cas de figure le regroupement de catégories d’âge – voire de genre – pour pallier le faible nombre de joueurs par année de naissance.

Mais Mme Poujade fait remarquer que, parfois, même en jumelant deux ou trois catégories, on se retrouve avec un groupe de dix. Difficile de tenir de courts matchs amicaux, voire de varier les exercices dans ces conditions.

Le cas n’est pas identique, mais dans les grandes lignes, Étienne Lussier vit également ce type de désagréments, à Sainte-Christine, notamment.

Bien qu’il voie le programme dans son ensemble comme « bénéfique », il ne cache pas que pour les petites organisations, il y a du travail et de la réflexion à faire quant à sa mise en application, en particulier chez les 8 ans et moins.

Dominic Boudreau est conscient des critiques et des enjeux que pose le programme dans certaines régions. « Je suis d’accord et je ne remets pas du tout ça en question », assure-t-il.

Mais à plus d’un égard, dans les solutions avancées, il y a parfois un décalage entre la théorie et la pratique, plaide Sophie Poujade.

Les finances

Puis, il y a l’aspect financier, enchaîne Mme Poujade.

« Les coûts d’inscription dans un club moyen – nous, on le vit –, c’est 100 à 200 $ de plus que l’année passée pour que, financièrement, ils s’en sortent de respecter les obligations et les contraintes de formation, indique-t-elle. Ça devient, selon moi, une course à l’argent. On n’est pas dans la bonne dynamique. »

Le besoin d’absorber ces dépenses supplémentaires explique, selon elle, que des fusions de clubs ont lieu. Et ces fusions créent ainsi de grosses entités.

« On n’est pas sur la même planète soccer, on ne peut pas offrir les mêmes choses. »

— Sophie Poujade, directrice générale de l’Association régionale de soccer de la Mauricie

Certains clubs voient des économies d’échelle dans ces fusions, estime pour sa part M. Boudreau. Le programme ne les a pas limitées, mais ce n’est pas un phénomène nouveau, signale-t-il.

Les effets de la pandémie

Ajoutons à cela le défi de respecter les ratios demandés sur le nombre de joueurs par animateur et, en résumé, voilà pour le fond. Mais Sophie Poujade aborde aussi le contexte.

Dominic Boudreau a relevé que les clubs ont encore deux ans pour se conformer aux normes minimales, soit celles de la reconnaissance soccer de qualité.

Mais, de toute façon, certains d’entre eux, déjà aux prises avec les contrecoups de la pandémie, avaient des dossiers plus urgents à régler.

« Le programme survient en même temps que la COVID, qui a fait des ravages dans pas mal de clubs, pas seulement pour le nombre de membres, mais aussi pour les bénévoles qui ont disparu, relate Mme Poujade. Donc, tenir un club de soccer avec moins, voire pas du tout, de bénévoles, eh bien, le club de La Tuque ne voulait pas s’embarquer dans le processus et ne s’est pas affilié [avec Soccer Québec] cette année. »

Dans ces cas, le soccer devient un loisir municipal, entièrement et exclusivement géré par la Ville.

Il y a aussi des impacts dans la région de Louiseville, par exemple. Pour éviter la disparition de petits clubs, on a procédé à des regroupements.

« Ce n’est pas une réelle fusion, mais bien un regroupement. C’est-à-dire qu’on a créé un club qui chapeaute tout l’administratif et l’aspect technique pour soulager les bénévoles, pour les garder, et que les petits secteurs survivent. Alors, ces petits clubs deviennent des secteurs du gros club, explique-t-elle. C’est quand même difficile, mais on s’en est sortis un peu comme ça. »

Au bout du compte, dans les petits clubs, déjà précarisés par les effets collatéraux de la pandémie, c’est la charge de travail additionnelle occasionnée par l’implantation du programme qui pose problème. À court terme, du moins.

« Parce qu’en réalité, il y a des fondements qui sont bons là-dedans », réitère Sophie Poujade.

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