Chronique

Toujours plus bas

Les vieux profs nous le répètent sans arrêt : les jeunes Québécois sont de moins en moins en forme.

On entend ça, mais bon, vous savez comment sont les vieux profs et les vieux en général : c’était tellement mieux avant, le beurre, les grille-pain, le hockey, enfin tout, quoi.

Sauf que cette fois, c’est vrai. On a les chiffres. Ils sont très, très laids, comme vous avez pu le lire dans le dossier de Gabriel Béland hier.

Des chiffres qui tracent le portrait de la génération probablement la moins en forme de notre histoire.

La courbe la plus spectaculaire est celle du VO2 max des garçons. Le VO2 max, c’est-à-dire le volume d’oxygène maximal, est une mesure indirecte de la capacité cardiorespiratoire.

Il y a 35 ans, cette capacité déclinait très légèrement en moyenne chez les garçons entre la première année du primaire et leur entrée au cégep. Ils arrivaient à 6 ans avec un VO2 d’environ 52 en moyenne, et 11 ans plus tard, ils étaient autour de 50.

En 2015, on observait d’abord que les tout jeunes étaient en moyenne à 48, au lieu de 52. Plus important : au lieu de se maintenir, ils chutaient à 40 rendus au cégep.

C’est une chute de 20 %. Énorme. Ce que ça veut dire, c’est que les jeunes hommes arrivent à l’âge adulte avec la forme d’un homme « moyen » de 40 ans d’il y a 35 ans. Sans exercice, la forme décline en effet avec le temps. On imagine alors dans 20 ans où en seront ceux qui ont aujourd’hui 20 ans : encore plus bas.

Ça veut dire toutes sortes de répercussions sur l’état de santé facilement identifiables. Ça veut dire « des gens qui vont prendre des médicaments pendant 50 ans », dit le chercheur Mario Leone, qui a compilé les données.

Ça veut dire une qualité de vie de moins en moins bonne.

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Ce n’est pas un problème particulier au Québec. Avec l’arrivée massive des ordinateurs et des jeux vidéo, les déplacements en voiture vers l’école, le mode de vie, bref, a changé assez radicalement depuis deux générations. Sans même parler de sport, la vie tout court, des sauts de clôture aux batailles de balles de neige, supposait une activité physique à laquelle presque personne ne pouvait échapper.

Les profs d’éducation physique assez vieux pour comparer sont donc estomaqués de voir le niveau baisser un peu chaque année. Alors que deux, trois en arrachaient à courir dans le gymnase, ils sont maintenant légion à tirer la langue au moindre échauffement.

Pendant que la civilisation de l’ordinateur s’emparait des loisirs, l’école a commencé à couper dans l’éducation physique.

Le ministère de l’Éducation « recommande » deux petites heures d’éducation physique par semaine pour les élèves du secondaire. Le tiers des écoles n’offrent même pas ça.

C’est sans compter les écoles où il ne doit surtout rien se passer dans les cours de récréation, au cas où un accident surviendrait.

Bref, au lieu de compenser cette tendance occidentale, l’école l’accentue.

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Heureusement, il y a des résistants. Louis Gilbert, enseignant au cégep de Victoriaville, est un de ceux qui ont décidé de prendre la mesure du déclin général. Et de le combattre.

Depuis des années, son équipe fait faire un test de 3000 m à tous les élèves. Pour les plus lents, c’est 20 minutes. Une épreuve « horrible » qui suscite protestations et grincements de dents. Mais personne n’y coupe.

Sur une session, les enseignants de Victo leur montrent qu’ils peuvent s’améliorer de plus d’une minute au moins.

« Les meilleurs sont au même niveau à peu près que par le passé. C’est la masse qui a baissé de niveau. Ces élèves sont physiquement différents de la génération précédente », dit-il.

« On a décidé de modifier nos moyens. De ne pas les écœurer. On fait courir des intervalles, des sprints, on fait des sports différents, de la marche rapide, et sans s’en rendre compte, ils s’améliorent. Ils arrivent à la fin de la session et sont tout étonnés d’être moins essoufflés et d’avoir amélioré leur temps. Ils ont changé leurs habitudes par obligation et ils ont vu les fruits de leurs efforts. Ça va leur rester. Au cégep, il n’est pas trop tard, mais c’est la dernière chance de les accrocher. »

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Est-ce seulement la faute de l’ère technologique, au fait ? Est-ce qu’il ne se passe pas en éducation physique ce qui se passe en général en éducation : on nivelle par le bas ?

« La loi du moindre effort est partout, dit l’enseignant Louis Gilbert, mais on n’est pas obligés de suivre le courant. Je demande aux jeunes quels sont leurs objectifs, leur plan A, leur plan B. Beaucoup me disent : “Je veux juste passer, je vise 6 ou 7 sur 10.” Moi, je leur dis : “OK, est-ce que ça vous dérange si je vise 10 ? Et peut-être que vous allez finir à 8,5. Mais faut se retrousser les manches !” Et vous savez quoi ? Ils aiment ça. »

Ils ne sont pas les seuls à résister.

Mais pour un cégep comme Victoriaville, pour un Pierre Lavoie qui tente d’inculquer une nouvelle culture physique, combien ont baissé les bras et sont, eux aussi, écrasés devant un écran ?

Y a comme une sorte d’urgence nationale, ici, messieurs-dames des ministères et des écoles, parents…

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