Télévision

La publicité pour secourir la télé jeunesse

Elles ont piloté de grands succès de la télévision jeunesse du Québec. Aujourd’hui, Ève Tessier-Bouchard, Marie-Claude Beauchamp et Cécile Bellemare sonnent l’alarme. Si on ne légalise pas la publicité destinée aux enfants, la télé d’ici pour les tout-petits finira par s’éteindre.

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Il y a urgence d’agir

« Si on ne fait rien, les émissions jeunesse finiront toutes par être des productions étrangères. »

Marie-Claude Beauchamp est sans appel. Celle qui a produit La guerre des tuques 3D s’allie à Ève Tessier-Bouchard (à qui l’on doit notamment Frank vs Girard et RDI Junior) ainsi qu’à Cécile Bellemare (ex-directrice des émissions jeunesse à Radio-Canada et ex-directrice du développement des programmes à Télé-Québec) pour demander au gouvernement du Québec de rouvrir la Loi sur la protection du consommateur, qui interdit la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans.

Cette loi est la seule au Canada qui interdit les promotions commerciales visant les enfants. Selon Mme Beauchamp, les dommages qu’elle a causés à l’industrie ont été plus ravageurs ces dernières années que jamais auparavant.

Alors que la concurrence étrangère se multiplie, que les téléspectateurs consomment leurs contenus sur une multitude d’écrans et que les fonds publics et privés évaluent l’audimat des émissions pour attribuer les enveloppes aux diffuseurs, « le besoin grandissant des chaînes d’être performantes » entraîne la chute de la production d’émissions jeunesse.

« On a de moins en moins d’argent et on se fait damer le pion par les émissions canadiennes-anglaises et les acquisitions étrangères, qui sont rentables, n’étant pas régies par la loi québécoise. »

— Ève Tessier-Bouchard

Selon les trois professionnelles de la télé, les diffuseurs favorisent désormais les émissions regardées en « coviewing », alors que toute la famille se retrouve autour d’une même production, afin d’attirer le plus grand nombre de téléspectateurs pour lesquels on peut diffuser de la publicité.

Ainsi, les émissions destinées aux enfants sont essentiellement reléguées au petit matin et les productions originales québécoises ont de nouvelles réalités budgétaires plus contraignantes que jamais.

Des budgets qui diminuent

Pour analyser l’évolution des budgets alloués aux productions jeunesse au Québec, La Presse a demandé à Johanne Brunet et Renaud Legoux, spécialistes des médias et des industries culturelles à HEC Montréal, de regarder l’évolution du crédit d’impôt accordé pour les productions destinées aux enfants de moins de 13 ans, selon les données de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).

À titre indicatif, en 2008-2009, 11 projets ont été soumis, ce qui totalisait 28,9 millions en budgets pour l’ensemble de ces productions. En 2015-2016, 16 dossiers ont été soumis, pour une somme pratiquement identique.

« Les productions ont énormément de pression parce qu’il y a une érosion des cotes d’écoute. Les montants que les diffuseurs sont prêts à octroyer sont moins importants, alors que les enveloppes des différents fonds n’augmentent pas », analyse Renaud Ledoux, professeur agrégé à HEC Montréal.

« Si les diffuseurs ne peuvent pas rattacher leurs productions à de la publicité, ou s’il n’y a pas de fonds consacrés [à un créneau], c’est certain qu’ils vont regarder ailleurs, à la recherche de revenus additionnels », ajoute sa collègue Johanne Brunet, professeure titulaire au département de marketing.

Jeunes téléspectateurs deviendront grands

Selon Cécile Bellemare, une vétérane de la télévision qui a notamment été l’instigatrice de Cornemuse, à l’époque où elle était directrice à Télé-Québec, la télé jeunesse doit être soutenue puisqu’elle prépare les téléspectateurs québécois à regarder leurs histoires, à voir leurs acteurs.

« Lorsque j’allais à l’étranger, les diffuseurs me demandaient comment on faisait, au Québec, pour que notre public regarde ses dramatiques en fin de soirée. Ma réponse a toujours été : "On habitue nos enfants à regarder notre télévision et nos comédiens en bas âge. Lorsqu’ils deviennent adultes, c’est tout naturel pour eux de continuer à nous suivre." Cette [dynamique unique] est en [péril] », s’inquiète-t-elle.

Selon Mme Bellemare, la société a changé depuis l’époque où l’on a banni la publicité à l’intention des enfants, alors que les multinationales faisaient des promotions trompeuses telles que la représentation de poupées aux allures gigantesques.

« Le monde a changé. Les parents d’aujourd’hui ont une relation différente avec la publicité. Si on s’assure d’avoir de bonnes balises, si on s’assoit tous ensemble, producteurs, diffuseurs et publicistes, on pourrait créer un nouveau modèle de succès », affirme-t-elle.

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