Chronique

Absence de magie

TORONTO — La Coupe du monde de hockey prendra bientôt fin et une question demeure en suspens : ce tournoi en valait-il la peine ?

On peut s’interroger là-dessus tout en reconnaissant que sur plusieurs plans, l’initiative a été un succès. Même si les gradins n’ont pas toujours été remplis au Air Canada Centre, les assistances ont été impressionnantes. Réunir 12 000 personnes un après-midi de semaine pour assister à un match Russie-Finlande, ce n’est pas rien ! Au Québec, le duel Russie-Canada de samedi soir a attiré 1,2 million de téléspectateurs (avec une pointe à 1,7 million) à TVA et TVA Sports, des chiffres significatifs.

Sur le plan sportif, les performances de Sidney Crosby et d’Équipe Canada sont percutantes, tout comme l’étonnant parcours de la formation européenne. Bien appuyé par l’efficace machine promotionnelle de la LNH, ce tournoi est superbement organisé.

Toutes ces qualités ne maquillent cependant pas l’essentiel : la magie n’y est pas. Il manque cette étincelle qui donne une couleur particulière aux grandes compétitions sportives, qui tient le public en haleine, qui fait en sorte qu’on a hâte au match suivant. Qui, par exemple, modifiera ses plans pour écouter la retransmission du deuxième affrontement de la finale Canada-Europe ce soir ?

Cela différencie ce rendez-vous des Coupes Canada du passé. Sur le plan de l’émotion pure, nous sommes aussi très loin de l’attrait exercé par le tournoi des Jeux olympiques. Avec beaucoup d’à-propos, Mike Babcock a d’ailleurs rappelé cette semaine qu’il ne fallait pas confondre les deux compétitions.

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Ralph Krueger, entraîneur d‘Équipe Europe, est un analyste de premier plan. Il s’exprime avec clarté et ses propos sont nuancés.

Quand je lui demande si ce tournoi est utile, il répond oui avec conviction, évoquant d’abord l’impact sur ses propres joueurs. « Pour nous, la chance d’y participer est irremplaçable, dit-il. Nous en tirons une expérience et des souvenirs uniques. Nous profitons d’une plateforme qui n’a jamais existé. Pour les huit pays que nous représentons, c’est très spécial d’atteindre la finale. »

« Sur le plan du marketing, la Coupe du monde a mis le hockey en valeur dans de nouveaux marchés. Les résultats ne seront pas instantanés, ils viendront petit à petit. »

— Ralph Krueger, entraîneur d‘Équipe Europe

Krueger donne l’exemple de la France qui, grâce à Pierre-Édouard Bellemare, est représentée dans cette Coupe du monde. Cela crée un « buzz » pour le hockey chez nos cousins français, dit-il, rappelant que le Championnat du monde du printemps prochain sera en partie disputé à Paris.

La LNH n’en fait pas de mystère. Cette Coupe du monde est le coup d’envoi d’une stratégie de déploiement international qui s’accélérera au cours des prochaines années. Gary Bettman soutient que le tournoi a comblé ses attentes. Et que ce succès représente une base solide pour construire l’avenir.

Peut-être. Mais il n’en reste pas moins que c’est le public canadien, déjà fou de hockey, qui a porté cet événement à bout de bras. Nous n’assistons pas ici à la conquête d’un nouveau marché. Et l’élimination de Team USA avant la ronde des médailles a nui au retentissement du tournoi aux États-Unis.

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La vraie question, au fond, est de savoir si une compétition semblable, présentée avant même le début de la saison, peut encore générer une passion semblable à celle des grandes rencontres internationales du passé, qui contenaient toujours une part de mystère. Chose certaine, je n’ai rien vu au cours des deux dernières semaines qui ait approché un tant soit peu ces moments historiques de hockey.

À l’époque, les joueurs ne faisaient pas tous partie du même circuit. Cela apportait un élément de surprise. Pour compenser, la LNH a créé l’équipe canado-américaine des 23 ans et moins, qui a apporté un vent de fraîcheur. Mais est-ce une solution à long terme ? Pas convaincu que les Américains, qui ont ainsi été privés d’excellents jeunes joueurs pour leur équipe nationale, voudront répéter l’expérience.

Je crois aussi que la LNH se trompe en remettant constamment en question la présence de ses joueurs aux Jeux olympiques. Pour faire connaître ce sport, quoi de mieux que l’immense caisse de résonance du plus gros show de sport au monde ? Des gens aux quatre coins du monde peuvent y découvrir le hockey, à la manière de milliers de Canadiens ayant eu un premier contact avec le rugby durant les Jeux de Rio le mois dernier. C’est ainsi qu’on élargit son auditoire, pas en prêchant aux seuls convaincus.

On peut évidemment comprendre les réticences de la LNH à suspendre son calendrier durant deux semaines au beau milieu de la saison. Et son regret de ne pouvoir exploiter commercialement sa participation aux Jeux. Mais sur le plan de la visibilité et de l’intérêt, rien ne vaut les Jeux olympiques.

Tenez, dans une perspective canadienne, rappelez-vous ces moments forts : Gretzky laissé sur le banc en tirs de barrage en 1998, le but en or de Crosby en 2010, la Lettonie qui pousse Équipe Canada dans ses derniers retranchements en 2014...

Peut-être qu’au fil des années, la Coupe du monde de hockey bâtira sa propre légende. Mais il faudra beaucoup de travail avant d’en arriver là. D’autant plus que ce tournoi n’a produit aucun moment d’anthologie susceptible de mettre la table pour la prochaine édition.

Si la LNH fait l’impasse sur les JO pour tout miser sur « sa » Coupe du monde, comme elle semble vraiment en avoir le désir, ce sera dommage pour tous les amateurs de hockey. Et aussi pour les joueurs, qui rêvent tous de vivre l’expérience olympique.

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