Société

Devenons-nous de plus en plus bêtes ?

Le monde change à une vitesse fulgurante. Les progrès technologiques aussi. Mais notre quotient intellectuel collectif serait en train de baisser. Notre intelligence est-elle capable de s’adapter ou, au contraire, serait-elle en déclin ?

Serge Larivée, professeur à l’école de psychoéducation de l’Université de Montréal, le précise d’emblée : l’intelligence ne se résume pas à l’apprentissage livresque ni à des aptitudes scolaires. C’est plutôt l’habileté beaucoup plus étendue et profonde à comprendre son environnement, à donner un sens aux choses ou à imaginer des solutions pratiques.

Au cours du XXsiècle, l’intelligence, telle qu’elle est mesurée par les tests de quotient intellectuel, a progressé d’environ 3 à 5 points par décennie. C’est ce qu’on appelle l’effet Flynn. Cette augmentation a été possible notamment grâce à une meilleure alimentation, une meilleure santé, une éducation supérieure et grâce à l’urbanisation. Puis, au milieu des années 1990, le QI s’est mis à décliner dans certains pays, en Europe notamment.

« On va rester calme, ça baisse très lentement. C’est ce qu’on appelle l’effet Flynn inversé », précise le professeur. Mais pour quelles raisons observe-t-on cette légère baisse ? Quels sont les principaux facteurs ?

« Pourquoi faudrait-il que les capacités cognitives n’aient pas de limites ? », s’interroge plutôt le professeur.

L’auteur du livre Bienvenue dans l’univers de la stupidité constate que, parmi les variables les plus importantes qui pourraient expliquer la baisse de QI, il y a l’environnement familial. « Le principal changement est la surprotection parentale généralisée. On a mis tellement de pression sur les parents, alors ils surprotègent [leurs enfants] », constate le professeur.

« Comment allez-vous apprendre à vous relever si vous n’êtes jamais tombé ? Pour que le cerveau se développe, il faut apprendre à résoudre des problèmes. Or, avec cette surprotection, on empêche les enfants de les résoudre, car les parents le font à leur place. »

— Serge Larivée, professeur à l’école de psychoéducation de l’Université de Montréal et auteur de Bienvenue dans l’univers de la stupidité

Il y a aussi l’éducation. « Il n’y a plus d’échec à l’école ! », s’exclame Serge Larivée, qui souligne que le quotient intellectuel n’est pas distribué également dans la population. Or, connaître des difficultés, c’est aussi apprendre, précise-t-il.

« J’ai coulé deux années avant d’arriver à l’université, ce n’est pas parce qu’on a des échecs qu’on est con. Échouer, c’est ce qui m’a permis de réussir. »

— Serge Larivée

En constante évolution

Pour la neuropsychologue Sylvie Chokron, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), la question se pose autrement, car l’intelligence d’aujourd’hui n’est peut-être pas celle d’hier ni celle de demain. « L’intelligence, c’est la capacité à s’adapter et à résoudre des problèmes, et les problèmes auxquels on est confronté ne sont pas les mêmes aux différentes époques », estime-t-elle.

Elle cite en exemple les outils technologiques. Si on évaluait les enfants sur leur capacité à s’en servir, ils seraient plus intelligents que leurs grands-parents. Cependant, sur le calcul mental, ce serait l’inverse. Selon elle, les tests de QI n’ont pas évolué, alors que les modes de vie et les pratiques éducatives ont changé.

« Cette question fascine et effraie en même temps, car il y a cette idée que le progrès technologique s’accompagne d’un abêtissement. Il y a une crainte de perdre nos capacités sur le plan du raisonnement », affirme Sylvie Chokron, autrice du livre Une journée dans le cerveau d’Anna.

« La vraie question n’est pas de savoir si on devient plus bête, mais bien ce qu’on choisit de faire avec notre cerveau. Est-ce qu’on veut continuer à avoir une mémoire ? À être capable d’écrire à la main (ce qui se perd) ? Toutes ces questions sont cruciales », explique la neuropsychologue.

« On ne se repère plus dans l’espace sans aide, puisque le GPS le fait pour nous, alors que nous possédons un GPS interne dans notre cerveau. On ne se sert plus de notre mémoire (notre téléphone l’a remplacée) ni de nos capacités de calcul. On perd ce qu’on appelle la métacognition, qui est la connaissance de nos connaissances. Pour être plus clair : on ne sait plus ce qu’on a comme capacités. »

— Sylvie Chokron, neurologue, directrice de recherche au CNRS et autrice d’Une journée dans le cerveau d’Anna

Monde complexe

Et si tout allait trop vite ? Sébastien Tremblay, professeur de psychologie cognitive à l’Université Laval, est porté à croire que c’est peut-être le monde qui nous entoure, qui évolue à une vitesse si grande, qui nous rend moins aptes à prendre de bonnes décisions et à bien traiter les informations. « Il faut désormais trier et comprendre d’innombrables informations. L’humain n’est pas plus ou moins intelligent qu’avant d’un point de vue du fonctionnement cognitif, mais on fait face à un monde qui est très complexe et difficile à comprendre. Il y a une très grande accélération dans plusieurs domaines de notre société, que ce soit la technologie, l’économie, la multiplication des échanges, la géopolitique », explique-t-il.

Sylvie Chokron, de son côté, met en garde contre la bêtise. « La connerie, c’est l’illusion de la connaissance. C’est de croire qu’on sait tout. Peut-être qu’on devient plus bête parce qu’on croit avoir de plus en plus de connaissances, alors qu’en fait, on a accès à plus d’informations. Ce n’est pas pareil », nuance-t-elle.

« Aujourd’hui et dans les années futures, les personnes les plus intelligentes seront celles qui seront capables d’accéder à des informations, mais surtout, de les trier et d’y apporter un jugement critique », souligne Sylvie Chokron.

Bienvenue dans l’univers de la stupidité

Serge Larivée

Les Éditions JFD

366 pages

Une journée dans le cerveau d’Anna

Sylvie Chokron

Les éditions Eyrolles

240 pages

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