Ski de fond

Le style classique menacé ?

QUÉBEC — La saison en Coupe du monde de ski de fond va se terminer ici au Canada, mais la polémique qui a embrasé le circuit cette année ne risque pas de s’estomper de sitôt. La question a retenti dans les chaumières de Davos à Oslo : le pas alternatif classique, la base, l’origine, le pain et le beurre du ski de fond, va-t-il disparaître en compétition ?

Ce mouvement si gracieux est en effet menacé par la double poussée, cette technique tout en puissance qui est en train de faire des ravages chez les hommes. En clair, au lieu de glisser une jambe après l’autre, des fondeurs choisissent maintenant, dans les épreuves dites « classiques », de ne pas mettre de fart d’adhérence sur leurs skis et de se servir de leurs bras pour avancer sans utiliser le pas emblématique du ski de fond.

« La double poussée, c’est la polémique ces temps-ci. Mais la double poussée fait partie du ski de fond, explique le Français Maurice Manificat, septième au classement général de la Coupe du monde. Je n’ai pas connu la transition dans les années 80 et 90 avec l’apparition du patin. Mais j’ai l’impression que ça fait pareil. Il y a eu des règles et le patin est resté. Je pense qu’on devrait faire pareil avec la double poussée. »

La première réforme ayant bousculé l’orthodoxie en ski de fond s’est en effet opérée avec l’ajout sur la Coupe du monde d’épreuves dites « style libre », qui sont dans les faits des courses au pas de patin. Sur les huit courses du Tour de ski du Canada par exemple, trois sont au pas classique, quatre au style libre et une épreuve, le skiathlon de 30 km, intègre les deux styles de glisse.

Que vient changer la double poussée ? C’est que depuis quelques années, des fondeurs choisissent de se battre sur des distances de plus en plus longues sans utiliser le pas alternatif dans des épreuves classiques. Ce style est donc absent des épreuves en patin, et de plus en plus aussi des épreuves classiques.

Mercredi sur le mont Royal, les Montréalais sont passés à un cheveu d’avoir une démonstration parfaite du phénomène. La veille, le peloton semblait vouloir disputer la course de 17,5 km sans fart et en utilisant les deux bras pour avancer.

Mais la neige ce jour-là était trop molle, et le peloton a dans l’ensemble choisi le pas classique et des skis fartés. « Finalement, on a décidé 30 secondes avant la course, a expliqué Alex Harvey. On a regardé les autres pays. On y va en fonction de ce que les Norvégiens et les Russes font. »

Ce jour-là, un seul Norvégien a choisi la double poussée, et il a fini au 24e rang. Ce n’était pas le bon choix tactique.

Mais la seule existence de ce choix est une petite révolution dans le monde du ski de fond. Il y a quelques années encore, aucun skieur n’aurait pensé pouvoir être compétitif dans une épreuve classique de 17 km sans fart d’adhérence.

« Je ne sais pas si le niveau de ski de fond augmente, mais en tout cas on développe de plus en plus de puissance, notamment avec le haut du corps, explique Maurice Manificat. Tout l’aspect musculaire a évolué par rapport à il y a 10 ans. Sur des tracés un peu faciles, un peu plats, on n’hésite plus. »

HARVEY N’A PAS PEUR DU CHANGEMENT

La polémique a enflé cette année parce que le meneur au classement a fait de la double poussée sa spécialité. Le Norvégien Martin Johnsrud Sundby a remporté des épreuves, comme le 15 km de Toblach, en Italie, en n’utilisant que la double poussée.

« Il utilise uniquement la double poussée sur des parcours où on pensait que ce n’était pas possible et il a gagné des épreuves comme ça, juste avec les bras, explique Alex Harvey. Il a repoussé les limites du sport. »

Le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges se sent à l’aise en double poussée. Il s’entraîne d’ailleurs intensivement pour s’améliorer. « Il y a une piste que l’on fait l’été en ski à roulettes juste en double poussée, pour devenir plus forts. Il y a des montées très, très abruptes. On fait une trentaine de minutes seulement en double poussée », explique-t-il.

« Ç’a toujours été ma force. Mais cette année, Sundby a vraiment pris une coche sur tout le monde en double poussée. »

— Alex Harvey

Pour Maurice Manificat, il serait dommage d’opposer la grâce du pas classique à une soi-disant barbarie de la double poussée.

« C’est dommage de faire autant de polémique. Je trouve que de voir les sprinteurs en poussée, c’est impressionnant, c’est bon pour le spectacle, croit le Français. Les gens s’imaginent que la poussée c’est bourrin, qu’il n’y a aucune technique, qu’on ne fait que pousser avec les bras. Mais non, il y a beaucoup de technique derrière.

« Il y a beaucoup de technique pour réussir à pousser comme les Norvégiens. Ce n’est pas que les bras. C’est beaucoup les jambes, qui sont sollicitées dans le geste de gainage. Je trouve ça dommage de vouloir interdire ou restreindre. »

Le spectre tactique vient donc de s’agrandir en ski de fond. Il ne suffit plus de choisir le bon fart ; il s’agit de décider si on utilisera du fart tout court. La question se posera encore d’ici la fin de la saison, dans la portion classique du skiathlon de Canmore, le 9 mars, et dans la poursuite du 12 mars, toujours à Canmore.

« Moi, j’adore le classique. C’est l’essence même du ski de fond et je ne crois pas qu’il va disparaître, estime Maurice Manificat. Dans des pistes avec des montées assassines, tu ne peux pas partir en double poussée. Mais la double poussée apporte un peu de piment. Du coup on ne sait pas : est-ce qu’ils vont partir en classique ou en poussée ? Est-ce que celui qui part en poussée va y arriver ? Ça ajoute du suspense à notre sport. »

TOUR DE SKI DU CANADA

Harvey maintient ses objectifs

QUÉBEC — Après deux étapes du Tour de ski du Canada, Alex Harvey maintient ses objectifs : il pense encore pouvoir finir dans les cinq premiers à l’issue de cette série de huit courses présentées en sol canadien. Grâce à sa 11e place au sprint de Gatineau et sa 9e au 17,5 km de Montréal, Harvey est présentement 6e au classement. « Je ne suis pas loin de mon objectif, ni même d’un podium, a fait valoir Harvey lors d’un point de presse à Québec, hier. Les meneurs ont une minute d’avance. Mais une minute, ça peut se perdre rapidement sur une longue course. Je le sais, ça m’est déjà arrivé ! » C’est aujourd’hui qu’aura lieu la troisième étape du Tour, dans le décor tout blanc du Vieux-Québec. Les fondeurs vont se mesurer sur un sprint de 1,7 km, une distance particulièrement longue pour un sprint. « Cette année, on a davantage eu des sprints de 1200 ou 1400 mètres », explique Harvey. Le fondeur originaire de la région de Québec pense que les quelques centaines de mètres de plus pourraient jouer en sa faveur. « En vieillissant, je perds de la vitesse brute en sprint. Alors un sprint un peu plus long, ça joue pour moi, dit-il. Je pense que certains sprinteurs purs pourraient souffrir dans les derniers mètres. » La quatrième étape du Tour, demain, aura aussi lieu à Québec. La course de 10 km pour les femmes et de 15 km pour les hommes se fera en poursuite, les meneurs s’élançant en premier et les autres tentant de les rattraper.

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