Marché du travail

Revirement majeur pour les immigrés

Il s’agit d’un revirement majeur sur le marché du travail. Un revirement qui contredit un certain discours selon lequel les immigrés contribuent peu à l’économie, qu’ils vivent aux crochets de la société.

En 2017, les immigrés au Québec sont devenus proportionnellement plus nombreux à occuper un emploi que les personnes nées ici. Le phénomène est non seulement historique et en croissance, mais aussi unique parmi les grandes provinces canadiennes.

Selon les données de Statistique Canada, 61,7 % des immigrés du Québec occupaient un emploi en 2017, une progression de 5,3 points de pourcentage depuis trois ans (56,4 % en 2014), la plus forte au Canada. Pour la première fois, ce taux d’emploi des immigrés au Québec dépasse celui des natifs d’ici, de 60,8 %1.

Cette participation massive des immigrés sur le marché du travail risque d’alimenter le débat que se livrent les partis politiques sur le niveau d’immigrés souhaitable.

Le taux d’emploi est calculé en divisant le nombre d’emplois d’un groupe par son nombre total d’individus. Autrement dit, les 39 % sans emploi sont les chômeurs, les retraités, les parents à la maison, etc. Les enfants de moins de 15 ans sont exclus du calcul.

La progression du taux d’emploi des immigrés au Québec est généralisée, que ce soit chez les jeunes (15 à 24 ans), les employés dans la force de l’âge (25-54 ans) ou les plus vieux (55 ans et plus).

Aujourd’hui, toutes catégories confondues, les immigrés du Québec sont proportionnellement plus nombreux à occuper un emploi que ceux de la Colombie-Britannique (57,8 %) et de l’Ontario (57,5 %), deux provinces pourtant très ouvertes aux immigrés (les faits saillants du budget de l’Ontario ont été traduits en 18 langues, dont le hindi et le tamoul).

Le Québec a progressivement dépassé l’Ontario autant pour les immigrés de longue date que pour les immigrés les plus récents. Ce renversement tend à démentir, désormais, le fait que nos entreprises boudent les nouveaux arrivants.

Diverses raisons peuvent expliquer le phénomène. D’abord, le Québec connaît une forte croissance et les nouveaux emplois ont été davantage pourvus par la main-d’œuvre disponible, constituée plus souvent d’immigrés qu’ailleurs. Depuis 10 ans, un emploi sur deux à Montréal a été pourvu par des immigrés.

Contrairement à ce qu’on entend parfois, les immigrés n’ont pas « volé nos jobs ». Ils ont plutôt soulagé la pénurie de main-d’œuvre dans bien des secteurs. Et leur activité accrue sur le marché du travail contribue à nourrir les coffres de l’État en recettes fiscales diverses.

Impact du vieillissement

Même s’il explique en partie le rattrapage des immigrés sur les natifs au Québec, le boom de l’emploi ne distingue pas nécessairement le Québec de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, qui ont aussi connu une forte croissance.

Le phénomène distinctif québécois trouve beaucoup sa source dans le vieillissement plus prononcé de ses natifs par rapport aux immigrés.

Chez les immigrés du Québec, les personnes dans la force de l’âge (25-54 ans) représentent 59 % des travailleurs, contre seulement 46 % pour les natifs. Cet écart contribue à hausser le taux d’emploi global des immigrés de 15 ans et plus au-dessus de celui des natifs.

Certes, le vieillissement se fait aussi sentir fortement chez les natifs en Ontario et en Colombie-Britannique depuis une dizaine d’années. Toutefois, le bassin de leurs travailleurs immigrés a lui aussi vieilli, ce qui n’est pas le cas au Québec.

Le taux d’emploi du groupe des 25-54 ans est un meilleur indicateur pour illustrer la question. En quelques années, le Québec a presque comblé l’écart avec l’Ontario, mais le taux d’emploi des immigrés de 25-54 ans demeure encore inférieur à celui de ses voisins, notamment la Colombie-Britannique.

Il reste que le rattrapage du Québec est éloquent et il est permis de penser que nos politiques d’immigration y sont aussi pour quelque chose.

Les immigrés moins payés

Maintenant, tout n’est pas rose pour autant. D’abord, les immigrés sans emploi sont proportionnellement plus nombreux que les natifs à être en chômage (et non à la retraite ou à la maison avec les enfants). Ainsi, leur taux de chômage est de 8,7 % en 2017, contre 5,5 % pour les natifs.

Ailleurs au Canada, cet écart est bien moindre, mais la baisse du taux de chômage des immigrés nettement plus rapide du Québec confirme notre rattrapage (baisse de 2,4 points de pourcentage depuis trois ans, contre 1,8 point en Ontario et 1,1 point en Colombie-Britannique).

« L’aspect linguistique est important. Au Québec, les immigrés qui parlent seulement français comptent bien plus de chômeurs que les immigrés bilingues. Il leur faut donc parler le français et l’anglais idéalement, ce qui n’est pas le cas ailleurs au Canada. »

— L’économiste Mia Homsy, directrice de l’Institut du Québec

Autre point moins reluisant : il subsiste encore un écart significatif au Québec entre la rémunération des immigrés et celle des natifs, davantage qu’en Ontario. Au Québec, le salaire moyen des immigrés était de 23,81 $ l’heure en 2017, soit 1,36 $ de moins que celui des natifs (25,17 $). En Ontario, l’écart n’est que de 36 cents.

Cette différence laisse supposer que nos immigrés font davantage de tâches moins payantes que ceux de l'Ontario. Ce constat est déplorable, sachant que 39 % des immigrés au Québec sont titulaires d’un diplôme universitaire, contre 21,5 % pour les natifs. Il appert que les diplômes universitaires étrangers des immigrés du Québec sont moins reconnus que ceux des nouveaux arrivants des autres provinces, d’origine différente.

Fort de ce constat d’ensemble, il est devenu bien difficile de justifier une réduction de seuil d’immigration par des motifs économiques. Ou encore de rabaisser l’apport économique des immigrés, comme l’a fait le chroniqueur Joseph Facal récemment.

La semaine dernière, le FMI soulignait au contraire que les pays développés avaient tout intérêt à attirer des immigrés pour maintenir leur niveau de vie. « Le vieillissement de la population pourrait ralentir la croissance des économies avancées et compromettre la viabilité de leurs systèmes de sécurité sociale », selon un rapport du FMI, cité par l’AFP.

1. Les données les plus récentes de la série de Statistique Canada à ce sujet remontent à 2006

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