Annie Guglia

Une fille et sa planche

À l’occasion de la Semaine nationale des entraîneurs, nous publions une série de portraits d’entraîneurs de tous horizons qui, en raison de leur parcours hors de 

l’ordinaire, sont source d’inspiration.

Le skateboard est un sport qui ne s’enseigne pas, prétendent plusieurs de ses adeptes. La skateuse Annie Guglia, qui a elle-même appris par essais et erreurs en regardant les autres rouler, est d’avis contraire. Depuis quatre ans, elle offre des leçons de skate. Et des leçons de vie aussi.

« Le skate est un sport difficile physiquement, psychologiquement et émotionnellement, dit-elle. Tu peux essayer un truc pendant cinq mois avant de le réussir. Ça prend de la persévérance. Pour 100 échecs, 1 succès. Quand un jeune progresse, qu’il réussit, c’est très gratifiant. Je le vois comme un bel outil de développement. »

Gagnante de la compétition Jackalope en août, Annie Guglia, 28 ans, est une athlète de renommée mondiale. Elle sera d’ailleurs de la compétition internationale Empire Am Getting Paid, ce week-end au Taz de Montréal. L’an dernier, elle était la seule femme inscrite parmi les hommes. 

« Cette année, ils ont ajouté un volet féminin et les bourses offertes seront les mêmes. » Elle se réjouit de cette ouverture, de cette place que prennent peu à peu les femmes dans le sport. C’est son dada.

Les filles d’abord

Cette année, elle a initié autour de 500 filles au skateboard lors de journées d’initiation qu’elle a animées. « Le skateboard est un milieu masculin, pas parce que c’est une chasse gardée, mais parce que les filles n’osent pas, croit-elle. Elles sont trop gênées, elles ont peur parce qu’elles sont déjà tombées. Est-ce qu’on arrête le ski alpin après une chute ? Je leur montre à y aller à leur rythme. Le but n’est pas de faire une secte de skateuses. Après avoir brisé la glace avec moi, j’espère qu’elles oseront fréquenter les skateparks. »

Plus il y aura de skateuses actives, plus ça créera un effet d’entraînement bénéfique à l’essor du sport au féminin, pense-t-elle. Quand elle était adolescente, elle était une des seules filles à faire du skateboard à Montréal. « Quand je croisais une fille sur une planche, j’allais la voir et je lui demandais : “T’es qui ?” On était à peu près une vingtaine de skateuses. Aujourd’hui, il y en a beaucoup plus, je ne les connais pas toutes et c’est tant mieux. »

Annie Guglia, elle, demeure une figure bien connue du milieu. Si vous la croisez dans un skatepark de Montréal, vous risquez de voir une bande d’enfants à ses trousses. « Je ne peux pas m’entraîner sérieusement, il y a toujours au moins 10 jeunes qui me courent après. Il faut que j’y aille en cachette », lance-t-elle. Elle dit néanmoins aimer ce contact, ce rôle de mentor.

Commencer de zéro

La première fois qu’on lui a demandé d’offrir un cours de skateboard, elle a accepté d’emblée, sans trop savoir. « Je partais de zéro, il n’y avait pas de programme. Je suis allée comme je pensais. » Au fil des ans, elle a conçu des techniques d’enseignement et peaufiné des programmes d’initiation d’une heure. « On peut y apprendre tous les petits trucs de base : pousser, tourner, freiner et même monter et descendre de petits modules. »

« Le plus difficile ? Enseigner le ollie ! C’est un truc de base, la planche suit tes pieds quand tu sautes. Ça va contre la physique, le cerveau ne comprend pas au début. À 12 ans, ça m’a pris un été complet, à cinq heures par jour, pour y arriver. »

— Annie Guglia

Sa facilité à entrer en contact avec les jeunes l’a amenée à travailler au JM Court Skatepark, dans le garage de l’école secondaire Jeanne-Mance, sur le Plateau Mont-Royal. Jusqu’à tout récemment, elle s’y trouvait 15 heures par semaine. « Les jeunes peuvent y aller après l’école et la fin de semaine. On y fait de l’intervention à travers le sport. On est des coachs de skate, des coachs de vie. Notre accent est mis sur les jeunes ados. Quand tu partages la même passion, c’est plus facile de tisser des liens, de les guider. »

Titulaire d’une maîtrise de HEC Montréal sur l’industrie du skateboard, Annie agit sur les jeunes comme un modèle positif. « Je leur montre que les études, ça peut être cool. Que dans la vie comme dans le sport, il faut persévérer. Mes conseils passent mieux parce que je fais du skate. »

Quand un jeune essaie en vain un truc qu’il a réussi la veille, qu’il lance sa planche parce qu’il est frustré, elle intervient. « J’en viens à bien les connaître et je sais comment travailler avec l’un et l’autre. On peut inciter l’un à se calmer, à se confier. On peut laisser un autre péter sa coche, tant que ça ne dérange pas autour, parce que c’est l’unique endroit où il peut se défouler. »

Cet automne, Annie sera moins présente au JM Court Skatepark, à regret. Elle souhaite maintenant consacrer temps et énergie à sa préparation en vue des Jeux olympiques de Tokyo. En 2020, le skateboard fera son entrée officielle comme discipline olympique. « Je roule à Montréal, je croise mes jeunes ici et là. Ce n’est pas parce que je ne suis plus au travail que mon rôle de mentor cesse. Je jase avec eux, j’écoute leurs joies, leurs peines. »

Elle continuera de donner à l’occasion des cours particuliers et animera des séances d’initiation pour filles. Samedi, elle invite d’ailleurs filles et femmes en grand nombre au Taz. La future athlète olympique sera là pour les initier au sport, et ce, quelques heures à peine avant son tour de piste. C’est son dada.

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