Chronique

Comme une vieille odeur de brûlé…

Il y a deux nouvelles dans le texte de mon collègue Louis Lacroix, publié hier sur le site de L’actualité et qui porte sur des irrégularités dans l’attribution et le suivi de contrats par le ministère des Transports (MTQ) : primo, l’ancien ministre des Transports, Robert Poëti, avait des doutes sur la probité des mécanismes de contrôle de son ministère et ses questions sont restées lettre morte ; secundo, un député libéral ose sortir du rang et jette un pavé dans la mare tranquille du gouvernement Couillard.

Entre les deux nouvelles, je crois bien que la deuxième est plus importante. Plus inusitée, en tout cas, puisque la sortie de M. Poëti dans cet article de L’actualité ébranle pour une très rare fois la proverbiale discipline et l’esprit de corps de la famille libérale.

C’est la deuxième fois en quelques jours que l’unité du PLQ est menacée. La fin de semaine dernière, les jeunes libéraux ont rouspété publiquement contre la solution Daoust au phénomène Uber.

On dira, évidemment, que Robert Poëti est frustré, qu’il n’a toujours pas digéré son éviction du Conseil des ministres, en janvier dernier, et qu’il vide son sac, geste suicidaire au Parti libéral, pour se venger.

Frustré, amer, M. Poëti l’est assurément. Il a même publiquement déclaré qu’il songeait à quitter carrément la politique après avoir été rétrogradé au rang de « simple député ». Mais sa sortie dépasse la vengeance d’un ego meurtri. Avant d’arriver en politique, M. Poëti a mené une longue carrière de policier et il avait de toute évidence voulu sonner l’alarme à propos de manières douteuses apparemment toujours bien présentes au MTQ.

Surtout, Robert Poëti veut que tout le monde sache qu’il a tenté, lui, de faire la lumière sur les pratiques discutables dans son ministère. Il a engagé un enquêteur, il a posé des questions et il a demandé un rapport à sa sous-ministre.

« Ça m’a pris un certain temps pour comprendre l’ensemble des structures, comprendre des choses, les valider, a-t-il dit à L’actualité. Moi, j’étais rendu là et on avait déjà commencé. C’est certain que les deux années qui restaient au mandat m’auraient permis d’y aller. »

Bref, M. Poëti a posé beaucoup de questions, trop de questions, peut-être. Il n’a jamais obtenu les réponses, et un beau matin de janvier, il a perdu son titre de ministre lors d’une très brève rencontre avec M. Couillard. Le premier ministre se défend d’avoir évincé Robert Poëti parce qu’il était trop curieux, trop gênant.

La perception, toutefois, c’est que M. Poëti a été sacrifié tout juste au moment où il mettait le doigt sur de vieux bobos au MTQ, bobos qui auraient dû être réglés après la commission Charbonneau.

Les allégations sont graves, quoique pas nécessairement nouvelles : contrats entachés d’irrégularités, intimidation dans les directions régionales du MTQ, proximité malsaine entre firmes de génie et le Ministère, comptabilité opaque et suivi déficient, attribution douteuse de gré à gré à répétition. L’allégation la plus grave, sans doute, est que l’Unité permanente anticorruption (UPAC), mise au courant des irrégularités, aurait refusé d’enquêter, estimant que le MTQ est « un partenaire, pas une cible », toujours selon L’actualité.

Ce qui est nouveau, c’est qu’un ministre en titre s’inquiète au point de faire enquêter et de demander un rapport.

Du court mandat de M. Poëti aux Transports, et surtout du récit de son éviction, on retient aussi l’omnipotence de la sous-ministre, Dominique Savoie, celle à qui il a demandé un rapport sur les activités louches au sein du MTQ. Elle n’a pas donné suite aux demandes du ministre. Celui-ci a perdu son poste, pas elle. Le nouveau ministre des Transports, Jacques Daoust, lui a réitéré toute sa confiance hier, précisant au passage que l’UPAC a bel et bien été informée de possibles irrégularités au MTQ.

Le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec, Michel Gagnon, à qui j’ai parlé hier, doute que la sous-ministre Savoie ait pu « étendre ses tentacules jusque dans les directions régionales du MTQ ». Il dit, par ailleurs, ne pas avoir entendu parler, chez les membres de son association, de cas flagrants d’irrégularités ou d’intimidation.

Une source fiable, qui connaît le fonctionnement du MTQ et celui de l’UPAC, m’a dit par ailleurs ne pas croire que l’UPAC ferme volontairement les yeux sur les cas mettant en cause le ministère des Transports.

Difficile de départager le vrai du faux, mais les allégations ressassées par Robert Poëti sont très embarrassantes pour un gouvernement qui, périodiquement, est frappé par le ressac des années Charest.

Cela rappelle la lenteur du gouvernement Couillard à donner une véritable suite complète au rapport de la commission Charbonneau, dont plusieurs recommandations touchaient directement le fonctionnement du MTQ.

L’alarme sonne depuis un bon moment de ce côté-là. Il y a cinq ans, Jacques Duchesneau affirmait dans un rapport que « le Ministère s’est vidé de son expertise de façon très préjudiciable ». Il ajoutait : « Ce n’est pas normal que les firmes de génie-conseil héritent d’autant de responsabilités. [Le MTQ] a confié les clés de la maison » à une poignée de firmes.

Dans La Presse, plusieurs articles de ma collègue Kathleen Lévesque, dont la connaissance du milieu est notoire, ont aussi démontré que de graves problèmes minent toujours le MTQ.

Parlant d’alarmes, on attend toujours une véritable loi qui protégera réellement ceux qui ont le courage de les faire sonner, souvent au risque de perdre leur emploi ou de subir de l’intimidation de la part de leur employeur ou du milieu de la construction. Le projet de loi qui est actuellement sur la table est à l’image de toute la réponse du gouvernement Couillard au rapport de la CEIC : incomplet, inachevé, bâclé.

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