Jeunes Montréalais acquittés D’accusations de terrorisme

Djermane et Jamali, consultants en prévention de la radicalisation

Sabrine Djermane et El Mahdi Jamali, ces deux Montréalais acquittés d’accusations de terrorisme au terme de trois mois de procès et de plus de deux ans d’incarcération, seront consultants pour le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), a appris La Presse.

Durant les 12 prochaines semaines, le jeune couple travaillera à créer des outils de prévention, dont un guide sur la prise en charge des personnes arrêtées ou condamnées pour terrorisme. Les deux Québécois conseilleront aussi le centre sur « la compréhension du processus d’endoctrinement des jeunes au Québec », selon leur contrat. Ils gageront 294 $ hebdomadairement.

L’entente arrive un mois après leur libération.

« On s’appuie sur l’expertise de ces jeunes-là. J’ai beau avoir un doctorat, je ne sais pas ce qui se passe dans une prison. »

— Herman Deparice-Okomba, directeur du CPRMV

Mme Djermane et M. Jamali collaboreront avec le centre trois jours par semaine. Une journée et demie sera consacrée à un suivi psychosocial des deux Montréalais. L’autre moitié servira au développement d’outils de prévention par eux, a précisé M. Deparice-Okomba.

Réinsertion sociale

L’équipe du Centre de prévention suit le couple, libéré à la mi-décembre, depuis longtemps déjà. Ce sont les parents des jeunes qui ont d’abord sollicité son aide dans la foulée de leur arrestation, en avril 2015. Des représentants de l’organisme les ont visités en prison.

À la demande des avocats et des familles, les experts ont produit une évaluation psychosociale et un plan de réinsertion en deux volets : un premier si le duo était condamné, et l’autre s’il était acquitté, ce qui s’est produit.

Le stage, volontaire, qui est offert à Sabrine Djermane et El Mahdi Jamali fait donc partie de cette stratégie de réinsertion sociale, mais permet aussi au centre de faire avancer ses recherches, selon son directeur. « On apprend de leur vécu. »

Peut-on leur faire confiance ? « Nous avons une grille d’évaluation et une psychologue externe pour évaluer tout ça », a répondu M. Deparice-Okomba.

Depuis son inauguration en 2015, le CPRMV dit d’ailleurs avoir travaillé avec une douzaine de jeunes Québécois radicalisés, dont certains des ex-élèves du collège de Maisonneuve qui ont été arrêtés à l’aéroport de Montréal par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) au printemps 2015 alors qu’ils partaient faire le djihad. Ces derniers ont notamment contribué au rapport sur la radicalisation en milieu scolaire publié en 2016 et qui aborde la question des agents de radicalisation.

« Si on ne les prend pas en charge pour affronter le monde extérieur, on ne sait pas ce qui peut arriver », a-t-il ajouté au sujet des jeunes radicalisés.

« Un premier pas »

Maxime Fiset, ancien militant d’extrême droite bien connu au Québec et fondateur de la Fédération des Québécois de souche, travaille pour le Centre de prévention de la radicalisation depuis octobre 2016. Lui aussi, c’est pour son expertise de radical repenti qu’on est allé le chercher.

Il est aujourd’hui salarié, mais il a commencé à titre de consultant, comme le couple Djermane-Jamali.

Il estime que le fait de s’impliquer au centre est « un premier pas vers la réinsertion ».

« Ça diversifie les réseaux. Ça permet de prendre du recul sur son passé et de mieux comprendre ce qu’on a vécu », a-t-il expliqué.

« Pour moi, ça a aussi permis de me racheter une réputation, ce qui n’est pas possible pour tout le monde. »

— Maxime Fiset

M. Fiset avait quitté les réseaux d’extrême droite depuis quelques années déjà lorsqu’il a commencé à œuvrer en prévention. Sans commenter de cas précis, il indique qu’une personne avec moins de recul a aussi des atouts. « Les gens qui ont moins de recul ont une compréhension tellement pointue de ce qui se passe dans la tête d’une personne radicalisée », dit-il, ajoutant que « certains procès sont tellement longs qu’ils permettent de prendre du recul ».

Acquittés d’ACCUSATIONS De terrorisme

Sabrine Djermane et El Mahdi Jamali ont été arrêtés au printemps 2015 après qu’une personne de la famille Djermane a pris contact avec la GRC. Elle craignait que le couple ne parte faire le djihad.

Quelques jours plus tard, ils étaient accusés d’avoir tenté de quitter le Canada en vue de commettre un acte terroriste à l’étranger, d’avoir eu en leur possession une substance explosive dans un dessein dangereux et d’avoir commis un acte au profit ou sous la direction d’un groupe terroriste, en l’occurrence le groupe armé État islamique.

La police avait notamment trouvé au condo loué par le couple une recette de bombe artisanale dans une cocotte-minute.

Les ex-élèves sont restés détenus jusqu’à la fin de leur procès, qui s’est ouvert en septembre 2017 et au terme duquel ils ont été acquittés de tous les chefs liés au terrorisme.

El Mahdi Jamali a été reconnu coupable d’un chef réduit de possession d’une substance explosive sans excuse légitime.

Depuis sa libération, le couple est soumis à des conditions en vertu de l’article 810 du Code criminel, qui permet d’amener un individu devant un juge pour lui imposer une série de conditions lorsque les autorités ont des raisons de croire qu’il commettra un crime. Le contrat avec le CPRMV ne fait pas partie des conditions imposées.

La Couronne fédérale a annoncé la semaine dernière qu’elle ferait appel de l’acquittement de Mme Djermane sur le chef d’accusation concernant la possession de substance explosive dans un dessein dangereux, évoquant une erreur de droit de la part du juge quant à l’interprétation et la portée de la définition de « substance explosive ».

Centre de prévention de la radicalisation

Beaucoup plus d’incidents haineux rapportés

Les appels pour signaler des crimes et des propos haineux ont monté en flèche au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence dans l’année qui a suivi l’attaque à la mosquée de Québec, a fait savoir le directeur général du centre, qui parle de la tuerie comme d’un « tournant ». Herman Deparice-Okomba est toutefois d’avis que cela ne signifie pas qu’il y a une augmentation des crimes et incidents haineux contre les musulmans au Québec. Ni que la situation y est pire qu’ailleurs. En chiffres, le résultat est le suivant : le centre rapporte 17 appels en 2015 à ce sujet, 52 en 2016 et 166 en 2017. La majorité d’entre eux ont été faits pour rapporter des menaces contre les musulmans, a précisé M. Deparice-Okomba. « L’attentat de Québec a fait exploser, évidemment, les appels », a-t-il dit. L’an dernier, une quinzaine d’appels ont d’ailleurs été référés par le centre à la police, a ajouté son directeur général, « parce que pour nous, il y avait un danger pour la société ». — La Presse canadienne

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