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Le risque d’un attentat est bien réel, selon un ex-espion

Des djihadistes canadiens partis combattre avec le groupe armé État islamique commettront « probablement » un attentat terroriste une fois revenus au pays, prévient un ancien agent secret. Expert de l’extrémisme islamiste, Phil Gurski a œuvré 15 ans au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Il vient de publier son troisième livre et a donné la semaine dernière une conférence à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits humains de l’Université Concordia, où nous l’avons rencontré. Conversation avec un ex-espion.

Avec la perte de territoires du groupe armé État islamique (EI) en Syrie et en Irak, où iront les djihadistes canadiens ? Doit-on s’attendre à les voir revenir massivement au pays ?

Il y en a certains qui sont morts. Certains vont aller vers d’autres conflits, d’autres djihads [qui sévissent actuellement dans le monde]. Il y en a qui sont vraiment fâchés de ce qu’ils ont vu. Pour eux, l’État islamique n’était pas islamique. Ce n’était pas le vrai islam. Mais peut-être qu’ils ne veulent pas revenir [au Canada] parce qu’ils se disent : « La GRC et le SCRS sont conscients de mon existence. On va me poursuivre, je vais me retrouver devant le tribunal… » Il y en a peut-être quelques-uns comme ça qui sont perdus et qui n’ont aucun choix. Si je reste ici, je meurs. Si je vais chez moi, on me met en prison. Pour eux, la meilleure solution serait de trouver un autre endroit dans la région et de se perdre. Et il y en a certains qui vont se dire : « Je veux retourner au Canada. Je ne vais rien faire, aucun attentat, mais vu mon expérience, je pourrai servir de radicalisateur pour radicaliser une autre génération de Canadiens qui pourront soit aller à l’extérieur du pays, soit planifier des choses ici. »

Et est-ce qu’il y en a qui vont revenir dans la perspective de commettre des attentats ici ?

Probablement. On l’a vu en France. On l’a vu en Belgique. Au Canada, jusqu’ici, on n’a rien vu, mais ça m’étonnerait qu’il n’y ait pas de Canadiens vraiment dévoués à la cause de l’EI qui vont décider : « C’est mon tour. Je vais revenir au Canada. J’ai des plans. J’ai de l’entraînement. J’ai d’autres gens qui vont m’accompagner, soit au Canada, soit [en Syrie]. » Je pense qu’un jour, on va voir un attentat planifié par les personnes qui ont combattu avec l’EI. Ça s’en vient.

Un attentat réussi ou une tentative stoppée ?

Peut-être les deux. Le problème, c’est que dans beaucoup de cas, on n’a aucun renseignement à l’effet qu’ils sont partis. Il y en a qui sont partis du Canada qui n’étaient pas sur l’écran radar du SCRS ou de la GRC. Puisqu’on ne sait pas qu’ils sont là-bas, on ne saura pas qu’ils sont revenus. Il n’y a pas d’enquête. Il n’y a pas de renseignements sur eux, alors ils peuvent revenir de façon secrète. C’est ça qui m’inquiète. La GRC n’aura pas assez de renseignements pour faire son enquête et arrêter les possibles attentats parce qu’on n’est pas au courant [de l’existence de ces personnes].

Quelle est l’ampleur de ce phénomène ? On peut évaluer leur nombre ?

On ne va jamais savoir. Heureusement, la grande majorité de ceux qui sont partis sans qu’on le sache, une fois qu’ils sont là-bas, ils vont sur Twitter et Facebook et disent : « Hey ! Je suis ici. J’ai réussi à quitter le Canada. Vous ne savez rien de moi. Me voici. » De cette façon, on les met sur une liste. Mais on a aussi un problème de faux passeports. Ils vont peut-être changer leur nom. On l’a [déjà] vu.

Et pour ceux qui sont connus des autorités, arrivera-t-on à surveiller tous ceux qui reviendront au Canada ?

Non. Pas du tout. S’il y en a 100 ou 200 qui reviennent, ça va prendre entre 4000 et 8000 personnes juste pour faire de la surveillance. On n’a pas les ressources nécessaires. Ou on les a si on enlève des ressources aux autres enquêtes sur d’autres problèmes. Et je ne sais pas si le Canada va le faire. Au pays, la menace terroriste est modérée [selon le Centre intégré d’évaluation du terrorisme]. Mais même si la menace est assez petite, comme on a vu en octobre 2014, il faut juste un attentat qui a du succès. À l’époque, il y en a eu deux [Martin Couture-Rouleau à Saint-Jean-sur-Richelieu et Michael Zehaf-Bibeau à Ottawa].

Chaque semaine, des lecteurs nous écrivent pour nous demander pourquoi les autorités canadiennes ne laissent pas les aspirants djihadistes partir plutôt que de les arrêter, de les juger et de dépenser des fonds publics...

Dans un de mes livres, je cite le cas de deux Canadiens qui sont partis de London, en Ontario [il y a quelques années]. Ils n’étaient pas dans notre ligne de mire à cette époque. Ils ne faisaient pas l’objet d’enquêtes de la GRC ou du SCRS. Ils n’ont jamais rien fait au Canada. Ils se sont radicalisés à l’école et ils sont partis. Le problème, c’est qu’ils ont tué 40 personnes [lors d’une prise d’otages menée par un groupe lié à Al-Qaïda sur un site gazier en Algérie, en janvier 2013]. La majorité était des gens qui travaillaient pour des entreprises de Norvège et du Japon. Alors, le Japon et la Norvège vont nous demander : « Pourquoi avez-vous laissé ces gars-là quitter votre pays pour aller en Algérie et tuer nos citoyens ? » On ne peut pas laisser les Canadiens quitter notre pays s’il y a la possibilité qu’ils aillent faire un attentat. C’est notre responsabilité internationale de traiter ces gens-là ici. C’est notre problème. Ce sont des Canadiens qui se radicalisent dans notre société, dans nos écoles, dans nos mosquées, dans nos familles.

The Lesser Jihads : Bringing the Islamist  Extremist Fight to the World

Phil Gurski

Éditions Rowman & Littlefield

2017

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