VIE PRIVÉE  FBI CONTRE APPLE

« Le précédent va être là »

Les répercussions du combat qui oppose Apple au FBI pourraient franchir les frontières canadiennes même si les deux pays ont des systèmes judiciaires distincts.

Si la justice américaine devait finir par donner raison au FBI dans sa lutte contre Apple, toutes les futures causes canadiennes dans lesquelles des éléments de preuve seraient puisés dans un téléphone intelligent seraient immédiatement touchées, estime l’avocate Éloïse Gratton, spécialiste des technologies et de la vie privée.

« Si on sait que la police peut avoir en tout moment accès à nos messages textes et nos communications, premièrement, on tombe dans une société de surveillance, mais au-delà de ça, ça va être beaucoup plus difficile de faire valoir en cour que quand on a envoyé un message, on avait une expectative de vie privée. En cour, tout cet argument va tomber beaucoup plus facilement, c’est ça qui m’inquiète. La norme sociale va changer. »

À REFAIRE

Comme les lois et la jurisprudence diffèrent entre les États-Unis et le Canada, l’issue du débat entre Apple et le FBI ne sera pas aussi définitive que si la cause opposait, par exemple, la GRC et le fabricant canadien BlackBerry.

« C’est sûr que ce débat précis sera à refaire au Canada », reconnaît Me Gratton.

Mais si le FBI devait l’emporter, un précédent serait créé, note-t-elle.

« C’est clair que tous les gouvernements vont aller cogner à la porte d’Apple. Les policiers vont savoir que cette porte est ouverte et ils vont être bien plus tentés de l’utiliser. »

— Me Éloïse Gratton, spécialiste des technologies et de la vie privée

« C’est certain qu’il y aurait des problèmes de juridiction, à savoir si on peut forcer une entreprise étrangère à collaborer, mais le précédent va être là. »

Le cas est plutôt nouveau, note Me Gratton, puisque c’est généralement à la porte des fournisseurs de services internet ou de télécommunications que cogne la police.

« Là, on va voir le manufacturier du produit, c’est nouveau. Facebook et Google sont habitués, ils en reçoivent à la pelletée, ils regardent si le mandat est correct et fournissent les renseignements, ils n’ont pas le choix. Dans ce nouveau cas, on demande à Apple de créer quelque chose. »

UN CAS UNIQUE ?

C’est d’ailleurs ce qui agace l’entreprise, qui a déjà maintes fois fourni aux autorités policières des données auxquelles elle était en mesure d’accéder normalement. Mais la création d’un nouvel outil est une étape additionnelle que l’entreprise ne semble pas prête à franchir.

« L’argument [du FBI] de dire que ce n’est que pour ce téléphone-là, moi, comme bien d’autres, je n’y crois pas, affirme l’avocate Annie Émond. Ce n’est pas que ce téléphone-là. Le précédent que ça crée… Une fois que c’est fait, toutes les raisons sont bonnes pour aller l’utiliser ailleurs et emmener les entreprises à fournir des clés ou peu importe. »

D’un point de vue légal, la résistance démontrée par Apple est importante, parce que les individus ciblés par de telles demandes des policiers ont bien peu de recours eux-mêmes, estime Me Émond.

Au Canada par exemple, si la GRC devait présenter une requête similaire à l’entreprise canadienne BlackBerry et que celle-ci n’offrait pas la même résistance qu’Apple, il deviendrait pratiquement impossible pour un suspect de s’opposer en cour.

« Probablement que les policiers auraient d’abord obtenu un mandat, puis l’entreprise aurait collaboré, j’aurais de la difficulté, on serait pris », illustre Me Émond.

Si BlackBerry, dans ce cas hypothétique, devait s’opposer à la demande de la GRC, cette dernière pourrait ne pas disposer des mêmes outils légaux que le FBI pour l’inciter à le faire.

Selon l’Association des chefs de police du Canada, « le Code criminel ne contient aucune disposition particulière donnant le pouvoir de forcer un tiers parti à décrypter ou à développer un outil de décryptage, pas plus qu’il n’y a d’obligation pour un fournisseur de télécommunications d’offrir ce service. »

VIE PRIVÉE  FBI CONTRE APPLE

La cause en bref

Le FBI demande l’assistance d’Apple pour fouiller un iPhone 5C ayant appartenu à Syed Farook, coauteur des attentats de San Bernardino, qui ont fait 14 morts. L’appareil est crypté et protégé par mot de passe. Techniquement, on demande à Apple de créer un outil, qui n’existe pas présentement, qui permettrait au FBI de tester des mots de passe à répétition, sans risque d’entraîner l’effacement des données après un certain nombre d’essais infructueux. Apple s’y oppose, faisant valoir qu’un tel outil, une fois créé, pourrait être utilisé sans distinction par d’autres corps policiers, des gouvernements oppressifs ou des pirates informatiques.

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