Chronique

De l’art de faire durer son couple

Guy Alain se souvient très bien du 25e anniversaire de mariage de ses beaux-parents. Ce jour-là, il a eu « la permission spéciale » de monter l’escalier de leur maison.

Il avait gagné le cœur de Monique.

C’était une autre époque, quand l’homme faisait la cour à la femme, quand les parents avaient leur mot à dire sur les fréquentations de leur fille. « On se voyait le mardi et le jeudi soir, on allait manger un sundae au motel Barbeau. »

Leur histoire a commencé tout juste après un défilé de la Saint-Jean-Baptiste, dans le temps où il y avait des défilés. « Elle a pris place dans un petit char, je l’ai tiré. Après ça, je lui ai écrit une lettre, que j’ai donnée à une de ses cousines qui allait à la même école qu’elle. Je lui disais que j’aimerais la revoir… »

Guy a eu le contrat d’entretien de la patinoire. « Monique venait tous les vendredis soir, je mettais des valses. Quand elle arrivait, je m’arrangeais pour qu’elle n’ait pas à payer son entrée… Et puis j’ai eu la permission d’aller la reconduire à Saint-David. J’allais la reconduire et je revenais faire la patinoire, avec des barils de 45 gallons de mélasse vides. On allait prendre l’eau dans le ruisseau, ça faisait une belle glace… »

Guy était un gars travaillant.

Monique aimait bien Guy. « On s’accordait bien. Je ne voulais pas un garçon comme ceux-là qui nous approchaient et que c’était l’embrassage tout de suite. Guy m’a plu par ses manières, il était plus délicat… Je n’ai pas senti des émotions tout de suite, c’est venu quand je l’ai mieux connu. »

La journée du 25e anniversaire de mariage de ses parents, elle savait que c’était lui, l’homme avec qui elle passerait le reste de sa vie. « C’est là que j’ai décidé de poursuivre notre fréquentation. On est sortis ensemble pendant cinq ans. »

Ils sont mariés depuis 58 ans.

Je les ai rencontrés dans leur petite maison plantée sur le bord du Saint-Laurent, à Lévis, que Guy a construite de ses mains. Il y a 53 ans. Guy travaillait comme menuisier au gouvernement, il gossait des villages de Noël en bois le samedi matin. « J’allais récupérer les boîtes de pommes et les boîtes d’oranges au magasin général, le bois était mince, il se travaillait bien. Je faisais quatre maisons et une église pour 2,50 $, avec un trou pour mettre une lumière. »

Monique s’occupait de leurs deux filles, de ses parents. « J’aimais lire aussi, des biographies et des articles de journaux. »

Pour l’anecdote, Guy a connu le lieutenant-gouverneur Paul Comtois, dans la luxueuse résidence officielle, au parc du Bois-de-Coulonge. « J’attendais pour travailler, il est passé. Il m’a dit : “Viens, prends le télescope et viens sur le perron. Va voir si ta femme a un autre chum !” »

Guy a vu sa petite maison, sur l’autre rive du fleuve.

Pas d’amant.

Guy n’était pas inquiet, il s’arrangeait pour que Monique sache toujours à quel point il l’aimait. Comme cette fois où il s’apprêtait à défaire le sapin de Noël qu’il plantait devant la maison. « Je le démanchais et je me disais que ça allait être plate, pus de lumières, pus de décorations. »

Il est allé à la quincaillerie, a acheté deux panneaux en plastique ondulé « comme les pancartes électorales », un blanc et un rouge. « Je suis allé en bas, j’ai découpé avec ma petite scie 120 cœurs de six pouces, 60 cœurs rouges et 60 cœurs blancs, la même chose en lumières. J’ai baptisé ça l’arbre de l’amour. Je le faisais chaque année jusqu’à l’année passée. »

Il le défaisait le 15 février.

Il m’a montré ses cœurs qu’il conserve précieusement au sous-sol, comme cet autre cœur en bois qu’il a fabriqué pour sa Monique. Le cœur est accroché au mur, il y a aussi des photographies en noir et blanc et en couleurs, peut-être une quarantaine, comme le photo-roman de leur vie à deux.

L’amour avant Instagram.

Guy m’a aussi montré une vieille plaque d’immatriculation de 1978, « une pièce rare, quand ils partaient la machine pour les faire – le numéro est 000-000 ».

La devise, Je me souviens, pourrait être celle de leur histoire.

Guy aime les clairs de lune, il avait pris l’habitude d’aller les contempler tranquille en écrivant une lettre à sa douce sur de l’écorce de bouleau, qu’il découpait en forme de cœur. Il m’en a lu une, du 19 mars 2003 : 

« Je regardais ce soir toutes les photos sur les murs et ça me rappelait tous les beaux moments que nous avons vécus ensemble, au 649 Commercial à Saint-David, au 268 Saint-Laurent et à Berthier. Bonsoir, chérie, de celui qui t’écrivait en 1953 et qui t’écrit encore.

« De celui qui t’aime,

« Guy »

Monique aussi lui écrivait des lettres. « On s’écrivait tout le temps. »

Après toutes ses années, il est toujours aussi amoureux. « Il faut se trouver beaux, tout le temps, il faut se désirer, se maintenir en contact. Et il faut s’aimer comme si c’était le dernier jour. […] Je faisais la vaisselle après le déjeuner, ce matin, et elle est passée près de moi. Je l’ai embrassée. »

Après souper, ils font la vaisselle ensemble.

L’amour a besoin de rituels.

Chaque soir, comme tous les soirs depuis presque 60 ans, Monique borde Guy. « C’est important de ne pas se coucher choqués. C’est normal des fois de lever le ton, mais il faut se parler. Il faut s’écouter surtout, être là l’un pour l’autre. À l’âge où on est rendus, je vis pleinement chaque jour pour profiter des bons moments de notre vie à deux. »

Elle a pris la main de Guy.

Elle a ajouté quelque chose qui a l’air évident, mais qui ne l’est pas tant que ça. « Il faut de l’amour, surtout de l’amour. » Et il faut s’occuper de cet amour. « Il faut s’arranger pour que le feu reste allumé, insiste Guy. S’il reste juste des tisons, c’est pas terrible… »

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