Industrie de la pornographie

Un déjeuner qui a transformé la porno mondiale

Tout a basculé lors d’un déjeuner à l’hôtel Reine Elizabeth, à Montréal, le 18 juin 2010.

Ce matin-là s’est conclue une entente qui a permis à une PME de Montréal de devenir un géant mondial de la porno. Plus encore, elle a contribué à transformer l’industrie, alors morcelée, en un quasi-monopole capable d’assouvir l’appétit de millions d’internautes visionnant des centaines de millions de vidéos par jour.

Lors de ce déjeuner, pourtant, aucune actrice ni aucun producteur de vidéo osée ne partageaient les œufs-bacon. Non, ce vendredi-là, vers 7 h, ce sont deux experts de la finance qui se sont serré la main, soit des représentants des firmes Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) et IBS Capital, révèlent des documents judiciaires.

L’objectif de la rencontre ? Trouver des fonds pour nourrir le rêve d’un jeune client ambitieux, soit consolider l’industrie de la porno. La première cible : l’acquisition de l’étoile montante Brazzers.com et de l’intégrateur PornHub.

Le jeune client ambitieux n’a rien d’un Don Juan ou d’un souteneur de prostitués musclés. L’homme en question, Fabian Thylmann, est plutôt un crack de l’informatique alors âgé de seulement 32 ans. Thylmann a compris avant les autres la puissance de l’analyse du comportement des internautes au moyen d’outils informatiques sophistiqués.

Quelques semaines plus tôt, Thylmann avait confié à la firme RCGT le difficile mandat de trouver 100 millions de dollars US pour financer le projet de sa PME Manwin. Son contact chez RGCT : Samuel Havida.

Thylmann se promenait avec une carte professionnelle portant deux adresses, l’une à Montréal et l’autre à Chypre, bien qu’il fût citoyen allemand… et résident de la Belgique.

Devant la difficulté de l’opération, un émissaire de RCGT contacte Claude Delage, d’IBS Capital, pour aider la firme dans ses recherches de financement, moyennant un partage de la commission.

L’affaire est essentiellement conclue lors du déjeuner du 18 juin, selon ce qui ressort des documents déposés en Cour dans le cadre d’une poursuite, desquels sont tirées l’essentiel de mes informations.

412 millions US

Au cours des mois qui ont suivi, RCGT et IBS font le tour du monde pour trouver des fonds, mais ils se butent à la froideur des financiers : non merci, on ne veut surtout pas tremper dans ce genre d’industrie. Deux firmes sont néanmoins disposées à accepter ce risque pour leur réputation, l’une de Tel-Aviv, en Israël, et l’autre de New York.

C’est finalement la firme de New York, Colbeck Capital Management, qui a accepté d’avancer les fonds, obtenus de diverses sources. L’entente est signée en avril 2011 et, surprise, le prêt n’est pas de 100 millions, mais de 412 millions US, moyennant un taux d’intérêt oscillant entre 15 et 20 %, selon les documents du palais de justice de Montréal.

Mais qui est donc cette firme Colbeck qui ne craint pas la porno ? Née en 2009 dans la foulée de la crise financière mondiale, Colbeck a été fondée par Jason Colodne et Jason Beckmam. Le nom de la firme est d’ailleurs formé des premières lettres des noms de famille des fondateurs. Les deux financiers avaient fait leurs classes au sein des banques d’affaires Morgan Stanley et Goldman Sachs, notamment dans le financement d’entreprises en difficulté, précise leur site internet.

Selon des reportages non contredits, Colbeck a trouvé une bonne partie des 412 millions US chez Fortress Capital. Ce géant inscrit à la Bourse de New York gère des fonds pour des clients privés et institutionnels, notamment des caisses de retraite. Impossible de savoir, toutefois, si ces clients et retraités savent qu’ils font de l’argent avec des sites de porno « hardcore ».

Avec ce financement, l’entrepreneur Fabian Thylmann a notamment racheté Brazzers.com et PornHub des mains de deux jeunes formés en génie informatique à l’Université Concordia, à Montréal (1). Les fonds ont aussi servi à acquérir d’autres sites… et à financer le train de vie de Thylmann.

La montagne d’argent obtenue en avril 2011 a également permis à RCGT d’empocher une commission d’environ 9 millions US et à IBS, de quelque 12 millions US, selon des documents judiciaires. Les fonds étaient fort bienvenus chez RCGT, qui traversait alors une période moins profitable, selon mes sources.

La suite des événements est toutefois devenue plus problématique…

1. Les deux formés à l’Université Concordia s’appellent Stephane Manos et Ouisam Youssef.

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