Chronique

Les médecins veulent de l’oxygène, pas de l’argent

Le pire, c’est que bien des médecins de famille n’y tiennent pas tant que ça, à cette hausse de rémunération. Ce qu’ils veulent surtout, c’est un réseau mieux organisé, avec davantage de ressources et du temps pour bien faire leur travail.

Oui, bon, ils vont les prendre, les chèques totalisant 40 000 $ et la hausse de 10 % sur trois ans. Qui ne le ferait pas ? Et tous veulent combler l’écart indécent entre leur paye et celles des spécialistes, de l’ordre de 65 %.

Mais si vous leur laissiez le choix, bien des omnipraticiens préféreraient un système innovant et efficace qui leur permettrait de faire de la meilleure médecine. Avec une hausse de rémunération qui suit l’inflation, guère plus.

Vous ne me croyez pas ? Ces derniers temps, les médecins avec qui j’ai communiqué m’ont surtout parlé de désorganisation, de démotivation et de qualité des services. Pas d’argent. Et hier, avant publication, les deux médecins avec qui je me suis entretenu étaient incapables de me dire quelle hausse de rémunération ils obtiendraient, malgré les explications de leur syndicat.

Non, ce qui préoccupe bien des médecins de famille, c’est leur semaine de 50 heures mise en parallèle de l’atteinte de la cible de 85 % fixée par Gaétan Barrette. Le ministre de la Santé, rappelons-le, exige que 85 % des Québécois aient un médecin de famille d’ici le 31 décembre 2017. La proportion avoisine actuellement 77 %. Et il reste trois mois pour arriver à 85 % !

La « médecine McDonald’s » ?

Vous ne me croyez pas ? En 2014, dans la foulée de la réforme Barrette, des médecins ont formé le ROME, soit le Regroupement des médecins omnipraticiens pour une médecine engagée. Aujourd’hui, le ROME compte quelque 600 membres de divers milieux (hôpitaux, cabinets, CHSLD, urgences), surtout des jeunes et des femmes.

Son président, Simon-Pierre Landry, est un médecin de 31 ans, chef des urgences à l’hôpital de Sainte-Agathe. Il est aussi propriétaire-gestionnaire d’une clinique (médecine familiale et urgence), en plus de faire des soins intensifs. Bref, pas le genre à se tourner les pouces.

Simon-Pierre Landry se dit contre la « médecine McDonald’s », soit voir plus de patients à l’heure en réduisant le temps passé avec chacun.

« Nous ne croyons pas à la prémisse de la loi 20, selon laquelle l’accès sera meilleur si les médecins de famille travaillent simplement plus. L’accès à des soins est très complexe et il est fonction de nombreux facteurs, qui ne sont pas du ressort des médecins de famille dans bien des cas », m’explique-t-il.

Il croit que la prise en charge plus grande de patients exigée par Gaétan Barrette nuira aux autres missions des omnipraticiens ou à la qualité des services. Son groupe milite pour un réseau qui distribue mieux les responsabilités entre médecins et autres professionnels de la santé, par exemple les infirmières, les ergothérapeutes, les physiothérapeutes, etc.

« On souhaite aussi un meilleur équilibre entre notre vie professionnelle et personnelle. Les jeunes médecins travaillent en moyenne 50 heures par semaine, en plus de gardes. C’est moins qu’avant, mais c’est quand même beaucoup ! Les médecins d’antan avaient des conjointes à la maison. Ce modèle n’existe plus maintenant », dit-il.

Ce n’est pas tout. Non seulement le ROME veut décentraliser le réseau, mais il souhaite aussi une réforme de la gouvernance du syndicat des médecins de famille, la puissante Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ), qui a négocié l’entente sur la rémunération.

Selon le ROME, la FMOQ est antidémocratique. Le regroupement souhaite que le conseil exécutif du syndicat, de même que la présidence et les délégués régionaux fassent l’objet d’un vote électronique universel tous les deux ans. Autre demande à étudier : la fusion de la FMOQ avec son pendant pour les spécialistes, la FMSQ.

Avec les années, faut-il savoir, la FMOQ et la FMSQ ont acquis un grand pouvoir et leurs intérêts corporatifs ne convergent pas toujours avec le bien public.

Par exemple, dans l’entente de principe, la FMOQ a obtenu la responsabilité, encore une fois, de décider des enveloppes de rémunération selon ses priorités (soins à domicile, CHSLD, santé mentale, etc.). Comment peut-on accepter qu’un gouvernement délègue l’attribution de centaines de millions de dollars de fonds publics à un syndicat ?

De plus, les enveloppes de rémunération seront fermées, donc retenues par la FMOQ même si le nombre d’actes médicaux rémunérés a été inférieur aux prévisions. Ce principe de l’enveloppe fermée a été dénoncé par le Vérificateur général.

Durant sa tournée panquébécoise, la FMOQ a pu rassurer les médecins qui craignent que le gouvernement, si la cible de 85 % n’est pas atteinte, n’applique la loi 20 et n’ampute de 30 % la rémunération de certains médecins, reprenant ainsi la hausse de rémunération qu’il vient d’accorder. Selon la FMOQ, ce ne pourrait être le cas : s’il y avait des pénalités de 30 %, l’argent resterait tout de même dans l’enveloppe fermée, gérée par elle, et serait donc redistribué autrement entre les médecins de famille.

On tourne en rond, ne trouvez-vous pas ?

entente sur la Rémunération des médecins

« Révoltant » et « aberrant », juge l’opposition

L’entente entre la FMOQ et le gouvernement Couillard a été qualifiée de « révoltante » et d’« aberrante » par l’opposition hier. Lors de la période des questions à l’Assemblée nationale, le chef péquiste Jean-François Lisée a accusé le premier ministre Philippe Couillard de se contredire et de faire preuve d’une « injustifiable générosité ». M. Lisée s’est déjà engagé à déchirer l’entente et à geler la rémunération des médecins pour plusieurs années s’il est porté au pouvoir. Selon le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, Québec aurait dû « échanger une nouvelle rémunération contre une prise en charge des patients ». Quant au député de Québec solidaire Amir Khadir, il a affirmé que l’entente Québec-FMOQ est une « aberration ». Le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau, a pour sa part déclaré qu’il s’agit d’une « bonne entente pour les Québécois comme payeurs de taxes et comme patients ». — Tommy Chouinard, La Presse

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