Chronique

La culture du silence

On parle beaucoup ces jours-ci, avec raison d’ailleurs, de la culture du viol, mais l’affaire Sklavounos nous rappelle, même si on a bien du mal à en parler, un autre phénomène profondément enraciné dans nos Parlements : la culture du silence.

Ainsi, à en croire les députés libéraux du gouvernement Couillard, personne ne savait ou n’avait remarqué que leur collègue de Laurier-Dorion, Gerry Sklavounos, avait des comportements déplacés envers les femmes, même entre les murs de l’hôtel du Parlement ?

C’est plus que difficile à croire, lorsqu’on sait qu’une attachée d’un ministre péquiste s’est plainte à l’automne 2013 de la cour insistante de M. Sklavounos à son endroit. Elle a fait part de son malaise au chef de cabinet du whip du Parti québécois, qui a transmis sa plainte verbale au chef de cabinet du whip libéral. Le message a été fait à Gerry Sklavounos, qui a cessé d’incommoder la jeune femme. Le whip libéral de l’époque, l’actuel ministre des Transports Laurent Lessard, affirme ne pas avoir été mis au courant. Si c’est le cas, c’est que son chef de cabinet n’a pas fait son travail, ce que je trouve invraisemblable.

Contrairement à Jean-François Lisée, je ne crois pas que Philippe Couillard était nécessairement au courant des allégations de viol qui pesaient sur son député, mais je suis persuadé que l’immense majorité des 124 collègues députés de M. Sklavounos connaissaient sa réputation de chaud lapin. Comme tous les députés savent qui, parmi eux, a des problèmes d’alcool ou de drogue, qui entretient un « petit ménage » à Québec, loin de sa « légitime » restée dans sa circonscription, qui couche avec qui, même parfois entre gens de partis différents, etc.

Une colline parlementaire, c’est un microcosme. Tout le monde se connaît, des ministres aux députés, des attachées aux chefs de cabinet, des pages au personnel politique, des journalistes aux adjoints des élus.

Le principal problème sur nos collines parlementaires, c’est que même si les mœurs se sont un peu raffinées avec le temps, il subsiste des relents de machisme et de sexisme qui entretiennent des préjugés voulant, par exemple, qu’un député qui couraille est un tombeur, mais qu’une députée amicale, coquette ou souriante est une aguicheuse à la cuisse légère.

Subsiste aussi cette culture du silence, qui est entretenue par toute la colonie parlementaire, pas seulement les députés. Je ne sais pas si le sexisme est plus répandu sur les collines parlementaires qu’ailleurs, mais je sais qu’il est encore bien présent en politique, même si nous sommes en 2016.

Des adjointes de ministres, des attachées de presse et des femmes journalistes m’ont déjà raconté qu’elles faisaient toujours de grands détours (c’est grand, un parlement) pour ne pas passer devant le bureau de tel ou tel député.

J’ai déjà vu, à Québec, un ministre perdre toute forme de concentration dès qu’il voyait un décolleté, fût-il en plein milieu d’un scrum avec des journalistes.

On m’a raconté récemment qu’un député de Québec faisait passer beaucoup d’entrevues à des jeunes femmes pour des postes d’attachées qui n’existaient pas ou, du moins, qui étaient déjà occupés.

Une députée m’a déjà raconté qu’un ministre lui avait dit un jour que « s’il alignait toutes les femmes qu’il a baisées, elles feraient toute la longueur du pont de Québec ».

Une attachée de presse d’un ministre à Ottawa m’a un jour raconté que son patron s’assoyait souvent à côté d’elle dans la limousine en disant : « Toi, les préliminaires, c’est pas vraiment ton genre, hein ? » ou encore :  « Bon, on a deux heures de route, qu’est-ce qu’on pourrait bien faire pour passer le temps ? »

La faune journalistique n’est pas toujours exemplaire non plus. J’ai connu, à Ottawa, des consœurs d’un autre journal qui préféraient monter sept étages à pied plutôt que de prendre l’ascenseur avec un collègue un peu trop entreprenant.

Beaucoup trop de femmes, dans beaucoup trop de domaines, subissent du harcèlement, mais il y a quelque chose d’encore plus troublant lorsque cela se passe à l’endroit même où on vote des lois pour les protéger.

Il est déjà assez difficile d’attirer les femmes en politique (sur ou derrière la scène), si en plus elles se sentent menacées, nos belles lois contre le harcèlement ne vaudront même pas le papier sur lequel elles sont imprimées.

CADRE FINANCIER ET PROSE BUDGÉTAIRE

Qu’on soit d’accord ou non avec Carlos Leitao, il est bien difficile de détester cet homme souriant, affable, qui s’exprime avec ce joli accent roucoulant.

Cela dit, un mensonge, même s’il est dit avec un sourire, reste un mensonge.

J’ai sursauté en entendant M. Leitao dire ceci : «  On a dit que l’on devait d’abord rétablir les dépenses de programmes à 3,5 % [de croissance pour l’éducation] et à 4 % [pour la santé]. Au-delà de ça, les surplus seront partagés moitié-moitié. »

C’est faux.

Le cadre financier présenté par le PLQ en campagne électorale prévoyait plutôt ceci : « Les dépenses en santé et en éducation – les missions essentielles de l’État – augmenteront au rythme annuel de 4 % et de 3,5 % respectivement. Les crédits des autres ministères seront gelés globalement pour une période de 5 ans. »

Et ceci : « Les surplus budgétaires seront alloués à 50 % aux réductions d’impôt et à 50 % à la réduction du poids de la dette par des versements accrus au Fonds des générations. »

La réalité, c’est que le gouvernement réinvestit en santé et en éducation, plutôt que de baisser les impôts et de réduire la dette, après avoir affamé ces deux réseaux depuis deux ans, en abaissant les augmentations annuelles bien en deçà de 4 % et 3,5 %.

Ça donne l’impression qu’on revient seulement au point de départ. Ou, pire encore, qu’on tente maintenant de rafistoler deux réseaux mis à mal par l’austérité.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.