Séquençages du génome

Quatre questions à se poser avant de plonger

POURREZ-VOUS VOUS FIER AUX RÉSULTATS ?

Malgré les progrès de la technologie, il arrive encore que des laboratoires ne détectent pas des mutations importantes ou n’arrivent pas aux mêmes résultats pour la même personne1. Sans compter que les analyses offertes au sujet de mutations faisant l’unanimité peuvent diverger de manière carrément « déconcertante » – y compris au sujet de variations censées causer des maladies2.

Résultat : un risque élevé – et fort problématique – de faux positifs, qui pourrait chambouler inutilement la vie des gens, craignent les chercheurs.

« Sauf dans le cas de quelques maladies rares et des médicaments, on comprend encore très mal le rôle de notre génome. Je ne suis pas certaine que le séquençage puisse nous aider quand on ne s’entend même pas sur ce qu’il dit », prévient Bartha Maria Knoppers, directrice du Centre de génomique et politiques de la faculté de médecine de McGill.

1. JAMA, 2014

2. JAMA, 2016

TOUT SAVOIR SERA-T-IL PLUS NOCIF ?

Même en supposant qu’ils sont fiables, les résultats sont complexes. « La plupart des gens, même parmi les professionnels, comprennent mal les probabilités populationnelles. On risque de sauter trop vite aux conclusions », craint Mme Knoppers.

Si on court 10 fois plus de risque de contracter une maladie quelconque, mais que le risque est très faible à la base, « la peur pourrait conduire les gens à prendre des décisions exagérées », précise l’éthicienne.

En cas de risque élevé de maladie grave ou incurable, l’anxiété pourrait par ailleurs gâcher les dernières belles années des patients. Ou les pousser à multiplier les tests invasifs – parfois nocifs pour eux et pour le système de santé engorgé.

Connaître les risques pourrait par contre fournir la motivation qui manque pour faire de la prévention et être à l’affût des progrès de la médecine.

À QUI PROFITERONT VOS DONNÉES ?

On ne demeure pas forcément propriétaire de ses cellules expédiées en laboratoire. À moins qu’un client ne s’y oppose, ce qui se produit dans une minorité de cas, des entreprises comme 23andMe peuvent vendre ces données à des sociétés pharmaceutiques.

Autre enjeu : le projet de loi de non-discrimination génétique S-201 n’a toujours pas été adopté au Canada, alors que les autres pays du G7 ont des règlements semblables. La Charte des droits et libertés et le Code du travail offrent quand même une certaine protection, souligne Mme Knoppers, puisque, « même si le mot “génétique” ne s’y trouve pas, ce sont des données sensibles ».

Rien n’empêche par contre les assureurs vie d’établir la prime selon le risque. Cela leur permet déjà de tenir compte du tabagisme, des antécédents familiaux, etc. « Peut-être que les données génétiques les aideront à discriminer sur une base plus scientifique, que ce sera au bout du compte plus équitable ainsi, espère l’éthicienne. Ce qui m’inquiète, c’est de savoir si leurs tableaux sont à jour. »

En 2014, le Commissariat à la protection de la vie privée a demandé aux assureurs d’attendre de pouvoir « montrer clairement que ces tests sont nécessaires et efficaces pour l’évaluation du risque ».

Pour être juste, il leur faudra aussi tenir compte de « nos bons gènes, qui nous rendent plus résistants que nous ne l’aurions cru », affirme Mme Knoppers. Il leur faudra aussi considérer qu’une personne connaissant son génome sera mieux placée pour éviter les médicaments inadéquats, et peut-être mieux équipée pour prévenir certaines maladies.

FAUT-IL SÉQUENCER LE GÉNOME DES ENFANTS ?

Il faut l’envisager lorsqu’ils souffrent de maladies rares, souvent dévastatrices, répond le Dr Jacques Michaud, chef du service de génétique médicale du CHU Sainte-Justine. Car dans 50 % des cas, les causes ne peuvent pas être établies d’emblée. « Encore régulièrement, je me retrouve devant un enfant qui a une maladie qui ne ressemble à rien », dit-il.

Il y a un an, Génome Québec et son équipe ont entrepris de séquencer la partie essentielle du génome de 400 patients au nouveau Centre de génomique clinique pédiatrique. Rendus à mi-parcours de leur projet-pilote, ils ont pu établir le diagnostic tant recherché dans plus de 30 % des cas. Une réussite qui dépasse leurs espérances et les amènera à demander au gouvernement l’utilisation de ce test dans la pratique courante, pour certains groupes de maladies.

Lorsque les symptômes sont trop flous ou les gènes potentiellement impliqués, trop nombreux, le séquençage offre un raccourci qui soulage le réseau et les familles, plaide le Dr Michaud. Le réseau, parce que cela met fin à des odyssées diagnostiques coûteuses. Les familles, parce qu’elles quittent ce cycle de tests perturbants. « Même s’il peut y avoir une déception, quand le diagnostic ne se traduit pas par un traitement, ça permet de passer à autre chose, constate le Dr Michaud. Parfois même de stopper des traitements inutiles et de savoir quelle littérature scientifique suivre. »

Lorsque les coûts baisseront encore plus, on pourra évaluer l’utilité du séquençage du génome chez tous les nouveau-nés. « Pour de nombreuses maladies, plus on les traite tôt, mieux c’est », rappelle le chercheur. Pour l’instant, nuance-t-il, il faut valider l’impact d’une telle approche pour le système de santé et les familles. On devra d’ailleurs bien réfléchir à la mise en place d’un tel dépistage, qui amène, dit-il, des « dilemmes éthiques redoutables ».

UNE APPROCHE CIBLÉE

Le risque de découvertes fortuites doit aussi être considéré. « Quand vous séquencez pour une maladie rare, vous risquez de tomber sur des conditions qui n’ont rien à voir, comme un risque de maladies du cerveau ou de cancer du sein. Pour l’éviter, nous masquons tous les gènes qui ne sont pas d’intérêt au départ », indique le professeur de pédiatrie.

Les généticiens canadiens préfèrent pour l’instant adopter une approche ciblée, car on ignore encore comment bien gérer ces découvertes.

Aux États-Unis, des directives recommandent au contraire de rechercher activement certaines variations clairement causales et de les rapporter aux patients.

Séquençage du génome

D’une grande première à l’autre

1866-1953 : PREMIERS PAS

Un moine tchèque découvre les lois de l’hérédité en étudiant… des petits pois (1866). Il faut près de quatre décennies pour que les résultats de ses recherches soient reconnus. Un Danois invente ensuite le terme « gènes » (1909). Puis, un Américain découvre que ces derniers sont composés d’ADN (1944). Un autre Américain et un Anglais établissent finalement que l’ADN a une structure à double hélice (1953).

1977-1990 : PREMIÈRES LECTURES DE GÈNES

Un Américain et un Britannique inventent simultanément les deux premières méthodes de séquençage (1977), qui sont bientôt suivies de nouvelles, toujours plus performantes. Les chercheurs commencent ainsi à identifier des marqueurs génétiques responsables de maladies (Huntington en 1983, cancer du sein et des ovaires en 1990).

1990-2003 : PREMIER SÉQUENÇAGE DU GÉNOME HUMAIN

Des laboratoires du monde entier s’associent pour séquencer le génome humain au complet. Il leur faut 13 ans et 2,7 milliards de dollars pour y parvenir. Entré dans la course avec huit ans de retard, l’Américain Craig Venter a failli les prendre de vitesse en puisant dans leurs résultats tout en utilisant une méthode de son cru, plus rapide. Finalement, ils ont publié leurs résultats préliminaires à une journée d’intervalle en 2001, et leurs résultats finaux en 2003.

2007-2015 : PREMIER GÉNOME INDIVIDUEL

En 2007, Craig Venter devient le premier humain à obtenir le portrait de tous ses gènes (jusque-là, on avait mis bout à bout des segments du génome de plusieurs personnes restées anonymes). Quelques scientifiques, milliardaires et célébrités l’imitent presque aussitôt. En parallèle, les recherches se multiplient, puisque de nouvelles technologies très performantes (dites à haut débit) font baisser sans cesse les coûts du séquençage.

2012-2016 : PREMIÈRES MÉGABANQUES

Quelques pays entreprennent de séquencer le génome de dizaines ou de centaines de milliers de citoyens (100 000 Genomes Project en Grande-Bretagne, Precision Medicine Initiative aux États-Unis). Leurs projets s’ajoutent à celui de Harvard, qui cherche 100 000 volontaires prêts à rendre leur génome public (Personal Genome Project, auquel participe le Canada depuis 2012).

— Marie-Claude Malboeuf, La Presse

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