Coupes en éducation

La Commission des droits de la personnes redoute que des élèves soient discriminés

Restrictions budgétaires ou pas, les élèves handicapés ou ayant des problèmes d’apprentissage ont le droit de recevoir des services adaptés à leurs besoins, sans discrimination, comme l’a confirmé la Cour suprême. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse a servi ce rappel par lettre au nouveau ministre de l’Éducation.

C’est en réaction à un article publié dans La Presse le 24 février, qui a suscité chez lui « une vive inquiétude », que Jacques Frémont, président de la Commission des droits de la personne, a décidé d’écrire au ministre Sébastien Proulx.

Pour la deuxième année consécutive, la Commission scolaire de Laval envisage d’y aller de compressions qui toucheraient au premier chef les élèves handicapés et présentant des difficultés d’apprentissage. Selon son plan de redressement budgétaire présenté au ministère de l’Éducation, la Commission scolaire de Laval espère récupérer 1,4 million de leur côté sur des coupes de 3 millions à faire en 2015-2016.

« À sa face même, le scénario de redressement proposé par la Commission scolaire de Laval nous semble constituer un cas de recul important du droit des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage à recevoir des services éducatifs, sans discrimination », écrit Jacques Frémont au ministre Proulx.

Jacques Frémont poursuit en rappelant au ministre de l’Éducation un jugement rendu par la Cour suprême en 2012.

La Cour suprême avait alors ordonné à la Colombie-Britannique de rembourser à des parents le coût de l’école privée vers laquelle ils s’étaient tournés pour leur fils dyslexique qui n’avait pas reçu de services adéquats à l’école publique.

« Des services d’éducation spécialisée adéquats ne sont donc pas un luxe dont la société peut se passer », a alors statué la Cour suprême.

LA CHARTE, UNE INCONTOURNABLE

La Commission de droits de la personne et de la jeunesse n’a certes pas à s’ingérer dans les décisions budgétaires du gouvernement, a rappelé son président Jacques Frémont, mais il a tenu à rappeler au nouveau ministre Proulx que « les décisions budgétaires qui sont rendues par l’État québécois, et qui doivent notamment être mises en application par les commissions scolaires, ne doivent pas avoir pour effet de compromettre les services éducatifs qui sont destinés aux élèves qui font partie d’un groupe protégé par la Charte ».

Est-ce à dire qu’en vertu de la Charte, qui garantit le droit à l’égalité, la porte est grande ouverte à la contestation judiciaire de compressions budgétaires ?

En entrevue, Jacques Frémont rappelle que dans ce type de situation, le temps presse pour l’élève en difficulté et que le recours aux tribunaux – avec ce que cela suppose en délais – n’est pas très heureux. La médiation est donc nettement privilégiée.

La Commission des droits de la personne analyse chaque cas « avec un gros bon sens », en étant consciente, certes, du contexte budgétaire, mais en ayant en tête en tout temps « le droit de tout enfant à une éducation publique gratuite au Québec ».

« La solution est-elle de réserver des enveloppes aux enfants en difficulté d’apprentissage, par exemple ? Ce n’est pas à nous de trouver la solution, mais le but de notre lettre au ministre, c’était de lui rappeler qu’il a une responsabilité à assumer. »

— Jacques Frémont, président de la Commission des droits de la personne

DES ÉLÈVES À NE PAS CIBLER

Mona Paré, professeure à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa et spécialiste du droit des enfants et de l’éducation, explique que jusqu’ici, les parents n’ont jamais réussi à obtenir des tribunaux un nombre précis d’heures de services spécialisés à l’école (en orthophonie, par exemple).

Les tribunaux ont une grande déférence envers les décisions prises dans le monde scolaire et, oui, il peut y avoir des coupes, indique Mona Paré.

Elles ne doivent cependant pas avoir pour effet de cibler particulièrement des enfants vulnérables, par exemple. « Au lieu de couper dans des services qui auraient affecté les élèves en général, la Colombie-Britannique avait coupé dans des programmes qui affectaient directement les enfants présentant des difficultés d’apprentissage », signale-t-elle, précisant que c’est cela qui avait posé problème.

À La Presse, la présidente de la Commission scolaire de Laval, Louise Lortie, avait indiqué que les services aux élèves à besoins particuliers seraient les plus touchés parce que c’est là que se trouvaient les rares sommes à couper, puisque la Commission scolaire, a-t-elle dit, avait historiquement investi davantage que les autres dans ces services.

Au cabinet du ministre Proulx, hier, on nous a indiqué que l'on avait à coeur la réussite de tous les élèves, sans distinction.

Pour ce qui est de l'année dernière,« la Commission scolaire de Laval a assuré le Ministère que toutes les sommes versées pour les EHDAA (élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage) avaient été utilisées à cette fin ».

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