Élections provinciales Opinion 

Le culte du chef et de la bataille

La semaine dernière paraissaient deux études sur les représentations médiatiques des femmes en politique municipale, réalisées principalement par trois tables régionales des femmes (Mauricie, Montérégie, Bas-Saint-Laurent). Elles y concluaient notamment que les médias et le cadre politique utilisent beaucoup les métaphores guerrières et sportives pour parler des actions et comportements des personnes politiques. Quand vous parlez à d’éventuelles aspirantes candidates, elles disent toutes quasiment sans exception que cette culture du « plus fort » (ma formule) est l’une des choses qui les rebute le plus.

Mêmes conclusions d’une étude réalisée pour la Fédération québécoise des municipalités (FQM) qui tenait son congrès la semaine dernière.

Cette étude (réalisée en 2017) révèle que les femmes intéressées par l’implication municipale hésitent à y plonger, tant elles sont mal à l’aise avec l’aspect conflictuel de la politique, la crainte de la discrimination, ainsi que la violence psychologique, voire physique.

À la lumière de ces études, je fais l’hypothèse que la structure de la politique, avec ses partis, ses camps opposés, ses tactiques de campagne au cours desquelles rien ni surtout personne n’est épargné, repousse encore les femmes. Vous me direz que sur la scène provinciale, les candidates sont plus nombreuses que jamais. Soit, mais attendons de voir si celles qui seront élues auront la marge de manœuvre pour changer la culture.

Briser le moule

On me répondra que la politique est ainsi faite, qu’il faut jouer le jeu. Que, de plus, bien des femmes sont capables de le jouer, ce jeu.

Qu’elles en soient capables, bien sûr. Mais je ne suis pas certaine que ça plaise à toutes, ni qu’elles s’accomplissent pleinement dans ce modèle. Peuvent-elles donner ce qu’elles ont de meilleur ? Et d’ailleurs, les hommes le peuvent-ils aussi ? 

Cette culture de la rhétorique assassine, des stratégies sans merci, nous vient d’un autre siècle (de l’Antiquité ?) et ne plaît pas aux femmes. Et je ne suis pas du tout convaincue que tous les hommes politiques se réjouissent tant que ça de cette joute cruelle qui leur passe sur le corps.

La figure du chef

Cette vision traditionnelle du combat politique va de pair avec une vision très stéréotypée du « chef ». Le New York Times publiait l’an dernier un article, « Picture a leader, is she a woman ? », fort révélateur. La journaliste Heather Murphy y rapporte une étude anglaise sur le leadership et les biais inconscients (New ways to leadership development : A picture paints a thousand words) qui analyse les conceptions d’hommes et de femmes sur la figure de leader. Elle rapporte cette chose (pas si) étonnante : lorsqu’on leur demande de dessiner « a leader » (je laisse l’expression anglaise parce que le genre est grammaticalement neutre et démontre qu’il n’y pas de contrainte sous-entendue : on ne dit pas « dessinez ‘‘un’’ chef »), ce sont systématiquement des images d’hommes qui sont tracées.

Il n’est venu à personne l’idée de dessiner une femme. Dans l’article de la journaliste, une experte explique que si l’on accorde aux femmes des aptitudes comme l’intelligence, le sens de l’organisation, le jugement, on ne leur reconnaît pas la capacité de « prendre en charge ». 

Cette « capacité » présumée est exactement ce qui nourrit le culte du chef. Et c’est pour rompre avec ce préjugé que Québec solidaire a voulu être représenté par un homme et une femme, et le Parti québécois a aussi choisi cette avenue, en faisant de Véronique Hivon sa vice-cheffe. C’est un début de changement, mais le ton et le cadre des débats télévisés démontrent à quel point on est loin de la révolution souhaitée.

Silence sur #moiaussi

Si plus de femmes cheffes, co-cheffes ou porte-parole s’exprimaient dans les campagnes au nom des partis, les sujets abordés seraient-ils différents ? Les partis ont été prompts à trouver des candidates pour convaincre qu’ils souhaitent eux aussi la parité (et on les en félicite !), mais alors pourquoi n’ont-ils pas abordé des thèmes qui touchaient spécifiquement les femmes ? Les chiffres ne sont pas tout, il faut aussi parler des dossiers précis qui les préoccupent, et la dernière année, avec le mouvement #moiaussi, a donné son lot de sujets possibles : dénonciation de l’impunité, élaboration de politiques en matière de prévention, capacité du système de justice de répondre ou non aux difficultés que vivent les femmes, par exemple. 

En décembre dernier, La Presse canadienne révélait les chiffres d’un sondage qui démontrait que 63 % des femmes élues à l’Assemblée nationale interrogées avaient vécu des épisodes d’ « inconduites sexuelles ».

Ç’aurait été bien d’entendre quelque chose là-dessus, d’autant plus que la présidente du Cercle des femmes parlementaires et députée sortante de Hull, Maryse Gaudreault, à qui j’ai posé la question jeudi dernier, confirme que tout est prêt pour mettre en œuvre les formations en matière de harcèlement sexuel auprès de tous les membres de l’Assemblée nationale et de leur personnel au Parlement et dans les bureaux de circonscriptions. Le tout sera accompagné du déploiement d’une campagne de sensibilisation. C’est tout de même une nouvelle intéressante, non ?

On aurait aimé avoir l’ombre d’un début de leadership sur les politiques de prévention en matière de violences sexuelles, mais les chefs ont formaté leur discours et argumentaires dans une boîte toute faite, bâtie sur un modèle figé. Et désolée de le constater, mais les médias ne sont pas, eux non plus, sortis de la boîte.

J’aurais aimé qu’un chef, pendant cette campagne, dise aux Québécoises : « Nous avons pris acte de ce qui s’est passé, nous n’avons pas les solutions à tout, mais ce sujet nous touche et nous révolte, comme il révolte nos filles, nos sœurs, nos compagnes, nos mères. »

Rien n’est sorti de leur cœur pour dire aux femmes qu’ils travailleront à changer la culture.

Il n’est pas trop tard pour bien faire. 

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