100 idées pour améliorer le Québec Faire rayonner la culture

Le théâtre, miroir de la vie

« Nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être. »

— William Shakespeare, Hamlet

Lorsqu’on regarde un enfant jouer, que le voit-on faire ? Il tente de trouver des solutions variées pour les problèmes qui surgissent dans l’histoire qu’il s’invente, il développe son empathie, sa flexibilité, sa capacité à entrer en relation avec les autres et à gérer l’imprévu. Il cultive son imaginaire, certes, mais il s’exerce aussi à jouer les rôles de la vie. N’est-ce pas là, la prémisse du théâtre ?

Certains, en vieillissant, continuent à jouer, à garder un aspect ludique dans leur vie. D’autres peuvent perdre le sens du jeu et ne plus trop savoir comment l’apprécier.

Pourtant, ce qui était si naturel au départ servait véritablement une fonction, celle de nous préparer à la vie. Et cette fonction est tout aussi importante plus tard. La capacité à jouer, à prendre des risques, à expérimenter des rôles peut être bénéfique pour notre bien-être et notre santé mentale. Cette répétition de la vie existe bel et bien, elle prend parfois les multiples formes du théâtre.

Prise de parole

Le théâtre a certainement des vertus thérapeutiques. Qu’on s’y plonge comme spectateur ou comme acteur, en amateur, à travers des organismes communautaires sous forme de théâtre social ou de manière professionnelle, plusieurs témoignent qu’il a changé leur vie positivement. Ils parlent de l’effet de catharsis, du sentiment de liberté ressenti par cette prise de parole nouvelle, du sentiment d’appartenance développé, de la découverte de nouvelles facettes d’eux-mêmes et de la valorisation de participer à quelque chose de commun et de plus grand qu’eux.

En effet, le théâtre peut faire du bien. Il appartient à tout le monde et chacun peut le pratiquer, y assister et en ressentir les bienfaits. Cependant, tous ne peuvent prétendre à une pratique formellement thérapeutique du théâtre. Les dramathérapeutes, dotés d’une formation de deuxième cycle combinant théâtre et psychologie, ainsi que les cliniciens ayant suivi une formation rigoureuse en psychodrame ont les moyens théâtraux et les outils thérapeutiques diversifiés et nécessaires pour y parvenir.

La nuance entre la thérapie et le théâtre qui fait du bien est importante, car le contrat n’est pas le même : un processus créatif avec des objectifs thérapeutiques versus un processus esthétique avec des objectifs à portée sociale, politique ou de divertissement.

Pour retrouver sa capacité à jouer, pour apprivoiser son vécu, réfléchir et avoir du plaisir, le théâtre peut être une voie à suivre. Expérimenter des rôles et des émotions variés peut révéler la force ou la douceur qui se cache en nous. Essayer ou être témoin de différentes réactions face à une situation peut être instructif quant aux avenues qui s’offrent à nous. Écrire et présenter ses pensées de manière esthétique peut être une puissante prise de parole citoyenne favorisant la tolérance, la pensée critique et divergente, tant sur scène que dans le public.

En quoi le théâtre est-il porteur de solutions ? Il permet, par l’entremise de la rencontre de soi et de l’autre, de se situer dans le monde et d’exercer son jugement. Il permet de travailler sa flexibilité, son ouverture, son empathie et sa créativité tout en faisant une place à ses parts d’ombre et en cultivant sa résilience.

100 idées pour améliorer le Québec Faire rayonner la culture

Et si la musique faisait une différence !

Josée Préfontaine, une des premières musicothérapeutes québécoises, décrivait ainsi la profondeur de l’expérience musicale : « La musique, c’est le grand réservoir de commune humanité entre les personnes. Dans la musique, il y a quelque chose de préverbal, qui est fondamental, mais qui est aussi au-delà du verbal. Quand les mots manquent, la musique est là pour porter secours. La musique est la mère du langage. La musique offre plus d’ouverture et de liberté que les mots pour vivre les expériences qui sont informes. Le langage est parfois trop précis. Souvent, il ne peut se rattacher aux expériences floues ou non encore formées. Nous avons besoin de cet espace transitoire. Il n’est nul besoin de justifier l’écoute ou l’emploi de la musique : elle est là. Comme une mère. Comme un berceau. Au-delà de la musique, il y a le silence. Plus grand encore. Qui reçoit toute parole dans le grand tout. »1

Donner accès à la musique, la créativité et l’expression à ceux qui n’ont pas de voix, ou n’osent s’exprimer ou ne le peuvent plus grâce à la musicothérapie, fait une différence en améliorant leur qualité de vie, leur sentiment de réalisation de soi et d’appartenance à une société qui parfois les juge ou ne les comprend pas.

Leandro et les autres

Leandro, un prématuré dont les pleurs sont calmés grâce à une utilisation judicieuse de la voix et d’instruments de musique développée par la recherche en musicothérapie. Ces bébés prennent du poids et sortent de l’hôpital plus rapidement lorsque le stress hospitalier est diminué.

Samir, un enfant autiste qui dirige son attention vers le son et répond vocalement et rythmiquement avec son corps à l’écoute d’une musique jouée au piano spécialement pour lui par la musicothérapeute qui vient ainsi de créer un lien avec lui. Une maman et un papa avec les yeux qui brillent.

Sofia, une adolescente qui a un mal de vivre. Pour elle, la musique est une bouée de sauvetage et l’accompagnement du musicothérapeute dans un cadre sécurisant lui permet d’exprimer des émotions que les mots ne peuvent rendre.

Robert, un homme vivant avec un problème de santé mentale qui compose et chante sa vie avec le soutien d’une musicothérapeute. Il ne se sent plus exclu et stigmatisé et surtout, il réussit à réduire le nombre de ses visites aux urgences.

Armande vivant avec la maladie d’Alzheimer à un stade avancé qui chante toutes les paroles d’une chanson, accompagnée à la guitare par la musicothérapeute.

Cette activité stimule sa mémoire et son attention grâce à un choix de chansons qui font écho à ses souvenirs lointains.

Florence, une patiente en fin de vie entourée des siens qui offre un chant de gratitude à son fils et sa fille par l’entremise de la musicothérapeute qui interprète sa création au piano.

Ces musicothérapeutes, on les retrouve dans des hôpitaux pédiatriques, des écoles spécialisées, des centres de pédiatrie sociale, des unités de psychiatrie, des centres d’hébergement de longue durée, des unités de soins palliatifs. Ils sont accrédités par l’Association canadienne des musicothérapeutes et respectent un code de déontologie qui assure la qualité des services et des normes de pratique.

Des actions concrètes pour servir la collectivité autrement :

– Augmenter l’accès à la musicothérapie dans le réseau de la santé et des services sociaux et le réseau de l’éducation considérant l’augmentation des besoins et le manque de ressources criants.

– Soutenir les fondations qui contribuent à l’offre de ces services dans la collectivité, les hôpitaux, les centres d’hébergement et les écoles.

– Reconnaître la profession par la création d’un ordre professionnel des thérapeutes par les arts (art thérapie, musicothérapie, thérapie par l’art dramatique, thérapie par la danse/mouvement) afin de s’assurer que les services sont rendus par des professionnels dûment formés et certifiés pour travailler auprès de clientèles vivant avec une condition physique, psychologique, cognitive et sociale, qui nécessite des connaissances et des compétences avancées.

1 Josée Préfontaine, « La formation à l’improvisation clinique en musicothérapie », thèse de doctorat, Université du Québec à Trois-Rivières. Non publiée. 2006

* Guylaine Vaillancourt est l'auteure de Musique, musicothérapie et développement de l'enfant, Éditions du CHU Sainte-Justine, Montréal

100 idées pour améliorer le Québec Faire rayonner la culture

De la nécessité de l’art et des Impatients en particulier

Les Impatients est un organisme à but non lucratif fondé en 1992 à Montréal pour venir en aide aux personnes ayant des problèmes en santé mentale par le biais de l’expression artistique. Issu d’un projet pilote créé par la Fondation des maladies mentales et l’Association des galeries d’art contemporain, Les Impatients ont fêté en 2017 leurs 25 ans. À ce jour, Les Impatients, c’est plus de 60 ateliers (arts visuels, BD, musique), 650 participants par semaine et une collection d’environ 15  000 œuvres.

La durabilité d’un projet qui s’avérait au départ précaire témoigne d’un réel besoin, voire d’une nécessité : la création artistique est essentielle à la société.

L’art est thérapeutique ; il soude ; il soigne ; il fait sens. Face à une expérience traumatique, face à la psychose, face à l’isolement, l’art tisse du lien.

Il est le moyen de transmettre un message, de mettre en couleur et en forme quelque chose d’indicible, ou tout simplement de se poser et de se laisser porter par son imagination. Carole, une impatiente devenue mal voyante, écrit qu’aux Impatients, «  on s’évade, on découvre que l’imagination est plus grande  ». En créant, Michel dit «  ouvrir une porte  » à travers laquelle il peut « se laisser aller à se découvrir  ». Une participante à l’atelier jeunesse raconte que son travail graphique est un moyen de déposer ses angoisses nocturnes.

Venir aux Impatients, sortir de chez soi, prendre les moyens de transport et marcher jusqu’aux ateliers est déjà une étape pour se reconnecter. Une participante explique que «  c’est sa raison de continuer à vivre et à combattre  » (Anna-Maria) ; un autre rapporte que c’est ce qui lui a permis de «  garder la vie  » (Willy) ; un autre encore explique que cette motivation l’a aidé à «  sortir de sa solitude  » (Félix).

Un espace de liberté

Les ateliers des Impatients offrent un cadre où la temporalité extérieure est mise entre parenthèses. Chacun y trouve sa place et se sent exister. «  Aux Impatients, nous formons une grande famille d’artistes de tous genres mais unique du fait de nos personnalités  », affirme une Impatiente. En arrivant, les participants déposent leurs affaires, partagent quelques mots autour d’un café, échangent sur leurs œuvres puis s’installent à leur table ou à leur chevalet. Ils sont libres de prendre les instruments et les matériaux qu’ils souhaitent. Aucun jugement, aucune directive restrictive ni attente. Chacun crée à son rythme selon ses propres besoins. Cet espace de liberté est thérapeutique en soi.

À la liberté de créer, s’ajoutent le plaisir et la reconnaissance d’être vu et entendu. L’échange et le regard d’un public extérieur font partie du processus.

Les Impatients s’attachent à valoriser les œuvres réalisées en ateliers par des expositions dans l’espace de la galerie, rue de Sherbrooke, et dans des lieux culturels majeurs.

Si les Impatients représentent un modèle constructif pour le Québec de demain, c’est également en raison de l’investissement constant et de la foi inébranlable en la création de sa fondatrice, Lorraine Palardy, du directeur actuel, Frédéric Palardy, et de l’ensemble des personnes qui y ont travaillé et y travaillent encore.

Les Impatients ne cessent de se réinventer pour répondre aux besoins croissants du monde de la santé mentale et à la réalité budgétaire du monde de l’art. Rendre accessibles les ateliers au plus grand nombre et trouver les moyens de s’autofinancer sont des questions majeures depuis sa fondation, rejoignant les problématiques culturelles actuelles. Pour cela, Les Impatients ont mis en place un système de «  franchise sociale ».

En plus des ateliers situés rue Sherbrooke en plein cœur culturel de Montréal, Les Impatients ont ouvert des ateliers en région – Drummondville, Joliette, Saint-Lambert, Sorel, Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Jérôme, Repentigny et Shawinigan – et dans les quartiers périphériques de Montréal – Centre Wellington à Verdun, atelier à Pointe-aux-Trembles. Ils organisent également des ateliers ciblés motivés par des sollicitations spécifiques du monde hospitalier. Des ateliers dédiés aux adolescents et aux patients en oncopsychiatrie seront mis en place sous peu.

Ainsi, en 25 ans, Les Impatients ont su miser sur l’art, l’expression, la création, la liberté, le sentiment d’appartenance, la confiance en soi, la reconnaissance et l’innovation ; autant d’idées qu’ils vont poursuivre et qui serviront à améliorer le Québec de demain.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.