Fonction publique québécoise

Le règne des intouchables

Quatre ans après l’obtention de mon baccalauréat en travail social, je n’ai plus envie d’aider personne. Je suis fatiguée, fatiguée du système, fatiguée de voir des employés moins compétents que moi obtenir des promotions et des postes permanents sous prétexte qu’ils ont été embauchés avant moi.

Je suis fatiguée d’être un nom qui bouche un trou dans un organigramme gouvernemental. Ou mieux, je suis fatiguée d’être un papier que l’on plie pour mettre en dessous d’une patte de table… à tout moment on peut vous tasser du revers du pied ou vous remplacer par un papier visiblement moins efficace, mais détenteur d’un poste permanent. 

Au gouvernement québécois, avec un poste permanent, tu es intouchable. Même avec le rendement d’une plante verte, personne ne peut t’atteindre.

Le système arrive à tenir en équilibre par la moyenne des employés performants et des poids morts (les plantes vertes). Il y a certes quelques employés qui traînent au milieu du lot, qui en font ni plus ni moins et qui se laissent ainsi bercer jusqu’à leur retraite. Pour une employée comme moi, qui aime être performante et donner son 200 % tous les jours, ma carrière se résumera à travailler en double pour combler l’inaction des poids morts. Je suis faite ainsi, je ne suis pas capable de ne faire que le strict minimum.

Je me retrouve aujourd’hui enceinte de sept mois et sans emploi. Au cours de la dernière année, je me suis dépassée et j’ai travaillé d’arrache-pied comme jamais auparavant. J’ai tout appris toute seule et j’ai cru naïvement que pour une fois, ma performance allait primer la fameuse ancienneté. Quelle erreur de débutante !

Voilà que la personne que je remplaçais revient de son congé de maternité, deux mois plus tôt que prévu, enceinte. Son retour me fait perdre mon emploi et on ne me réengage pas pour la remplacer étant donné que je suis moi aussi enceinte. Ainsi, après avoir été le papier en dessous de la patte de table pendant un an, papier que l’on a usé à la corde et utilisé à toutes les sauces, on me dit que ce sont les règles du jeu et que c’était mon choix d’être enceinte.

J’aimerais préciser que le choix que nous avons fait mon mari et moi, parce que c’est un choix qui se fait à deux, est celui de fonder une famille. Alors non, chers cadres sans enfant, je n’ai pas choisi d’être enceinte. J’ai choisi d’être sur le marché du travail et de fonder une famille. Je croyais cela possible en 2017. Ainsi, pour deux travailleuses enceintes chez le même employeur, l’une d’entre elles aura passé deux ans et demi chez elle, payée, sans mettre un pied au travail et l’autre perd son emploi et plusieurs semaines de salaire.

En aucun cas, quelqu’un ne s’est posé la question ; laquelle de ces deux employées est un meilleur investissement à long terme ? Jamais on n’a évalué la performance, le rendement, l’appréciation par les collègues, l’initiative et la motivation de ces deux personnes. L’une a été engagée avant l’autre, ça fait foi de tout.

À bien y penser, est-ce vraiment ma situation qui est illogique ou le fait que des employés purement incompétents, démotivés, négatifs ou absents la moitié du temps soient protégés à la vie à la mort par les syndicats tout au long de leur carrière ?

À quoi bon se dépasser et donner son 200 % dans un système où la date d’embauche est pratiquement le seul critère pour obtenir un poste ? Bravo chère employée, tu as dépassé les exigences de rendement cette année, mais la personne à côté de toi a été engagée une semaine avant, alors c’est elle qui obtient le poste permanent. Tu seras placée sur la liste de rappel en attendant qu’un employé permanent prenne son cinquième congé maladie en trois ans.

Au fond, peut-être que ces employés permanents blasés étaient aussi motivés et performants que moi au début de leur carrière, et c’est ce qui me fait peur. Depuis quatre ans, j’ai l’impression de nager à contre-courant dans un système qui essaie de m’aspirer vers le bas, et j’ai bien peur que ce soit la seule issue possible. À mon sens, c’est un problème.

Combien de jeunes professionnels comme moi se sont fait couper les ailes en mettant les pieds dans ce système ? Combien de projets, d’ambitions et d’innovations ont été étouffés avant même leur premier souffle ? Combien de talents sont gaspillés entre les murs beiges des édifices gouvernementaux ? Imaginez comment on pourrait changer les choses en remplaçant les plantes vertes par des employés dynamiques, passionnés et performants.

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