Mélatonine

La mélatonine remplit-elle ses promesses ?

Vous tournez et tournez dans votre lit sans arriver à fermer l’œil. Vous regardez avec affolement les minutes s’égrener sur votre réveille-matin. Après quelques nuits d’un sommeil hachuré, c’en est assez : les yeux cernés, rougis par la fatigue et le teint blafard, vous vous précipitez à la pharmacie du coin pour vous procurer des comprimés de mélatonine. Comme le font des centaines de milliers de personnes. Est-ce réellement efficace ?

La mélatonine est une hormone naturelle sécrétée chez l’humain, chez les mammifères et même chez certaines plantes. Appelée hormone du sommeil, elle est produite en l’absence de lumière et a comme rôle principal la régulation de l’horloge biologique, du cycle de veille-sommeil. Adepte du multitâche, elle agit également sur le système nerveux, sur le système immunitaire, sur la régulation de l’intestin, sur la maturation et la régulation sexuelle, sur l’humeur, alouette !

« Sans mélatonine, on ne pourrait pas vivre. C’est une hormone indispensable », affirme Gabriella Gobbi, psychiatre et professeure à l’Université McGill. À la lumière des études à ce jour, on attribue d’ailleurs de nombreuses vertus aux suppléments en vente libre. Les fabricants parlent d’un effet rajeunissant, d’un pouvoir antioxydant, de propriétés antidépressives. On avance même que l’hormone en comprimés pourrait favoriser une meilleure santé cardiaque, « booster » le système immunitaire et aider à lutter contre le cancer et la maladie d’Alzheimer.Tentant, n’est-ce pas ?

Forte de toutes ces allégations, la mélatonine a la cote, on ne s’en étonne pas. Sa popularité connaît une hausse fulgurante depuis quelques années. Aux États-Unis, les ventes de mélatonine ont atteint 260 millions de dollars en 2012, tandis qu’en 2007, elles se chiffraient plutôt à 90 millions.

Cet engouement autour de la mélatonine est né avec la publication fort médiatisée, en 1995, du bouquin Melatonin : Your Body’s Natural Wonder Drug. Écrit par Russel J. Reiter, réputé chercheur en neurosciences de l’Université du Texas, et Jo Robinson, journaliste et auteure de plusieurs best-sellers, le livre a connu un succès monstre. Au Canada, les insomniaques ont dû patienter 10 ans avant de pouvoir mettre la main sur des suppléments en vente libre. Depuis, c’est un peu la folie.

« La mélatonine est très à la mode aujourd’hui. Dès qu’on a un petit bobo, on saute sur des pilules. Dès qu’on ne dort pas pendant 10 minutes, on saute sur la mélatonine », résume le pharmacologue Jean-Louis Brazier, professeur émérite à l’Université de Montréal.

« Depuis qu’elle est en vente libre, on lui attribue tout un tas de vertus, plutôt liées à son action physiologique qu’à celui des comprimés. On croit à tort qu’en achetant de la mélatonine à la pharmacie du coin, tous nos maux seront réglés. »

— Jean-Louis Brazier, pharmacologue et professeur émérite à l’Université de Montréal

EFFICACITÉ LIMITÉE

« On trouve énormément de publications sur la mélatonine, mais les études scientifiques solides sont très peu nombreuses. On n’a pas démontré une grande efficacité des suppléments de mélatonine, et ce, pour la plupart des allégations soutenues, avance Gabriella Gobbi. Les scientifiques s’entendent néanmoins pour dire que la mélatonine peut avoir un effet soporifique, c’est-à-dire qu’elle peut faciliter l’induction de sommeil et raccourcir légèrement le temps d’endormissement sans créer d’effet de dépendance. Contrairement aux somnifères dont l’effet est hypnotique, la mélatonine ne maintient pas le sommeil durant la nuit. »

La très courte durée de vie de la mélatonine est un des facteurs expliquant son efficacité limitée. « Au bout de 20 minutes, le corps l’a pratiquement éliminée », indique la chercheuse. À cette limite s’ajoute une biodisponibilité relativement faible. « Dans un comprimé, à peine 10 à 15 % de la mélatonine atteint la cible, explique Jean-Louis Brazier. Une grande partie sera détruite dans le tube digestif et le foie avant d’arriver à destination. Ça dépend de l’activité des enzymes de chacun. » Si la mélatonine peut vous aider à glisser dans les bras de Morphée, l’effet n’est donc pas garanti pour autant.

La mélatonine est par ailleurs une hormone fort capricieuse. Pour un effet optimal, elle doit être administrée à un dosage parfait et à un moment bien précis.

« La mélatonine va avoir des effets complètement différents sur le sommeil selon les moments auxquels on va la prendre et selon les doses choisies. »

— Marie Dumont, chercheuse au Centre d’études avancées sur le sommeil et professeure au département de psychiatrie de l’Université de Montréal

C’est que la mélatonine agit sur deux types de récepteurs (MT1 et MT2) qui sont exprimés en quantité plus ou moins importante selon les individus et selon le moment de la journée. Le MT1 agit surtout sur le sommeil paradoxal et le MT2 agit sur le sommeil profond, a-t-on découvert récemment. L’action de l’un peut venir annuler l’action de l’autre. Ça se complique drôlement. « Si on prend la mélatonine au mauvais moment, ça peut même empirer notre cas », souligne Marie Dumont.

HORAIRE IDÉAL, DOSE JUSTE

Alors, quand prendre la mélatonine ? Chez un individu à l’horloge synchronisée, on conseillera de prendre des comprimés environ 60 minutes avant le coucher. Chez les autres ? On n’en sait rien. « Il faut d’abord réussir à connaître l’heure de l’horloge biologique de la personne. C’est extrêmement difficile et ça nécessite des tests longs et coûteux qui ne sont pas à la portée du public », explique Mme Dumont. Si on est en constant déphasage – un pilote d’avion, par exemple –, mieux vaut oublier cette possibilité.

Et la dose idéale ? Un véritable casse-tête. « Les récepteurs MT1 répondent bien à des doses de mélatonine élevées, tandis que les récepteurs MT2 répondent mieux aux doses très faibles et se désensibilisent rapidement à de fortes doses, explique Marie Dumont. Selon l’effet recherché, le dosage juste est extrêmement important. Il faut être chanceux pour tomber sur la combinaison parfaite en automédication. Chez la majorité des gens, ça ne fonctionne donc pas très bien. »

En raison des nombreuses limites de la mélatonine et du manque d’intérêt des sociétés pharmaceutiques – « on ne peut breveter une hormone, alors l’intérêt financier n’y est pas ! », lance Marie Dumont –, de plus en plus de scientifiques planchent plutôt sur la mise au point d’analogues de la mélatonine ayant une durée d’action plus longue, un effet hypnotique plus grand et des risques réduits de dépendance. L’équipe de Gabriella Gobbi, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Montréal, a d’ailleurs créé une molécule (UCM765) qui active uniquement le récepteur MT2 (qui favorise le sommeil profond). Cette molécule est encore à l’étude. Mais cette découverte pourrait mener, qui sait, à une nouvelle génération de somnifères… pour le plus grand bonheur des insomniaques.

À L’ÉTUDE

On comprend encore mal l’action de la mélatonine et de ses récepteurs. Les avenues les plus prometteuses concernent son effet de régulation du cycle veille-sommeil chez les personnes aveugles et les personnes souffrant d’une insomnie primaire, chez les voyageurs pour prévenir les effets du décalage horaire vers l’est et chez les enfants atteints de TDAH et d’autisme. On étudie actuellement son effet protecteur contre l’ostéoporose, le cancer, la maladie d’Alzheimer, le Parkinson et même chez les prématurés, sans données probantes à ce jour.

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