OPINION

Les 100 jours de Dr. Jekyll et Mr. Hyde

Du jamais vu sans nul doute que les 100 jours de Donald Trump.

Que des premières : premier président à ne pas oser sortir de son pays et visiter un chef d’État à l’étranger, premier président à promulguer autant de décrets exécutifs (souvent plus symboliques qu’autre chose) depuis Clinton, premier président dont la cote de popularité est la plus faible depuis 1945, premier président dont les nominations au gouvernement – devant être approuvées par le Sénat – sont aussi peu nombreuses et enfin, aucune mesure législative adoptée. Bienvenue dans l’univers alternatif de Donald Trump.

Personne ne représente mieux que lui (c’est une métaphore, bien sûr) la personnalité duale de Dr. Jekyll et Mr. Hyde, capable du mieux (trop rarement), comme du pire (assez souvent).

Il est impulsif, il écoute la dernière personne qui lui parle, il aspire constamment à être au-devant de la scène, il peut être hargneux, il peut décider promptement et procrastiner autant, il peut mentir et il peut s’assagir.

Disons qu’être conseiller de Trump n’est pas un emploi particulièrement reposant, un peu comme un funambule performant sur un fil de rasoir. On a déjà affirmé que Trump serait un président imprévisible, là-dessus on ne s’est pas trompé. Il change d’idée comme il change de chemise (il porte cependant toujours les mêmes cravates, ce qui fait espérer), en politique étrangère comme en politique intérieure.

Il est ainsi contre et pour l’OTAN, réfractaire puis favorable à une attaque contre Bachar al-Assad, il annonce vouloir mettre fin à l’ALENA, mais (à la suite d’une intervention téléphonique pesante de notre premier ministre), finalement, il attendra, il dénonce à tout rompre la Chine puis dit vouloir s’entendre avec elle (notamment sur Taïwan et sur le commerce), il se fâche contre la Corée du Nord une journée et affirme vouloir négocier la suivante.

En politique intérieure, c’est la paralysie comme le démontrent les ratés dans le domaine du projet de réforme de la santé (avorté au feuilleton législatif), du projet de mur (qui prendra bien du temps à aboutir), du projet d’interdiction d’immigration provenant de certains pays (qui sera embourbé dans les contestations judiciaires), du projet de baisse d’impôts (qui réveille tous les démons de l’endettement accru du gouvernement), sans parler du projet encore inexistant des infrastructures.

Sans oublier en outre le scandale toujours présent des connexions entre les anciens conseillers de Trump et la Russie qui peuvent à terme affaiblir, voire mettre sérieusement en péril cette présidence.

Bref, les 1360 prochains jours pourraient bien être à l’image des 100 premiers : sous le signe de l’improvisation, des avancées et des reculs, mais globalement d’une indiscipline potentiellement toxique pour la gouvernance – interne comme externe – des États-Unis.

Qui de Jekyll ou Hyde aura le dernier mot ?

Bien malin celui qui peut prédire. Certains jours l’espoir renaît tandis que Trump apprend, qu’il écoute ses conseillers et qu’il parvient à dompter son mauvais caractère. Le président devient « présidentiel », il a une stratégie et parvient à réaliser ses objectifs. Jekyll a alors le dessus. Il est raisonnable, il écoute Ivanka plutôt que Bannon et il lit son téléprompteur ou prend un valium pour endurer quasi contre son gré les conférences de presse ou les réunions auxquelles assistent les journalistes (M. Trudeau a ainsi pu bénéficier de ce bon traitement lors de sa visite à la Maison-Blanche).

Hélas, Jekyll est impulsif, surtout quand il écoute Bannon, rencontre ses électeurs, regarde CNN ou tweete irrésistiblement. L’espoir s’estompe alors et les tweets assassins de Hyde reprennent le dessus – notamment très tôt ou très tard en journée et les fins de semaine. Le président Hyde se fâche.

Sa mauvaise humeur est le pire ennemi de Trump, car le président Hyde se nourrit du mensonge, de la division entre ses conseillers, de déclarations intempestives et d’accusations souvent personnelles et improductives.

La meilleure décision que prendrait ainsi ce président serait de s’adjoindre un chef de bureau exemplaire, solide et expérimenté pour l’aider à gouverner son administration, son pays, en lieu et en place de la bande d’amateurs qui l’entourent à la Maison-Blanche (à une exception près, celle de McMaster, son conseiller pour la sécurité nationale). Grand bien lui ferait la nomination d’une personnalité telle James Baker qui pourrait peut-être sauver Dr. Jekyll de lui-même…

Les risques de dérapage

Ils sont exacerbés. Un gros scandale menant à la destitution est certes possible, mais peu probable. En revanche, la variable à surveiller est le taux d’approbation ou de désaffection de la base électorale de Trump. Celle-ci continuera-t-elle de soutenir son président si celui-ci les déçoit avec de fausses promesses et de vraies désillusions ?

En effet, qu’adviendrait-il si les électeurs de Trump souffrent un peu plus de l’absence de couverture médicale, d’un endettement accru en raison des réformes fiscales et des projets budgétaires irréalistes, de l’abandon de l’ALENA qui provoque des pertes d’emploi – surtout dans le Rust Belt – , de la déréglementation dans le secteur environnemental qui dégrade la qualité de vie dans les États industriels, d’un interventionnisme militaire auquel ils n’ont pas souscrit au Moyen-Orient ou ailleurs ?

Dans toutes les contradictions de l’administration Trump, ce qui est frappant, c’est l’absence totale d’une vision articulée en stratégies autre que les réactions cutanées et spontanées.

Pour le bien des électeurs de Trump, celui des États-Unis et du monde, espérons que Dr. Jekyll trouvera la formule pour mater durablement Mr. Hyde.

Quelle note pour Trump après le premier examen ?

Sur les 100 premiers jours : F (Failure).

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