Procès pour terrorisme

S'il devait recruter, il irait à la mosquée de Charkaoui

Le meilleur endroit pour recruter de jeunes  Québécois prêts à partir faire le djihad en Syrie, c’est au centre islamique Assahaba du prédicateur Adil Charkaoui, croit le suspect de terrorisme Ismaël Habib, dont le procès s’est amorcé cette semaine à Montréal.  C’est du moins ce qu’il a confié en février à un agent d’infiltration de la GRC jouant le rôle du patron d’un groupe criminel de passeurs illégaux.

Des jeunes « chauds »  à l’idée d'aller faire le djihad

La scène se déroule dans un entrepôt loué par la GRC, quelque part à Montréal. Ismaël Habib se croit en grande conversation avec le « boss » d’une organisation criminelle qu’il a déjà rencontré quelques fois dans le cadre d’autres scénarios d’infiltration mis sur pied par la police.

L’agent d’infiltration a proposé il y a déjà quelques semaines au suspect de travailler pour lui. Aujourd’hui, les deux hommes évoquent la possibilité de créer un réseau de passeurs du Québec vers la Syrie.

« Je lui ai demandé : “Connais-tu des jeunes qui voudraient aller là-bas ?” », a raconté le policier hier, caché derrière des paravents dans la salle de tribunal parce que son identité doit être protégée. Habib a nommé deux mosquées montréalaises : une dont le nom échappait au témoin, et « le centre Assahaba ». C’est là qu’Adil Charkaoui prêche. Il en est le président du conseil d’administration.

L’accusé de 29 ans a expliqué à l’agent qu’il y avait à Assahaba « un imam qui prêchait » et des jeunes qu’il a qualifiés de « chauds » à l’idée de partir faire le djihad. « Il m’a dit que s’il avait à recruter, c’est là qu’il irait. »

Le nom du centre Assahaba, aussi connu sous le nom de Centre islamique de l’Est de Montréal, a souvent été associé à celui de jeunes aspirants djihadistes. Plusieurs fidèles du centre ainsi que d’autres jeunes ayant des liens avec M. Charkaoui sont partis vers la Syrie ou ont été interceptés avant. Le prédicateur a toujours nié avoir joué un rôle dans leur radicalisation.

Trois mois en Syrie

Le procès d’Ismaël Habib en est à sa cinquième journée aujourd’hui et on découvre peu à peu l’ampleur de l’opération policière dont il a fait l’objet, opération qui a été interrompue de manière imprévue lorsqu’il a été arrêté pour violence conjugale le 26 janvier.

Pour le coincer, la GRC avait mis sur pied une vingtaine de scénarios tous plus élaborés les uns que les autres. Durant des mois, au moins six agents infiltrés faisaient à son insu partie de son entourage. Campant différents rôles dans l’organisation criminelle fictive, ils le rencontraient au restaurant, au gymnase, dans des stationnements publics.

Au fil du temps, le suspect leur a dévoilé plusieurs secrets. Il a notamment avoué au « boss » qu’il avait déjà passé trois mois en Syrie, où il aurait acheté un fusil d’assaut, côtoyé des combattants tchétchènes et fouetté un prisonnier de guerre avec une corde, selon ce qu’il a raconté.

Habib aurait répété à maintes reprises que son devoir était d’aller faire le djihad et que le but du groupe armé État islamique était de « purifier » la Syrie. « Il a dit que, lui, il vivait pour mourir. Il a expliqué que 72 vierges l’attendaient de l’autre bord », a dit le policier au tribunal.

L’accusé aurait même affirmé être membre de l’EI. « Il m’a indiqué qu’il voulait partir. J’ai demandé où. Il a dit la Syrie. J’ai demandé s’il faisait partie d’un groupe. Il a dit oui. J’ai demandé lequel. Il a répondu l’État islamique. »

Partir en bateau

Début janvier, la GRC a monté toute une mise en scène pour montrer à Habib que le groupe criminel auquel il se croyait mêlé pouvait se procurer de faux passeports et, mieux encore, faire sortir illégalement des gens du Canada.

Un soir, il a été convoqué par « le boss » à un appartement du quartier Rosemont. « À partir d’à soir, là, on va passer à un autre niveau », l’a prévenu l’agent. « N’importe quand, que t’es pas confortable avec ce que je te demande de faire, la porte est là. » Habib est resté.

Puis, le patron a demandé son aide pour faire sortir du pays un homme muni de faux papiers. Le départ devait se faire par bateau, au port de Montréal.

L’accusé avait pour tâche d’accompagner le « client », qui venait de payer des milliers de dollars devant lui, jusqu’à une autre voiture qui devait le conduire à destination, puis de s’assurer que cette voiture entrait sans encombre dans la zone portuaire. « C’était assez impressionnant. Il y avait un gros porte-conteneurs avec toutes les lumières allumées », a expliqué le policier au sujet de la scène. « Après l’opération, Habib avait l’air énervé et content. »

Les deux hommes, affirme le témoin, ont discuté de la possibilité que lui aussi quitte le pays par bateau.

« Le boss » poursuit son témoignage aujourd’hui. 

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