CHRONIQUE

Dr Chaos

Sans que cela fasse trop de bruit, trois dossiers liés à la santé ont refait surface pendant le temps des Fêtes, trois dossiers qui portent la signature du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, et trois dossiers qui, pour cette raison, risquent de déraper.

Ce sont, au départ, des initiatives qui visent des objectifs avec lesquels il est difficile de ne pas être d’accord : l’abolition des frais accessoires facturés par les médecins, la gratuité pour les échographies faites en clinique privée, et enfin, l’établissement de nouvelles règles pour encadrer les privilèges de pratique des médecins en milieu hospitalier.

Ces bonnes idées risquent de ne plus en être avec la façon dont le ministre assure leur mise en œuvre, dans la chicane et l’imprécision, avec le risque réel que les patients soient perdants.

FRAIS ACCESSOIRES

M. Barrette, après avoir annoncé leur encadrement, a fait une volte-face en septembre pour décréter leur abolition. C’est une bonne chose, parce que cette pratique a mené à de réels abus et qu’elle contrevenait au principe de gratuité. Mais dans plusieurs cas, ces frais servent à couvrir les coûts réels de services que le gouvernement ne rembourse pas aux médecins, comme les endoscopies qui exigent un équipement sophistiqué. Il fallait tenir compte de cette réalité. Mais ce travail, avec les négociations qu’il exige, n’a pas été fait. Parce qu’il n’est pas raisonnable de demander à des cliniques de fonctionner à perte, on risque d’en arriver à des interruptions de services ou à un déplacement des clientèles vers le réseau public déjà surchargé.

ÉCHOGRAPHIES

C’est un peu la même chose pour les échographies. Les gens vont dans les cliniques privées de radiologie, où ils doivent payer, parce que les hôpitaux ne fournissent pas. Cela contrevient au principe de gratuité. Rendre ces procédures gratuites est une bonne décision. Mais qui va payer la note ? Le gouvernement veut que le coût de la mesure soit absorbé à même la masse salariale des radiologistes, ce qui est raisonnable, si c’est bien fait, quand on connaît leur niveau de rémunération. Mais tout indique aussi que la somme versée aux cliniques sera inférieure à ce que ça coûte, ce qui pourrait porter atteinte à la capacité de petites cliniques d’offrir le service. En outre, les radiologistes craignent que l’implantation subite de la gratuité provoque un choc difficile à absorber. Tout cela aurait dû être discuté et négocié, ça n’a pas été fait, d’où un climat de chicane et d’incertitude.

PRIVILÈGES DE PRATIQUE DES MÉDECINS

Dans le troisième cas, le ministre a déposé à la toute fin de la session le projet de loi 130, portant essentiellement sur les privilèges de pratique, qui veut donner aux administrations hospitalières des moyens pour forcer les médecins à remplir leurs obligations pour conserver leur droit de pratique hospitalière. On peut vouloir repenser le modèle actuel où les médecins sont des opérateurs privés dans des institutions publiques pour améliorer la gestion. Mais ce projet de loi, sans détails, sans cadre, sans objectifs clairs, ressemble plus à une tactique d’affrontement qu’à une politique.

Cinq actes

Il y a une trame commune à ces trois dossiers, un pattern dans le comportement du ministre, que l’on peut décrire comme une pièce de théâtre en cinq actes.

Premier acte. Le ministre Barrette, avec sa verve habituelle, annonce une nouvelle politique en conférence de presse, d’une façon qui lui permet de se mettre en valeur et de se camper comme le défenseur des intérêts des patients.

Deuxième acte. Les médecins l’apprennent comme tout le monde, par les médias. Ils n’ont pas été consultés, ils notent des lacunes dans la mesure élaborée en vase clos. Leur manque d’enthousiasme passe pour de la mauvaise volonté, ce qui permettra au ministre de marquer encore plus de points.

Troisième acte. Ce dernier se passe moins sur la scène qu’en coulisse. La mesure s’ajoute à d’autres. Le ministre accumule les dossiers litigieux qu’il laisse pourrir pour créer un climat d’affrontement dont il espère sortir gagnant. Ma collègue Ariane Krol, dans un éditorial récent sur les privilèges hospitaliers, écrivait : « Véritables intentions ou stratégie de négociation ? »

Quatrième acte. Après quelques semaines ou quelques mois, la mesure annoncée avec superbe n’a pas été accompagnée du travail de mise en œuvre nécessaire – pas de négociations, pas de peaufinage des détails –, tant et si bien que ça ne marchera pas sur des roulettes, qu’on créera des problèmes ailleurs. Ou que ce sera le bordel, comme dans les cliniques de radiologie qui, comme moyen de pression, commencent à refuser de faire des échographies. Mais qui a allumé le feu et jeté de l’huile dessus ?

Cinquième acte, beaucoup plus tard. La logique de rapport de force, les mesures brouillonnes, les attaques contre ceux qui devraient être des partenaires, la centralisation excessive et l’arbitraire rendront le réseau de la santé encore plus déchiré, plus épuisé, plus dysfonctionnel. Gérer dans l’affrontement, c’est gérer dans le chaos.

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