OPINION

PÉTROLE « SALE » Qui mène le Québec, le premier ministre ou Dominic Champagne ?

Il n’y a pas de honte à commettre une erreur – qui n’en a jamais fait dans sa vie ? Mais il est absurde de persister dans cette erreur quand elle est grossière et qu’il est encore possible d’en corriger les conséquences les plus graves.

C’est ce qu’a fait malheureusement cette semaine le premier ministre François Legault, tout à l’euphorie de sa nouvelle popularité depuis sa victoire d’octobre dernier. 

Pétrole et péréquation 

Le premier ministre ne s’est pas contenté de qualifier une fois le pétrole de l’Alberta de « sale », au moment même où l’on apprenait que le Québec recevrait une somme d’argent record d’Ottawa en vertu du programme de péréquation : 13 milliards, soit 1600 $ par année par Québécois, provenant pour la plus grande part dudit pétrole « sale » de l’Alberta. 

M. Legault a répété ce qualificatif comme s’il ne comprenait pas que toute vérité n’est pas bonne à dire dans un dossier de ce genre quand on est premier ministre.

Comme si, surtout, il ne réalisait pas que ce qualificatif de « sale » ne pouvait que heurter profondément les Albertains, dont l’identité est étroitement liée au pétrole, sans parler de la situation économique objectivement difficile qu’ils vivent actuellement. 

On ne sait ce qui inquiète le plus : l’erreur de jugement du premier ministre ou le fait qu’il n’y a eu personne dans son entourage pour le sortir de sa béatitude postélectorale, en lui rappelant certaines données de base de la diplomatie et de la géopolitique canadienne. 

Ses conseillers pourraient aussi lui rappeler que les Québécois n’ont pas voté pour Dominic Champagne, qui affirmait cette semaine que l’Alberta ne devait rien de moins que renoncer au pétrole.

Le 1er octobre dernier, les électeurs ont choisi la CAQ, le parti dont le programme mettait nettement moins l’accent sur l’environnement que ses concurrents.

Rappelons par ailleurs que le programme fédéral de péréquation, dont seul le principe est constitutionnalisé depuis 1982, vise à assurer aux provinces moins riches que la moyenne nationale – comme le Québec – des revenus leur permettant, si elles le désirent, de dispenser des services publics d’une qualité comparable à la moyenne canadienne.

Heureusement pour nous, les sommes distribuées annuellement en vertu de la péréquation viennent d’être fixées par Ottawa pour les cinq prochaines années. La répartition du pactole entre les provinces sera réajustée en 2023 en vertu de critères aussi complexes que fluctuants.

Retour du bâton 

La chose dont on peut être sûr, c’est que les politiciens canadiens-anglais, en Alberta et en Ontario tout particulièrement, vont tout faire pour diminuer les versements de péréquation à un Québec qui non seulement ne manifeste aucune sympathie pour leurs problèmes, mais se permet de leur infliger sa prétentieuse condescendance verte avant d’encaisser son chèque de 13 milliards.

Qui veut parier sur le maintien à un tel niveau des paiements de péréquation au Québec à partir de 2023 ? Descendrons-nous plutôt à 8 milliards par année ? À 9 ? Cela voudrait dire un manque à gagner de 20 milliards pour les cinq années suivantes.

On dirait incidemment que certains chroniqueurs, commentateurs et éditorialistes se sentent obligés de flatter les Québécois dans le sens du poil dans cette affaire, ne reconnaissant que du bout des lèvres que le Québec reçoit la part du lion de la péréquation au pays : 13 milliards sur 20 par année. 

« C’est plus compliqué que cela… ». « Nous sommes défavorisés sur d’autres plans… ». « Certaines provinces reçoivent plus par habitant que nous… ». Comme l’Île-du-Prince-Édouard, bien sûr, 60 fois moins peuplée que le Québec, ou le Nouveau-Brunswick, 11 fois plus petit…

C’est bien le seul cas où le Québec tient à se comparer à de petites provinces totalement dépendantes de l’aide fédérale plutôt qu’à l’Ontario, la Colombie-Britannique ou l’Alberta ! 

Alors que la vieille francophobie a fait sa réapparition cette semaine en Alberta, Justin Trudeau a exprimé le regret que François Legault ait utilisé cette expression de « pétrole sale ». Son père, Pierre Elliott Trudeau, qui n’avait pas la langue dans sa poche, avait déjà accusé les Québécois de se comporter en « quêteux à cheval » dans ce genre d’affaire.

M. Legault devrait tout faire pour sauver ce qui peut l’être de notre relation avec l’Alberta. Vingt milliards de perdus, ça ferait beaucoup d’électricité à vendre à des provinces canadiennes qui n’en voudront pas.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.