Éditorial : Conflit israélo-palestinien

Le Canada retrouve sa voix à l’ONU

Cette semaine, le Canada a fait un geste inédit en plus de 14 ans. Depuis le début de l’ère Harper. Aux Nations unies, le pays a voté en faveur d’une résolution sur le « droit du peuple palestinien à l’autodétermination ».

Ce vote, qui est passé sous le radar au Québec, mais qui a fait les manchettes au Canada anglais, permet d’espérer que le gouvernement Trudeau est enfin en train de rééquilibrer sa position à l’égard du conflit israélo-palestinien à l’intérieur de l’organisation internationale. Un rééquilibrage plus que nécessaire dans les circonstances actuelles.

Depuis 2006, le comportement du Canada sur la question était devenu terriblement prévisible au sein de l’ONU.

Chaque année, le pays votait contre la plupart du temps ou s’abstenait sur l’ensemble des résolutions visant Israël et les territoires palestiniens.

Et il y en a beaucoup. Une vingtaine qui reviennent annuellement. Certaines de ces résolutions concernent les droits des réfugiés palestiniens, d’autres, les colonies juives dans les territoires occupés ou encore les droits de la personne. La plupart sont ouvertement critiques des politiques israéliennes.

Les pays européens votent largement pour l’ensemble de ces résolutions. Idem pour l’écrasante majorité des pays du monde. Le Canada était pas mal tout seul dans son camp à s’y opposer quasi systématiquement avec les États-Unis, Israël et trois îles du Pacifique lourdement subventionnées par Washington.

Pour expliquer ses habitudes de vote, le Canada disait s’opposer non pas à chacune des résolutions sur le fond, mais plutôt à l’acharnement des membres de l’Assemblée générale de l’ONU contre Israël. Si on considère qu’il y a une seule résolution visant l’Iran et absolument aucune sur l’Arabie saoudite et le Venezuela, des pays qui ont pourtant des bilans terriblement sombres en matière de droits de la personne, il y a en effet de quoi sourciller. À ce chapitre donc, quand il est arrivé au pouvoir, Justin Trudeau a décidé d’utiliser la même approche aux Nations unies que son prédécesseur conservateur, et ce, même si la position des gouvernements libéraux avant 2006 était beaucoup plus nuancée.

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Ce n’était pas très gênant quand Barack Obama était au pouvoir. Les deux gouvernements privilégiaient les mêmes solutions au conflit israélo-palestinien : la création d’un État palestinien indépendant aux côtés d’Israël. Les deux pays s’opposaient à l’expansion des colonies juives en Cisjordanie et estimaient que le sort de Jérusalem, ville sainte aux yeux des Israéliens et des Palestiniens, devait être négocié dans un accord de paix global.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump cependant, ces positions communes ont complètement pris le bord. D’abord, quand l’administration Trump a décidé en 2017 de déménager son ambassade à Jérusalem.

Le Canada a avalé de travers le geste unilatéral américain, mais s’est contenté de s’abstenir lorsque l’Assemblée générale l’a formellement condamné.

À l’époque, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland était en train de renégocier l’ALENA et ne voulait visiblement pas irriter son vis-à-vis déjà pas mal imprévisible. Pas très courageux, mais justifiable.

Cette semaine cependant, les États-Unis en ont remis une grosse couche quand le secrétaire d’État, Mike Pompeo, a affirmé que dorénavant, son pays ne considère plus que les colonies juives dans la Cisjordanie occupée sont contraires au droit international. Pourtant, toutes les administrations précédentes, républicaines comme démocrates, ont dit le contraire pendant 41 ans.

Ce point de vue était en phase avec le consensus international selon lequel l’expansion des colonies juives en Cisjordanie et à Jérusalem-Est met en péril la viabilité d’un État palestinien et du coup la solution des deux États.

Devant le retournement de l’administration Trump, le Canada ne pouvait pas rester les bras croisés et continuer de jouer le rôle du petit frère fidèle. Le vote de mardi en faveur de la résolution onusienne sur le droit des Palestiniens à un État indépendant était un incontournable. Surtout que la semaine précédente, le Canada avait voté contre ou s’était abstenu sur huit autres résolutions liées au conflit israélo-palestinien.

Dans l’ensemble, on peut même parler d’un geste plutôt timide, mais qui arrivait à point nommé.

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Les réactions ne se sont pas fait attendre. Israël a immédiatement exprimé sa « déception ». Le B’nai Brith et le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), deux organisations juives canadiennes, aussi. De son côté, l’Autorité palestinienne et les Amis canadiens de La paix maintenant, un mouvement israélien, ont salué le vote canadien.

Le nouveau ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, a été pris à partie immédiatement après sa nomination. « Je pense que les membres de la communauté juive au Canada et ailleurs dans le monde savent que le Canada est un allié, mais il y a des moments où nous devons exprimer notre opinion et notre position comme nous l’avons fait [mardi] », a-t-il répondu aux critiques. Nous ne pouvons qu’applaudir cet énoncé tout en nuances.

Maintenant que les États-Unis jouent le rôle de l’éléphant dans le magasin de porcelaine au Proche-Orient, le Canada doit prendre ses distances et faire entendre sa propre voix.

Une voix équilibrée qui prend en compte les préoccupations des deux principaux protagonistes du conflit.

Il ne nous échappe pas que le vote de mardi ne nuira pas au Canada dans la course pour un siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Plusieurs pays étaient mal à l’aise avec l’alignement infaillible du Canada sur les positions américaines. Ils savent maintenant que cet appui n’est pas indéfectible.

Si le gouvernement libéral veut prouver que le « Canada est de retour », comme l’a lancé Justin Trudeau en 2015, c’est assurément un pas dans la bonne direction.

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