Cyberjustice
Une solution, sans passer par les tribunaux
La Presse
C’est le ministère de la Justice qui a mis la table avec sa réforme du Code de procédure civile, encourageant les citoyens à régler leurs conflits sans passer par les tribunaux. Le Barreau du Québec y a fait écho avec une offensive publicitaire où l’on pouvait voir Jean-Luc Mongrain nous contant l’histoire de « deux hommes qui se disputent une orange ».
Des initiatives ont suivi. Dont celle de M
Alexandre Désy, qui a inauguré en février le premier site de règlement de litiges en ligne au Québec : Onrègle.com.Son projet inspiré du site américain Cybersettle.com permet à des parties en conflit de soumettre des offres de règlement secrètes jusqu’à ce qu’elles trouvent un terrain d’entente. Si les parties s’entendent, Onrègle.com génère une entente à l’amiable en bonne et due forme et réclame 2,5 % de la somme à chacune des parties. Sinon, les parties n’ont rien à débourser.
Une centaine de personnes ont négocié sur le site à ce jour. Mais seulement huit d’entre elles sont parvenues à un règlement.
« On se rend compte que ça peut prendre plusieurs mois avant que certains conflits se règlent, nous dit M
Désy, qui a bon espoir de voir le nombre de conflits réglés sur sa plateforme augmenter. On travaille aussi à l’amélioration de notre système. Par exemple, si les parties sont proches d’une entente, le système avertira les utilisateurs. On pourrait aussi offrir un service de médiation. Notre défi est d’attirer les gens sur notre plateforme. »Son projet a-t-il contrarié le milieu juridique ? « Moins que je ne l’aurais cru », nous répond-il.
« Au fond, l’idée est d’automatiser certains processus, de les simplifier, de traiter plus de dossiers. Ça fait partie de l’économie de partage. »
— M
Alexandre Desy, du site Onrègle.com« Le sur-mesure va toujours exister en droit, rappelle M
Desy, mais dans bien des cas, c’est possible de régler ces conflits avec des outils automatiques. C’est ce qu’on fait. »Le Laboratoire de cyberjustice de l’Université de Montréal a lui aussi mis au point une plateforme d’aide au règlement de litiges en ligne (PARLE). Première étape : les deux parties sont encouragées à négocier. Si la négociation échoue, un médiateur est assigné pour intervenir auprès des parties. Enfin, s’il n’y a toujours pas d’entente, un arbitre ou un juge est appelé à trancher. En ligne !
« On discute avec le ministère de la Justice, la Cour des petites créances et l’Office de la protection du consommateur pour mettre en place cette plateforme, nous dit le professeur de droit et directeur adjoint du Laboratoire, Nicolas Vermeys. La Colombie-Britannique a adopté une loi en 2013 pour faire exactement la même chose, nous dit-il. Les parties en conflit auront bientôt l’obligation de se brancher à une plateforme pour régler tous les litiges de consommation et de copropriété de moins de 25 000 $. »
La technologie est au point, une version « bêta » est déjà en ligne. Il ne reste plus qu’à lancer la plateforme en orbite !
Mais tous les acteurs du milieu n’apprécient pas ces solutions offertes à l’extérieur du cadre des tribunaux. « Il y a des membres de la magistrature qui ne sont pas favorables à cela, note Nicolas Vermeys. Ils voudraient sans doute avoir plus de contrôle sur la plateforme. Certaines personnes redoutent que les gens se mettent à intenter 25 procès par jour ! Quant à moi, le plus grand empêchement est de changer les pratiques, les esprits, les philosophies. »
Une dizaine d’entreprises offrent aujourd’hui des services de médiation en ligne, dont le site de commerce électronique eBay, souvent cité en exemple. « L’avantage de ce modèle est qu’une entreprise comme eBay a la carotte et le bâton, analyse Nicolas Vermeys. Ceux qui refusent de participer à une séance de médiation sont exclus de la communauté. Les taux de réussite sont de plus de 90 % ! »
Depuis que la Cour des petites créances a augmenté son plafond de réclamation à 15 000 $ – toujours dans le cadre de la réforme du Code de procédure civile –, le nombre de dossiers a bondi de 17 % au cours de la dernière année. Une augmentation souhaitée, qui est à l’origine des initiatives de médiation en ligne et qui a incité des avocats à offrir des services d’accompagnement juridique.
C’est le cas de PetitesCréances.ca, fondé par M
Stéphane Verreau Verge et M Alexandre Dufresne en septembre 2015. ’équipe établie à Québec offre des forfaits à la carte. Exemples : 250 $ pour une mise en demeure, 475 $ pour la préparation du dossier ou alors 960 $ pour l’ensemble des démarches. Un coût total nettement moins élevé que les services d’un avocat payé 150 $ ou 200 $ l’heure…Le service en ligne a reçu il y a deux mois le prix Mérite Innovation-Accès justice du Barreau du Québec.
« Cette récompense témoigne d’un appui de la communauté juridique, nous dit M
Stéphane Verreau Verge, qui craignait la réaction de ses pairs. C’est vraiment une alternative à moindre coût. Je suis sûr qu’elle encouragera d’autres avocats à proposer des solutions technologiques en ligne, qui visent à mieux outiller les citoyens. »Est-ce que la médiation et les autres modes alternatifs de règlements de conflits encouragés par le nouveau Code de procédure civile nuisent au service de Petitescréances.ca ? « Non, répond Stéphane Verreau Verge. Au quotidien, j’encourage mes clients à régler à l’amiable. Pour moi, c’est l’avenir de la justice. On les sensibilise toujours à ça. Nous, on intervient lorsque ce processus-là échoue. »
La hausse du nombre de dossiers aux petites créances a tout de même augmenté les délais d’audition, nous dit le juge en chef adjoint, responsable de la Chambre civile, Pierre E. Audet. Par exemple, à Montréal et Québec, il faut attendre un peu plus d’un an avant d’être convoqué en cour. Malheureusement, le nombre de juges (une centaine) est demeuré inchangé. Dans ce contexte, tous les projets de médiation (qu’ils soient en ligne ou non) sont les bienvenus.
17 %
Augmentation du nombre de dossiers ouverts aux petites créances entre 2014 (18 058) et 2015 (21 824).
Le juge Pierre E. Audet en convient, la médiation volontaire n’a pas donné de résultats. D’abord, les parties poursuivies (habituel-lement les commerçants) la refusent presque systématiquement. En fin de compte, à peine 3 % à 5 % des conflits se règlent au moyen de la médiation, note-t-il. « D’autres provinces comme la Colombie-Britannique ont instauré une médiation obligatoire et les résultats sont étonnants », nous dit-il.
Deux projets pilotes de médiation obligatoire ont été mis sur pied récemment, à Terrebonne et Gatineau, pour des causes de contrats de consommation, explique le juge. Dans un autre projet à l’étude à Saguenay, une médiation est offerte gratuitement le matin même de l’audition. Deux dossiers sur cinq se régleraient ainsi. Un résultat tellement encourageant que ce type de médiation sera bientôt offert à Gatineau, Laval et Bedford.
Le juge Pierre E. Audet est-il favorable aux projets de médiation en ligne ? « Oui, répond-il. Mais il faut que ces projets soient bien balisés et qu’ils respectent les règles de droit. Il y a toujours un risque lorsqu’on règle à l’extérieur du système de justice. Malheureusement, tout ne peut pas être réglé grâce à la médiation. Dans ce sens-là, on se réjouit de voir les gens frapper à la porte de la justice. »