TRAITEMENT RÉSERVÉ AUX ANIMAUX

Ceci n’est plus une tondeuse

Si on veut réduire la souffrance des animaux, le rodéo n’est pas la priorité. Il y a pire ailleurs. Par exemple, dans les abattoirs. Le combat contre le Festival western de Saint-Tite peut donc étonner. Pourquoi s’en prendre d’abord à cette cible ? À cause des contradictions de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (BESA) adoptée en 2015.

Auparavant, un cheval avait le même statut juridique qu’une tondeuse. Cela a changé avec la loi BESA. Les animaux sont désormais reconnus comme des êtres sensibles, capables de souffrance physique et psychologique. Cela exige entre autres de leur épargner des « mauvais traitements » qui « causent une anxiété ou une souffrance excessives ».

Les intérêts des animaux y sont toutefois subordonnés à un critère, leur utilité. La loi crée ainsi deux statuts : animal domestique et animal élevage. Si une bête sert à l’industrie agroalimentaire ou à la recherche scientifique, elle est moins protégée. Et ce, même si elle souffre autant.

L’industrie du divertissement ne figure toutefois pas parmi les exceptions de la loi. Un veau dans un rodéo est donc autant protégé qu’un lapin de compagnie. Cela explique l’attaque contre le Festival western de Saint-Tite. Parmi les animaux strictement protégés, c’est probablement pour eux que le plus de questions se posent.

En 2017, Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal, a intenté un recours avec ses étudiants pour interdire les rodéos. Une entente a finalement été conclue : les rodéos auraient lieu à Montréal et à Saint-Tite, mais Me Roy pouvait y mandater des observateurs. Leur rapport devait ensuite être examiné par un comité d’experts nommés par l’avocat et par le Festival. Ce comité devait ensuite formuler ses recommandations au ministère de l’Agriculture avant la fin de l’été 2018.

Cette semaine, la première étape a été franchie. Me Roy a dévoilé son rapport de plus de 600 pages, rédigé avec le vétérinaire anesthésiste Jean-Jacques Kona-Boun.

Ils rapportent plusieurs cas de maltraitance, comme une jument qui semble atteinte d’une commotion cérébrale et des bouvillons au cou tordu. Leur conclusion : le rodéo devrait être interdit.

Leur rapport comporte toutefois d’importantes limites. Certes, le Dr Kona-Boun a étudié plus de 100 heures d’enregistrement, qui montrent en gros plan ce que les spectateurs ne voient pas de leur siège. Mais il n’y avait pas de vidéo pour voir comment les animaux se portent avant et après le rodéo. Il n’y avait pas non plus de données biométriques pour mesurer plus précisément le stress et d’autres possibles troubles. Et enfin, il s’agit de l’avis d’un seul expert, militant pour les droits des animaux.

Il est vrai que des vétérinaires sont venus appuyer les conclusions du Dr Kona-Boun. Mais le Festival a commandé une contre-expertise, qui assure que les bêtes n’auraient pas subi de mauvais traitement.

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La loi BESA subit son premier test. Il servira à préciser les notions générales de « mauvais traitement » et de « souffrance excessive ».

Le risque zéro n’existe pas. La vie sans souffrance non plus. Il faudra donc tracer la ligne. À partir de quand la souffrance devient-elle excessive ?

Les défenseurs du rodéo soutiennent qu’un cheval sauvage peut manquer d’eau et être attaqué par des prédateurs. Les bêtes de Saint-Tite seraient mieux traitées, d’autant plus que leurs propriétaires ont intérêt à les garder en état de travailler. Ils ont aussi raison de rappeler que Saint-Tite n’est pas le cancre de l’industrie. C’est plutôt un modèle. Par exemple, le lancer au lasso vertical, plus violent, y est désormais interdit. Lorsqu’un veau est saisi, ses quatre pattes ne peuvent pas quitter le sol. Et il ne peut pas être attaché pendant plus de trois secondes. Des vétérinaires supervisent chaque activité.

Mais cela ne convainc par leurs critiques. Ils interprètent différemment la loi. Selon eux, si une souffrance n’est pas nécessaire, elle doit être évitée.

Et il n’y a pas de nécessité à perpétuer un spectacle. D’autant plus que les épreuves controversées ne constituent qu’une portion du populaire festival de la Mauricie.

Alors, pour ou contre ? On aimerait trancher, mais il nous manque des données sur l’état des bêtes.

La preuve que la réponse n’est pas évidente : l’Ordre des vétérinaires n’a pas encore pris position. En 2015, il avait publié un avis général sur de telles épreuves. « Les désagréments éventuels pour les animaux doivent être limités, atténués ou supprimés », y lit-on. Mais l’Ordre ne précise pas si le Festival western s’y conforme.

C’est maintenant au comité d’étudier le rapport de Me Roy et du Dr Kona-Boun. Malheureusement, il est en terrain miné. Selon le calendrier prévu, il doit publier ses recommandations en août. Soit juste avant le festival, et surtout, juste avant les prochaines élections. Or, les libéraux se battent pour conserver leurs sièges en Mauricie et ils ne voudraient pas se faire huer en septembre à Saint-Tite…

Le ministre de l’Agriculture, Laurent Lessard, promet déjà de mettre en place un « protocole » pour encadrer le rodéo. Espérons qu’il ne tente pas ainsi de noyer le poisson durant la campagne électorale. Sinon, le dossier rebondira devant les tribunaux.

De l’air pour les bêtes

Le professeur Roy a déjà un impact. Dans sa contre-expertise, le Festival western a reçu des suggestions pour minimiser les risques, comme réaménager les portes pour éviter les collisions, retirer les taureaux trop agités et réduire le nombre de personnes autour des bêtes nerveuses. L’organisation est ouverte à ces suggestions.

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