Télévision

Le risque de la vedette

L’omniprésence des vedettes à la télé est un couteau à double tranchant, indique Claude Martin, professeur au département de communication de l’Université de Montréal.

Aucune star ne fait l’unanimité. « Il faut faire attention. La vedette est toujours celle d’une partie du public. »

Personnalité télévisée issue de l’underground, Dave Ouellet – alias MC Gilles – a fait ses débuts comme directeur général de la station de radio universitaire CISM.

Aujourd’hui, il est partout, mais dans des médias variés : à l’émission de Paul Arcand, à C’est juste de la TV, à Infoman, à Paparagilles et toujours sur les ondes émergentes de CISM et CHYZ. « C’est un milieu éphémère et je ne veux pas me camper dans un camp », dit-il.

Les artisans de la télé créent des saveurs du moment, souligne-t-il. Il cite en exemple sa collaboratrice Katherine Levac. « Quand on pense jeune, on pense à elle. »

MC Gilles se compte chanceux, car il dit jouir d’une liberté presque totale à la télévision. Il regrette toutefois de voir que « la réponse facile à gagner de l’auditoire est d’avoir une vedette ». « Quand tu soumets un projet, autant chez les chaînes généralistes que spécialisées, il te faut une vedette », dit-il.

Or, dans des émissions de niche comme C’est juste de la TV ou Lire, la vedette peut avoir un effet négatif sur les cotes d’écoute, souligne Claude Martin. « Il y a plusieurs sortes de vedettariat. Il y a des vedettes populaires et intellectuelles. »

— Émilie Côté, La Presse

Télévision

Y a-t-il trop de vedettes à la télé québécoise ?

Le gala Artis a en grande partie récompensé les mêmes personnalités que par les années passées. La nouvelle émission Les échangistes a reçu de virulentes critiques pour son concept axé sur la jasette autour de vedettes. Nos stars locales chantent, dansent, cuisinent, décorent leur maison, commentent l’actualité, participent à des jeux-questionnaires, animent et chroniquent à toutes les chaînes, généralistes et spécialisées. Certaines ont même des émissions ou magazines qui portent leur nom…

Avons-nous atteint le point de saturation ? C’est à tout le moins l’impression qui se dégage de nos entrevues avec une quinzaine de recherchistes – toutes des personnes d’expérience, qui ont travaillé à tous les réseaux – qui, par leur métier, vivent le culte de la vedette de l’intérieur.

« Il y a un danger de sursaturation. On se fait souvent dire par les vedettes : “J’en ai trop fait, je suis tanné”, confie une recherchiste qui bosse depuis 12 ans et qui, comme la plupart de ses collègues, a préféré garder l’anonymat. Ça a empiré dans les dernières années, clairement. Les réseaux sont tous à la recherche de vedettes pour augmenter leurs parts de marché, et ce qui est triste, c’est que ça fonctionne. Je veux bien qu’il y ait un ras-le-bol, mais il y a une raison pour laquelle les diffuseurs font ça, c’est que ça a un impact. »

Ce que Kahina Idir a trouvé le plus difficile dans le travail de recherchiste – qu’elle a exercé pendant 10 ans – est d’essayer d’imposer un invité peu connu. « On se le fait dire ! J’ai déjà entendu, en proposant un nom, “Est-ce qu’il est capable de faire la une du 7 Jours ?”. Moi, je pense que tu peux mettre une Véro sur ton show, mais va chercher quelqu’un d’autre aussi ! », indique celle qui est aujourd’hui créatrice au contenu pour le groupe V Média.

« Quand j’étais recherchiste à la radio, raconte Mariève Paradis, qui travaille au magazine web Planète F, un des mes objectifs était de proposer au moins une fois par semaine un expert qui n’était pas connu des médias. Il fallait parfois justifier longtemps le choix de prendre cet intervenant plutôt qu’un autre. Mais il y a une volonté d’attirer l’attention et beaucoup d’émissions ont eu l’opportunité de le faire en mettant des vedettes sur leurs émissions. »

« Les vedettes ont un grand réseau d’influence, notamment sur les réseaux sociaux. C’est le jeu des influenceurs qui a beaucoup changé, à mon avis. »

— Mariève Paradis, ex-recherchiste à la radio

Chez les agences d’artistes, comme le Groupe Phaneuf ou Goodwin, on gère plutôt bien cette sollicitation et on confirme qu’elle a augmenté depuis quelques années. « Il y a plus de demandes parce qu’il y a plus de chaînes et de plateformes, note Benjamin Phaneuf. Si un artiste disait oui à tout, il pourrait faire ça à temps plein. Il y en a qui aiment ça plus que d’autres. C’est du cas par cas. »

La demande est toujours plus forte pour un artiste de la liste A lorsqu’il s’agit de la première émission d’un nouveau concept.

« C’est normal qu’on préfère ceux qui ont fait leurs preuves à ceux qui commencent leur carrière, note Camille Goodwin. Mais les demandes se sont multipliées, ça déborde, et les vedettes doivent être conscientes de ça. Il faut donner un peu au suivant quand on est une vedette ; c’est un peu le service après-vente. Et elles acceptent. »

« UN ÉQUILIBRE SAIN », SELON RADIO-CANADA

Dans cette polémique, c’est plus particulièrement la société d’État qui semble visée, en raison de son mandat culturel. Une situation que Dominique Chaloult, directrice générale de la télévision de Radio-Canada, trouve injuste.

« Si on regarde l’ensemble de l’offre radio-canadienne, je pense qu’il y a un équilibre très sain entre les émissions de vedettes, les dramatiques, les émissions jeunesse et les émissions d’information. »

Elle souligne que le mandat de Radio-Canada est aussi « que les gens nous regardent un tant soit peu ».

« La pression ne vient pas juste des revenus ; elle vient de tout le monde et, si on se retrouvait à Radio-Canada avec des émissions qui ne font pas plus de 200 000 de cotes d’écoute, on serait très critiqués. »

— Dominique Chaloult, directrice générale de la télévision de Radio-Canada

Mme Chaloult reconnaît qu’il y a beaucoup d’émissions de vedettes dans le paysage télévisuel actuel, mais elle rappelle que « les téléspectateurs aiment ça ».

Elle réitère son intention d’amener plus de culture à Radio-Canada, par le renouvellement et l’augmentation du nombre d’épisodes d’Esprit critique, le succès de Virtuose, des émissions comme Infoman, de la fiction comme Série noire, « dans lesquelles il n’y a pas que des vedettes ».

DE V À TÉLÉ-QUÉBEC

« Si les vedettes sont si présentes, c’est qu’il y a un intérêt pour ce genre d’émissions », explique pour sa part Maxime Rémillard, président et chef de la direction du groupe V Média, où l’on mise clairement sur le divertissement.

« Les gens ont un attachement à leurs vedettes. Notre star-system fait l’envie des marchés télévisuels d’ailleurs. Chez nous, les émissions où l’on voit les vedettes sous un autre jour sont les plus populaires. Mais nous avons aussi plusieurs émissions très populaires où c’est le public qui vole la vedette : Un souper presque parfait, L’amour est dans le pré, La guerre des clans et Taxi payant en sont de bons exemples. »

« Les vedettes sont certainement un plus pour le marché québécois. Sans le star-system québécois, notre télévision ne serait pas aussi prospère. »

— Maxime Rémillard, président et chef de la direction du groupe V Média

Il rappelle que le financement provenant du Fonds canadien des médias (le fonds le plus important en télévision) est basé principalement sur le rendement des émissions et affirme que ce sont les grosses vedettes et les gros moyens qui rapportent le plus.

Du côté de Télé-Québec, « on se considère comme une pépinière de talents », nous dit Nicole Tardif, directrice générale des communications.

Elle souligne des succès de longue durée comme Belle et Bum, qui fait découvrir des talents, et la forte proportion d’émissions jeunesse et de documentaires. Elle rappelle aussi la création de La Fabrique culturelle ou de la sitcom Like-moi ! Rien qui mise beaucoup sur la liste A, mais qui prépare parfois celle de demain : il n’y a qu’à penser à Katherine Levac et Marie Soleil Dion, vedettes de Like-moi ! qui ont été de tous les plateaux de télé cette année.

Du côté de TVA, on n’a pas voulu commenter ce dossier.

L’AVIS DES PRODUCTEURS

Pour Éric Salvail, on mélange beaucoup de choses dans ce débat. Le populaire animateur – et producteur de plus en plus influent – assume pleinement son mandat qui est celui de divertir. Il reçoit sans problème les critiques contre Les échangistes, une émission qu’il produit.

« C’est quand la mauvaise foi entre en ligne de compte que ça me tape sur les nerfs ; quand on met sur Les échangistes tout le mandat de Radio-Canada. Il y a eu un talk-show de fin de soirée à cette heure-là l’été depuis 100 ans ; il était aussi léger l’année passée et que l’année d’avant. »

« Comme animateur et producteur, on cherche des moments de télévision. Pourquoi Tout le monde en parle court après Julie Snyder depuis 12 ans ? Parce qu’on sait que ça va donner un moment de télé. »

— Éric Salvail

Il l’admet d’emblée : la vedette est très sollicitée à la télévision québécoise, mais, selon lui, c’est aussi un courant. « Est-ce qu’il y a trop d’humoristes ? Trop d’émissions de cuisine ? Trop de téléréalités ? Si le public répond à l’offre, c’est qu’il n’y en a pas trop, et ça va s’éliminer tout seul si les gens ne sont pas là. »

« Je suis un peu surpris de la surprise que ça cause, qu’il y ait des vedettes à la télé, une industrie de spectacle, nous confie Pierre-Louis Laberge, producteur de Deux hommes en or, notamment. J’ai toujours eu l’impression que c’était à la base du système. C’est sûr que la télé crée des vedettes ; c’est un peu sa fonction aussi. »

À son avis, on vise la mauvaise cible en critiquant les vedettes de la liste A, qui permettent d’attirer l’attention sur des contenus et des invités moins connus. Ce qu’il considère plus négativement sont les personnalités qui émergent purement du vedettariat, comme de la télé-réalité. « Les artisans qui se désâment et qui n’ont pas leur place devraient prendre la place de ceux qui sont connus parce qu’ils sont connus. »

UN « SYSTÈME DIFFICILE À DÉRACINER »

L’usage de la vedette reste fondamental dans le système des produits culturels, estime Claude Martin, professeur au département de communication de l’Université de Montréal. « Même qu’elles attirent souvent plus le public que le produit lui-même, que ce soit pour un film ou un livre. Et les publicitaires veulent des vedettes A. C’est un système très difficile à déraciner. »

Mais ce système n’est pas propre au Québec, selon Jean-François Dumas, patron d’Influence Communication, qui analyse les médias. « Cette tendance à mettre de l’avant les individus, c’est mondial et c’est plus fort que jamais. »

Or, le marché médiatique québécois est petit et, sur l’échiquier mondial, il a toutes les caractéristiques d’une région, souligne Jean-François Dumas.

« On a cru que la segmentation favoriserait des rendements de niche. Finalement, on découvre que les gens restent encore captifs de produits médiatiques à grand déploiement ou hautement commerciaux. La voix en est un bon exemple. »

— Jean-François Dumas, patron d’Influence Communication

« Les grands produits sont très médiatisés, aux dépens de beaucoup d’autres produits culturels dans l’ensemble du Québec, poursuit Jean-François Dumas. Et comme il y a moins de médias régionaux, c’est le même produit culturel qu’on livre, de Gaspé à Gatineau. » Et les mêmes visages.

— Avec la collaboration d’Émilie Côté, La Presse

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