Hcokey Entrevue avec Christian Dubé

Une renaissance en Suisse

Christian Dubé ne regrette rien.

Peut-être serait-il devenu un favori de la foule au Centre Bell, l’ailier de Saku Koivu ou de Trevor Linden.

Mais à 21 ans seulement, en juin 1999, il a fait avorter l’échange qui l’envoyait des Rangers de New York au Canadien de Montréal contre un choix de deuxième ronde.

Dubé avait la Suisse en tête et rien ne l’aurait fait déroger de son plan. Il était pourtant encore considéré comme un sérieux espoir. Il avait obtenu 51 points en 58 matchs au sein du club-école des Rangers à Hartford et avait disputé une trentaine de matchs dans la LNH à 19 ans.

« Mon agent, Pat Brisson, était à la table du Canadien au repêchage et il m’a annoncé que Réjean Houle avait obtenu mes services. Mais je n’étais pas dans un bon état d’esprit. J’avais l’impression de pourrir dans les mineures et je ne ressentais plus de plaisir à jouer. Le Canadien m’aurait sans doute donné une sérieuse chance parce qu’il venait de donner un choix de deuxième ronde aux Rangers, mais j’étais un joueur offensif et je craignais de devoir me battre pour jouer au sein d’un troisième ou quatrième trio. Je voulais essayer au moins un an en Suisse. »

Dubé y est toujours. Il a été l’un des grands joueurs de la Ligue nationale suisse au cours des 16 dernières saisons avec Lugano, Berne, puis Fribourg, a été grassement payé, et il occupe depuis avril, date de sa retraite du jeu, le poste de directeur sportif du club de Fribourg.

« Certains m’ont traité de fou d’avoir refusé la chance de jouer pour le Canadien, mais beaucoup m’ont dit que j’avais pris la meilleure décision de ma vie. »

— Christian Dubé

Certains considèrent un exil en Suisse comme un échec. Ce fut pour Dubé une renaissance sportive, doublée d’une extraordinaire aventure sur le plan personnel et familial.

« La Suisse est un pays extraordinaire. Tu es proche de toutes les grandes villes d’Europe : Barcelone, Paris, Munich, Rome, Milan. Tout se fait en moins d’une heure d’avion. J’ai visité beaucoup d’endroits, surtout avec la Champion League. J’ai parcouru tous les pays nordiques, j’ai joué en Russie, au Japon. Je parle quatre langues aujourd’hui. »

Les deux jeunes fils de Dubé, 38 ans, sont évidemment nés en Suisse. « Ils parlent déjà deux, trois langues, ils visitent Paris, ils connaissent l’histoire, ce sont des choses incroyables. »

Le Québécois a aussi pu jouir d’une vie familiale plus riche en jouant en Suisse. « Pour un père de famille, c’est avantageux. Tu rentres chez toi après chaque match, à domicile comme à l’étranger. Le plus long déplacement est de quatre heures en autocar. C’est toujours entre une heure et trois heures de route. »

Malgré ce long exil, Christian Dubé n’a toutefois pas perdu son accent. Il en rigole. « Ma famille est québécoise. Ma femme est de Sherbrooke comme moi. On y passe nos étés. Je ne perds pas mes racines. »

Dubé se serait sans doute présenté au camp du Canadien en septembre 1999 s’il n’avait pas eu la double nationalité suisse et canadienne.

Son père, Normand, a joué pour Sierre pendant plusieurs années après sa carrière avec les Nordiques de Québec dans l’Association mondiale. Il a ensuite été entraîneur en Suisse pendant cinq ans. Christian y a grandi de l’âge de 3 à 15 ans.

Son statut particulier lui a permis d’obtenir un salaire très intéressant. « À ma première saison là-bas, j’étais le meilleur compteur de la ligue. Je produisais comme un joueur étranger, mais je n’en avais pas le statut. Je n’affectais donc pas la limite. J’avais une valeur ajoutée. J’en ai profité. »

En 630 matchs à Lugano, Berne et Fribourg, Dubé a amassé 674 points. Il a remporté deux championnats, avec Berne. Mais il n’a pu représenter la Suisse dans les compétitions internationales, puisqu’il avait disputé deux Championnats mondiaux juniors avec le Canada.

Au fil des années, il a refusé toutes les offres de contrat de la LNH. 

« Le Wild du Minnesota et les Blue Jackets de Columbus m’ont fait des offres au moment de leur entrée dans la ligue, mais ça ne m’intéressait pas. J’avais du plaisir à jouer ici. »

— Christian Dubé

L’offre de diriger Fribourg, le printemps dernier, l’a pris par surprise. Une agréable surprise. « Je regardais divers scénarios. Il me restait encore un an de contrat et je croyais continuer. Mais quand ils ont congédié le directeur général et l’entraîneur, ça m’a chicoté un peu. Devenir agent de joueurs m’intéressait aussi parce que je possédais plusieurs contacts et j’aime bien les négociations. Mais le meeting avec les dirigeants de Fribourg s’est bien déroulé. Ça a cliqué tout de suite. »

Christian Dubé dispose d’un budget de fonctionnement annuel variant entre 10 et 15 millions. Il a eu à prendre des décisions impopulaires dès le départ.

« Qui n’a pas de décisions difficiles à prendre ? Marc Bergevin a-t-il pris seulement des décisions populaires jusqu’ici ? Quand tu arrives dans un club, tu dois être capable de mettre ton poing sur la table. Tous les joueurs étaient sous contrat quand j’ai pris l’équipe et nous venions de rater les séries. J’ai fait des rachats et des échanges. Mais les échanges en Suisse sont rares parce que les deux joueurs doivent donner leur accord. Aussitôt qu’un joueur dit non, ça ne fonctionne pas. »

Fribourg se classe actuellement 6e sur 12 clubs cette saison.

« On a bien commencé, mais ça va moins bien dernièrement, avec les blessures. J’ai encore beaucoup de changements à faire. J’étais dans le vestiaire avec ces gars-là l’an dernier, je sais ce que ça prend. »

Qu’est-ce que ça prend ? « Comme partout, ça prend du caractère, répond-il du tac au tac. Si tu n’as pas de leadership, oublie ça. Il faut des gars dévoués à la cause qui se battent chaque soir. On avait du succès dans le premier quart parce que les gars se battaient. »

« Regardez à Montréal. Ça n’est pas la meilleure équipe, mais les gars se battent l’un pour l’autre et ne lâchent jamais. »

— Christian Dubé

Le hockey suisse a beaucoup progressé ces dernières années. Dubé a affronté la plupart des stars suisses de la LNH. Il a d’ailleurs été le coéquipier du brillant défenseur des Predators de Nashville Roman Josi pendant trois ans.

« L’éclosion de Mark Streit, de Jonas Hiller a montré aux Suisses qu’il y avait une chance de percer. Roman Josi et Nino Niederreiter ont suivi. De plus en plus de jeunes Suisses partent pour les rangs juniors au Canada. Le développement des jeunes est solide. Ils travaillent beaucoup sur le patinage, là où au Québec on a un peu une lacune. Pour le nombre de licenciés et la population, le hockey suisse fait un travail incroyable. On prend beaucoup de techniques de la Suède, de la Finlande, des Russes. »

Souhaiterait-il suivre les traces de Jarmo Kekalainen, le DG des Blue Jackets de Columbus, et passer d’une équipe européenne à la LNH ?

« Je vais commencer par mon travail ici. Il y a plein de bons gestionnaires dans la LNH. Avant de songer à recevoir une offre, je devrai prouver que je suis l’un des meilleurs ici. J’y penserais, c’est sûr, mais je ne compte pas là-dessus pour le moment. »

Après tout, il se sent chez lui en Suisse. « Je suis né au Québec, mais je suis arrivé ici à 3 ans et j’y ai joué jusqu’à 15 ans. Je suis rentré au Québec pour jouer dans les rangs juniors [à Sherbrooke, puis à Hull] à 16 ans. En 38 ans, j’ai passé seulement cinq ans finalement au Québec… »

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