Science

L’homme qui a piraté ses propres gènes

Vivre longtemps, et en bonne santé : ce rêve que nous caressons tous, Brian Hanley a décidé de le réaliser. Un beau jour de juillet, il s’est injecté une thérapie de son invention visant à modifier ses propres gènes. Retour sur une expérience scientifique qui suscite autant l’attention que la controverse.

UN DOSSIER DE PHILIPPE MERCURE

Le moment de vérité

Le 5 juillet 2015, dans une clinique de la ville de Davis, en Californie. Brian Hanley fait signe au chirurgien qui l’accompagne de passer à l’action. Ensemble, ils mettent en branle un plan que M. Hanley a mûri pendant de longues années.

À l’aide d’une seringue, et en coordonnant leurs actions, les deux hommes injectent dans la cuisse de M. Hanley un médicament que celui-ci a lui-même concocté. Brian Hanley, qui a un doctorat en microbiologie, est alors nerveux.

« Je suis encore préoccupé, a-t-il confié à La Presse, deux ans après les manœuvres. Vous avez entendu parler du syndrome de l’étudiant en médecine qui développe des cauchemars à force d’entendre parler de maladies ? J’ai fait plusieurs cauchemars à ce propos. »

Pour Brian Hanley, cette injection est l’aboutissement d’un long processus dans lequel il dit avoir englouti personnellement un demi-million de dollars.

« Avant de passer à l’action, j’ai passé quatre ans à ne faire pratiquement rien d’autre que de lire, de penser à ça, d’essayer d’envisager tout ce qui pourrait survenir et en calculer les probabilités. »

— Brian Hanley, chercheur

L’injection se déroule bien. Mais le scénario que Brian Hanley a élaboré pour lui-même n’est pas terminé. L’homme de 60 ans pose maintenant des électrodes sur le site de l’injection. Puis le chirurgien y envoie une forte décharge électrique. Objectif : ouvrir les cellules musculaires de M. Hanley pour qu’elles absorbent bien la thérapie qui vient d’y être injectée.

« J’avais trouvé un cas, dans la littérature scientifique, où l’électroporation avait été faite sur un être humain, raconte Brian Hanley à La Presse. L’article spécifiait que le patient pouvait “sentir distinctement chaque impulsion” – et je dirais que c’est l’euphémisme du siècle. C’est comme avoir une fourchette dans la jambe qui serait reliée à une prise électrique. »

« Appeler ça de la douleur n’est sans doute pas le bon mot, poursuit le chercheur. Mais vous voulez vraiment, vraiment que ça arrête. »

Le chirurgien répète les procédures dans l’autre cuisse. Les manœuvres sont filmées. M. Hanley a refusé d’en transmettre la vidéo à La Presse, mais celle-ci a été visionnée par un journaliste de la publication MIT Technology Review, qui a révélé l’histoire au public et en assure l’authenticité. Bobby Dhadwar, un chercheur au département de génétique de l’Université Harvard à qui La Presse a parlé, a aussi assisté en direct à l’expérience scientifique via Skype.

Un an plus tard, le 4 juin 2016, Brian Hanley répète la procédure dans chacune de ses cuisses – en veillant, cette fois, à s’anesthésier les jambes avant d’appliquer le courant électrique. Le microbiologiste compte parmi la poignée d’êtres humains connus – seulement trois autres cas sont connus – à avoir tenté de pirater ses propres gènes.

Le rêve

Ce que Brian Hanley prétend s’être injecté est tout simplement… une cure de jouvence.

« Mon intention est d’augmenter la durée de vie – ou, pour être plus précis, la durée de vie en santé », dit l’homme de 60 ans.

Précisons tout de suite que rien ne prouve que la thérapie inventée par M. Hanley fonctionne ni qu’elle est inoffensive. Mais elle a attiré l’attention de certains des plus grands généticiens de la planète, notamment celle de l’équipe du réputé George Church, de l’Université Harvard.

Si les choses se sont déroulées comme le pense Brian Hanley, le microbiologiste n’a pas déformé son propre code génétique. Il l’a plutôt… bonifié. Il aurait introduit dans certaines cellules musculaires de ses cuisses un gène supplémentaire qui stimule la sécrétion de l’hormone de croissance – une substance qui gouverne la croissance et la régénération des cellules. Chez tous les êtres humains, les signaux chimiques qui gouvernent la production de cette hormone sont émis dans le cerveau. Brian Hanley, lui, en produirait aussi dans ses jambes.

Chez l’être humain, c’est du jamais-vu. Mais la procédure a déjà été effectuée sur des vaches, des chiens et des cochons. Certaines recherches ont montré une augmentation de la masse musculaire des animaux et une amélioration de leur système immunitaire.

Au départ, Brian Hanley avait développé sa thérapie pour aider les patients atteints du VIH. Mais l’entreprise qu’il a fondée pour la commercialiser, Butterfly Sciences, n’a jamais récolté les fonds nécessaires pour la tester sur des patients.

« Effectuer une étude clinique à grande échelle est très dispendieux et je n’ai pas les ressources pour le faire. Faire le test moi-même était une preuve expérimentale que je pouvais faire. »

— Brian Hanley, chercheur

Un coup de marketing pour attirer l’attention des investisseurs ? M. Hanley s’en défend. Il affirme n’avoir jamais voulu publiciser son expérience avant d’être contacté par un journaliste du MIT Technology Review.

« Ma vision à long terme est de transformer les gens, dit-il. Vous pourriez avoir une musculature et une endurance sans avoir à vous entraîner, par exemple. Et ça resterait pour toute la vie. »

Les effets

La thérapie fonctionne-t-elle ? Brian Hanley, en tout cas, en est convaincu. « La première fois, j’avais de la difficulté à y croire, mais j’ai senti des choses dès les 45 premières minutes, affirme-t-il. Et ça a perduré. Il est difficile d’être précis, mais le sentiment subjectif est une augmentation de l’humeur et de l’énergie. »

À 60 ans, il dit avoir retrouvé son niveau d’énergie d’il y a 20 ans. Sur son site web, il affirme que son niveau de testostérone a grimpé de 20 % et que son cholestérol a baissé. Son rythme cardiaque aurait diminué de 10 battements par minutes ; ses globules blancs, eux, seraient 20 % plus nombreux.

Bobby Dhadwar, chercheur postdoctoral au laboratoire du professeur George Church, à l’Université Harvard, a fait des tests sur des échantillons de sang de Brian Hanley à la demande de ce dernier. Il a effectivement mesuré un pic de l’hormone gouvernant la libération de l’hormone de croissance quelques jours après la thérapie. Mais de là à conclure que la thérapie fonctionne, il y a un pas qu’il refuse de franchir.

« Quand vous avez une étude avec une seule personne, il est impossible de dresser la moindre statistique. »

— Bobby Dhadwar, chercheur

« Dans ce cas précis, le niveau naturel de la protéine dans le corps est bas et fluctue de façon naturelle, alors on ne peut rien dire avec certitude. Il aurait fallu avoir un groupe contrôle », souligne-t-il.

Henry Greely, directeur du Centre sur le droit et les biosciences de l’Université Stanford, s’interroge quant à lui sur l’utilité de l’expérience de Brian Hanley.

« Je m’inquiète à savoir si la moindre valeur scientifique non triviale peut être tirée d’une expérience sur une seule personne – et en particulier si cette personne adhère déjà fortement à l’idée que l’expérience va fonctionner », dit-il.

Brian Hanley, lui, estime que l’exercice fait partie intégrante de la démarche scientifique.

« Il y a des centaines de scientifiques, dont 15 Prix Nobel, qui ont testé des choses sur eux-mêmes ou se sont utilisés comme sujets d’expérience, plaide-t-il. C’est une longue tradition en science. »

Les questions

Le fait de s’injecter soi-même une thérapie soulève une myriade de questions éthiques. Avant de procéder à son expérience, Brian Hanley dit avoir contacté la Food and Drug Administration, l’agence fédérale américaine qui réglemente les études sur les nouveaux médicaments.

« Je leur ai demandé s’ils avaient une procédure pour les notifier de ce que j’allais faire. Ils m’ont répondu que ça n’existait pas », dit-il à La Presse. M. Hanley dit plutôt avoir obtenu un avis éthique favorable de l’Institut de médecine régénératrice et cellulaire, à Santa Monica, en Californie. La Presse n’a pu contacter l’Institut, dont la page web ne fonctionnait plus au moment où nous l’avons consultée.

Les experts en éthique sont réticents à commenter le cas de Brian Hanley. À la suite du dévoilement de son histoire par la MIT Technology Review, Brian Hanley a envoyé une lettre au service juridique de la publication pour se plaindre de l’article. Échaudés par ses démarches, trois spécialistes en bioéthique ont refusé de commenter son cas à La Presse, disant craindre des problèmes.

Henry Greely, directeur du Centre sur le droit et les biosciences de l’Université Stanford, a quant à lui accepté de parler. Selon lui, le flou qui entoure l’avis éthique obtenu par Brian Hanley devrait être considéré comme un « drapeau d’avertissement ». Il qualifie la démarche dans son ensemble d’« irréfléchie » (foolish).

« Il est hautement improbable que l’expérience ait des effets positifs pour lui, il est hautement improbable qu’elle conduise à des conclusions scientifiques utiles et elle pourrait fort bien conduire à des effets négatifs pour lui. »

— Henry Greely, directeur du Centre sur le droit et les biosciences de l’Université Stanford

Des risques, Brian Hanley est le premier à reconnaître qu’il en a pris. Selon Bobby Dhadwar, de l’Université Harvard, le principal était que les hormones produites par la thérapie soient légèrement différentes de celles produites par son corps, ce qui aurait pu amener son système immunitaire à les attaquer. M. Dhadwar s’est dit aussi « surpris » de voir Brian Hanley avoir recours à un procédé aussi douloureux que l’électroporation pour favoriser l’intégration de la thérapie dans ses cellules.

Dans le pire scénario, dit l’expert, le matériel génétique introduit artificiellement aurait pu s’intégrer au génome de ses cellules, ce qui aurait sans doute provoqué une tumeur cancéreuse.

« Cette possibilité me semble faible et, dans l’ensemble, je ne crois pas que les risques soient aussi grands qu’ils le paraissent, dit M. Dhadwar. Cela étant dit, je ne recommande évidemment pas aux gens de s’utiliser eux-mêmes comme des cobayes d’expérience. »

« J’avais décidé depuis longtemps que c’est la façon dont je procéderais, dit quant à lui Brian Hanley. Si je ne suis pas assez confiant pour le faire sur moi-même, pourquoi je le ferais sur quelqu’un d’autre ? »

Scientifiques irresponsables ?

À la fin du mois de novembre, la BBC a rapporté l’histoire de Tristan Roberts, un Américain de 28 ans qui s’est injecté une thérapie génique expérimentale dans le gras du ventre dans l’espoir de se guérir du VIH. Comme Brian Hanley, M. Roberts s’est injecté des morceaux d’ADN. Dans son cas, ces fragments sont censés pouvoir fabriquer des anticorps qui, en laboratoire, ont réussi à neutraliser 98 % du VIH.

La manœuvre a été diffusée en direct sur Facebook Live. Irresponsable et vain ? C’est ce qu’ont dit plusieurs chercheurs en voyant la tentative du jeune homme. Mais M. Roberts, qui est épaulé dans ses démarches par Aaron Traywick, président d’une petite entreprise derrière le traitement, voit les choses différemment.

« Nous sommes des preneurs de risque, mais nous ne sommes pas stupides, a-t-il dit à la BBC. Je pense que nous arrivons à une époque où les patients et les sujets de tests sont capables de s’investir de façon plus importante dans les résultats de l’expérience. »

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