Vos finances au soleil !

Le silence est d’argent

Chaque dimanche, durant l’été, La Presse+ et la firme de sondage CROP dévoilent (pudiquement) au soleil une zone de l’épiderme financier des Québécois.

Les Québécois sont des gens discrets. Même entre conjoints. Du moins pour ce qui concerne leurs finances.

« Les couples en parlent peu », constate Hélène Belleau, professeure à INRS-Urbanisation Culture Société et chercheuse dans le domaine de l’usage social de l’argent.

« Les couples vont parler des dépenses quotidiennes, de l’argent qu’ils vont dépenser par exemple pour les études, des choix qu’ils vont faire au point de vue de la consommation, indique-t-elle. Mais l’organisation financière – c’est-à-dire comment les deux organisent leurs finances et quelles sont les conséquences à court, à moyen et à long terme – est un sujet très peu abordé. »

Elle souligne que le mode de gestion au sein du couple joue un grand rôle dans la divulgation du salaire : les conjoints qui conjuguent leurs revenus dans un même compte savent bien sûr combien gagne leur associé.

FAUDRAIT-IL EN PARLER DAVANTAGE ?

Une meilleure communication financière serait pourtant souhaitable.

« À l’intérieur des couples, le rapport amoureux fait en sorte que ce sont souvent des questions qu’on évite », soulève la chercheuse.

« On dit souvent qu’en amour, on ne compte pas. Pour beaucoup de couples, surtout durant les cinq premières années d’union, il est assez difficile de discuter de ces questions, et peu de gens le font. »

— Hélène Belleau, professeure à INRS-Urbanisation Culture Société

Ce n’est qu’une fois la confiance installée, avec une première maison et des enfants par exemple, « que les couples commencent à parler des questions financières et de l’impact que peuvent avoir la gestion de l’argent ou les écarts de salaire sur les deux conjoints ».

Mais s’ils ne parlent pas, les principes fondamentaux sont tout de même clairement établis.

« Ce qui est étonnant, c’est de voir à quel point la majorité des conjoints gèrent ensemble. La plupart des gens ont tendance à mettre leurs revenus en commun ou à trouver une façon d’équilibrer les écarts de revenu. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les gens ne gèrent pas séparément, chacun pour soi. »

JUSQU’AUX ENFANTS ?

Est-ce que l’ouverture aux questions financières au sein de la famille devrait être étendue aux enfants ?

« Certains parents disent que ça ne regarde pas les enfants, mais il y en a d’autres qui le voient dans une perspective d’éducation », a pu observer Hélène Belleau.

« Il y en a, par exemple, qui vont amener les enfants à planifier les vacances. Les parents déterminent un budget, par exemple 2000 $, et ils s’assoient avec les enfants pour planifier les vacances avec eux. C’est une manière d’initier les enfants à l’épargne, mais aussi à la valeur de l’argent. »

Si la situation financière de la famille est délicate, toutefois, le mutisme s’installe le plus souvent. « Ce qui est important, c’est d’enseigner aux enfants qu’on vit dans un contexte avec des finances limitées, énonce-t-elle. Ça limite les demandes. Mais de là à exposer les questions de dettes, je crois que les jeunes enfants n’ont pas les outils nécessaires pour comprendre et se projeter dans le temps. »

À propos du sondage

Une question d’âge, mais pas de génération

« Ce qui m’a frappée, dans votre sondage, c’est la question de l’âge. À mon avis, ce n’est pas tant des différences générationnelles. Quand les conjoints sont jeunes, ils ont souvent des revenus très similaires, proches et prévisibles. Mais plus la carrière avance, plus les écarts de revenu peuvent être importants dans une même profession. En ce sens, les gens sont peut-être un peu plus réticents à dévoiler leur salaire en avançant en âge, et ce n’est pas nécessairement une question de génération », analyse Hélène Belleau.

Méthodologie

Sondage CROP. La cueillette de données en ligne s’est déroulée du 16 au 19 juin par l’intermédiaire d’un panel sur l’internet, au cours duquel 1000 questionnaires ont été remplis par des résidants du Québec de 18 ans et plus. Échantillon non probabiliste.

Vos finances au soleil !

Parler de son revenu

AUX ENFANTS, PARENTS, FRÈRES ET SŒURS

18 à 34 ans : 54 % ouvrent leur cœur

Plus de 55 ans : 37 % se confient

À LA FAMILLE ÉLARGIE ET AUX PLUS PROCHES AMIS

18 à 34 ans : 28 % sont volubiles

Plus de 55 ans : 11 % livrent des confidences

« C’est vraiment un clivage générationnel, indique Youri Rivest. Il y a les baby-boomers d’un côté, et leurs enfants et leurs petits-enfants de l’autre. »

Une autre façon d’exprimer la chose : « Les enfants voudraient en parler aux parents, mais les parents ne veulent pas en parler aux enfants. »

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En couple ou non ?

JE SUIS À L’AISE D’EN PARLER… 

À MON (MA) CONJOINT(E)

Personnes en couple : 92 %

Personnes seules : 48 %

À MES ENFANTS, PARENTS, FRÈRES, SŒURS

Personnes en couple : 46 %

Personnes seules : 45 %

« Dans le couple, c’est presque tout le monde, constate Youri Rivest. C’est 92 % des gens en couple qui sont à l’aise d’en parler au conjoint. »

Les personnes seules sont moitié moins nombreuses à faire confiance au conjoint qu’elles n’ont pas. Mais comment interpréter cette réponse : je n’ai personne à qui en parler, donc je n’en parlerais pas ? Si j’étais en couple, j’en parlerais peut-être ? Mon ex s’épanchait à tout propos sur Facebook ?

Les gens en couple et célibataires se rejoignent toutefois au degré d’intimité suivant : environ 55 % n’en diraient pas un mot à leurs enfants ou parents.

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À L’AISE ?

ÊTES-VOUS À L’AISE DE RÉVÉLER VOTRE REVENU ?

Je le révélerais à mon conjoint : 72 %

Aux enfants, parents, frères, sœurs : 46 %

À la famille élargie et aux plus proches amis : 20 %

À l’ensemble de vos connaissances : 8 %

Publiquement (à des gens inconnus) : 4 %

À aucune de ces personnes : 16 %

Trois personnes sur quatre sont à l’aise de discuter de revenus avec leur conjoint. Mais « à la famille élargie et aux amis, c’est beaucoup plus bas : il y a peu de gens qui sont à l’aise d’en parler », souligne Youri Rivest, vice-président chez CROP, qui a mené l’étude.

Et 16 % des répondants ne révéleraient ce secret que sous la torture.

Vos finances au soleil !

Discrétion absolue

JE N’EN DISCUTERAIS AVEC AUCUNE DE CES PERSONNES

18 à 34 ans : 10 % resteraient cois

35 à 54 ans : 14 % disent motus et bouche cousue

55 ans et plus : 21 % sont des tombes

Les aînés sont deux fois plus nombreux que les jeunes à conserver la plus complète discrétion sur leur revenu, y compris envers leur conjoint. Leur devise ne change pas : la parole est d’argent, mais le silence est d’or.

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Selon le genre

À L’AISE D’EN PARLER

AU CONJOINT 

Hommes 71 %, femmes 74 %

AUX ENFANTS, PARENTS, FRÈRES ET SŒURS 

Hommes 44 %, femmes 47 %

À LA FAMILLE ÉLARGIE ET AUX PLUS PROCHES AMIS 

Hommes 20 %, femmes 19 %

Les écarts entre hommes et femmes sont faibles, mais constants. Les Québécoises sont un peu plus à l’aise de discuter de revenu avec leur conjoint et leur famille proche. Mais dès que le cercle s’élargit, le corset de la discrétion s’installe.

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À Québec

PARLER DE MON REVENU À MA FAMILLE ÉLARGIE ET À MES PLUS PROCHES AMIS ?

RÉGION DE MONTRÉAL

19 % sont prêts à faire ces confidences

RÉGION DE QUÉBEC

28 % n’ont pas de réticence

RESTE DU QUÉBEC

19 % sont ouverts à l’idée

Les résidants de la région de Québec sont nettement moins prudes sur le plan financier. Ils sont deux fois plus nombreux (13 %) que les Montréalais (6 %) à accepter de révéler leur revenu à l’ensemble de leurs connaissances. Mais peut-être ont-ils beaucoup moins de connaissances… Youri Rivest avance une explication plus plausible. « Ils sont un peu plus à droite, sur le plan économique. Je les trouve un peu plus décomplexés face à l’argent. » L’importance de la fonction publique dans le marché du travail de Québec joue aussi un rôle, croit-il.

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