Chronique Lysiane Gagnon

Le parti à deux têtes

Le grand blond et la belle brune côte à côte sur la tribune, se donnant la parole à tour de rôle… À première vue, ça fait sympa, ça fait couple idéal, ça fait complémentaire (lui est péremptoire, elle est tout miel), et ça fait vraiment moderne, car la parité est dans l’air du temps.

Tel est le nouveau visage que s’est donné le Parti québécois (PQ), celui d’un parti à deux têtes.

Le duo Lisée-Hivon est quand même moins improbable que la Sainte Trinité qui compose aujourd’hui le visage de Québec solidaire (QS), avec Gabriel Nadeau-Dubois dans le rôle du révolutionnaire assagi, Manon Massé dans le rôle de la Môman, et Vincent Marissal dans le rôle du Saint-Esprit descendu du ciel pour emmener vers QS la classe moyenne hors Plateau.

La mode, disais-je, est à la parité. Quand la Ville de Montréal a voulu rendre hommage à Nelson Mandela en lui dédiant un parc, on lui a flanqué sur sa plaque honorifique le nom de sa première épouse Winnie… pour l’effacer en catastrophe quand Winnie s’est fait prendre dans une sale histoire de banditisme et Monsieur s’est remarié.

Jeanne Mance a été promue cofondatrice de Montréal en dépit de la vérité historique, qui stipule sans équivoque que seul le sieur de Maisonneuve était doté du pouvoir régalien sur la colonie. (On attend le jour où de bonnes âmes décréteront que Louise Beaudoin a cofondé le PQ avec René Lévesque !)

QS a cru innover en se donnant une direction bicéphale composée de deux « porte-parole », l’un féminin, l’autre masculin. Mais, premier obstacle, seul un des deux pouvait participer aux débats des chefs. Ce fut Françoise, plus diplomate qu’Amir. La prochaine fois, ce sera Manon plutôt que GND.

Second obstacle : mais qui donc serait premier ministre dans l’éventualité où QS formerait le gouvernement ? Cette éventualité étant pour l’instant nébuleuse, il n’y avait pas d’urgence à choisir le prochain premier ministre solidaire. Mais les solidaires ont beau flotter assez haut dans la stratosphère, ils ont quand même réalisé que notre système parlementaire, de même que l’armature même de la vie politique, exigent qu’un parti ait un chef identifiable. Entre deux « co-porte-parole » également peu représentatifs de la population, ils ont choisi la plus divertissante.

Ce qui veut dire qu’au-delà de la fiction paritaire, même QS a dû se résigner à cette réalité : tout parti doit avoir un chef – homme ou femme, mais un (e) seul (e).

Non seulement parce que nos institutions l’exigent, mais parce que l’essence de la politique, c’est le leadership.

Revenons à l’image bicéphale du PQ. Jeudi, devant le Conseil des relations internationales de Montréal, le chef péquiste et sa « vice-cheffe », qui désormais l’accompagne ex aequo dans toutes ses apparitions officielles, ont annoncé quelques politiques en matière d’éducation.

Comme deux étudiants coanimant consciencieusement un gala de fin d’année, ils lisaient chacun leur bout de texte : cinq paragraphes à Lisée, six à Hivon, huit à Lisée, quinze à Hivon, seize à Lisée… Ce dernier énonçait les aspects plus cérébraux tandis que Mme Hivon se spécialisait dans l’humain et les émotions. Le premier dégageait de l’autorité, la seconde, beaucoup de gentillesse et de bonne volonté.

La scène était incongrue. Jean-François Lisée, qui est intelligent (malgré son manque de jugement chronique), qui a de la prestance et qui s’exprime superbement en public, aurait été beaucoup plus convaincant s’il avait livré lui-même ce message politique.

Pourquoi diable s’est-il amoindri en s’adjoignant une « vice-cheffe » que personne n’a élue à ce poste ?

Pourquoi donner l’image d’une moitié de chef alors que son devoir est d’assumer la totalité de la fonction, d’endosser toute la responsabilité et d’afficher fièrement son image de leader ?

On connaît la réponse. Jean-François Lisée souffrant d’un gros déficit de popularité, il a sorti un autre truc de son sac à malices : se greffer l’image conviviale d’une Véronique Hivon qui a le mérite de ne déplaire à personne.

C’était une bien mauvaise idée. On ne peut même pas dire qu’elle fait avancer la cause des femmes, Véronique Hivon incarnant tous les stéréotypes féminins (délicatesse, sensibilité, recherche du consensus, etc.), et restant reléguée à un rôle décoratif de faire-valoir. Une fois le PQ au pouvoir, elle redeviendrait une « vice-première ministre » comme on en a vu défiler des dizaines.

Surtout, cette décision laisse transparaître un terrible manque de leadership.

Emmanuel Macron n’a pas besoin d’un tel artifice pour faire oublier qu’il n’a que 40 ans et qu’il a été élu par défaut. Il respire le leadership. Il prend des risques. Il gère. Il mène. Il décide. Et c’est en solitaire qu’il affrontera les vagues.

Même l’extrême impopularité n’est pas une excuse. Brian Mulroney, vers la fin, était au plus bas dans les sondages. Il est resté à la barre sans fléchir, sans chercher à se cacher partiellement derrière une figure plus populaire que lui.

De grâce, Monsieur Lisée, reprenez vos esprits et remettez votre tête au centre de l’affiche. 

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