Analyse

Le modèle du tripode

Évoluer comme auditeur externe chez EY permet, dès le début de carrière, de changer sa vision de l’image des entreprises. Il n’y a rien de plus éloquent que de consulter les livres d’entreprises privées et publiques pour comprendre l’écart entre l’image projetée par les propriétaires et la réalité.

Le constat ? Pour réussir en entreprise, il faut trois constantes : du temps enthousiaste à investir, des compétences en affaires et du capital. Il est rare de trouver celles-ci réunies dans la même personne lors de la phase de démarrage. C’est le tripode de l’entrepreneur. 

Depuis quelques années, on se gargarise à l’entrepreneuriat. Pourtant, ce n’est pas un monde de Bisounours. Quelle est la face cachée du fait de se lancer dans les affaires ? Il faut de l’argent, beaucoup d’argent.

Les histoires marquant l’imaginaire 

Beaucoup de Québécois ont des idées d’entreprises. Par contre, ils n’ont juste pas nécessairement les ressources financières pour les mettre en œuvre. En fait, il faut être un peu inconscient pour y aller all-in, comme au poker, avec son avenir financier. Si bien que les histoires à succès d’entrepreneuriat viennent souvent avec une certaine richesse familiale. Pourquoi ? Parce qu’il est facile de risquer de l’argent que l’on a déjà. 

Les médias valorisent les entrepreneurs en parlant de goût du risque, de personnalité ou de jeunes prodiges : on définit l’entrepreneur comme une « personne différente ». Une réalité est souvent tronquée : la richesse familiale ou du cercle rapproché est un facteur déterminant de l’entrepreneur. Quand on sort de l’université avec 15 000 $ de dettes, il est difficile de risquer d’endetter sa famille à perpétuité.

Par contre, quand on est assis sur un héritage à venir, il est plus facile de dormir le soir. Beaucoup d’entrepreneurs à succès profitent des capitaux de leur entourage leur donnant « le goût du risque ».

Les exemples sont multiples. L’an dernier, Louis-Philippe Maurice, le fondateur de Busbud, a publié dans La Presse une « lettre à un nouveau diplômé ». Il proposait aux jeunes adultes de se lancer dans le vide : « C’est le moment de suivre tes passions, de prendre de grands risques et de suivre des chemins incertains. Remets tout en question. Pars en voyage ! », disait-il. Son message était sympathique, mais loin de la réalité du commun des mortels. Le père de Louis-Philippe Maurice fait partie des plus grands gestionnaires de patrimoine au Canada, gérant un actif de 5 milliards au Canada. 

L’exemple d’Olivier Primeau, du Beachclub, est très présent dans la culture populaire. Ce dernier ne s’en cache pas, c’est le capital familial qui a financé le démarrage de son immense bar saisonnier à ciel ouvert. Et Facebook : un hasard que le réseau social soit né à Harvard ? 

Le tripode : le modèle québécois à développer ? 

Au Québec, certains investisseurs ont de l’argent, mais pas l’énergie ni la compréhension d’un domaine pour s’investir dans la gestion de l’entreprise. Ils sont de parfaits silent partners. Pour compléter le tripode, on peut leur greffer un entrepreneur ayant du temps et une vision pour son idée à développer. Finalement, ajouter à l’équipe un gestionnaire avec un peu d’expérience dans le domaine aiderait l’entrepreneur à ne pas faire d’erreurs et à mettre en place une structure d’entreprise. Voilà trois personnes complémentaires : le tripode entrepreneurial. 

La disponibilité du capital 

Avec une mauvaise allocation du capital, certains projets actuellement connus ont moins de potentiel que d’autres idées n’ayant pas de fonds sous la main. C’est toujours le même problème, une fois que l’entreprise est rentable, les banques se mettent à genoux pour prêter à 3 %, mais quand on a une bonne idée et peu de capital, tout le monde se sauve en courant. 

Comment vaincre ce déséquilibre ? Des investisseurs institutionnels comme le Fonds de solidarité pourraient « mettre au bat » une portion plus élevée de leur portefeuille dans les entreprises en démarrage. Ce que les entrepreneurs veulent parfois, ce sont des prêts ou des participations à moins de 250 000 $ : portion ridicule pour un gros investisseur, car lourde en frais de transaction et de supervision. Une telle somme dans un marché comme le Québec, c’est une forme de « microcrédit » aux entreprises. 

En somme, les projets d’entrepreneuriat mis de l’avant dans les médias ne sont peut-être pas les meilleurs, mais ce sont ceux qui bénéficient de fonds disponibles. Peut-être qu’en multipliant les tripodes, on limitera les canards boiteux. Comme dirait Jerry Maguire : « Show me the money ! »

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